Pratiquer la démocratie ?

Je ne voudrais pas laisser le lecteur sur une impression d’intransigeance, aussi, je lui propose de me suivre dans un dernier détour, qui nous permettra de découvrir si, d’aventure, il ne serait pas envisageable de pratiquer la démocratie sans la faire déboucher ni sur le crime, ni sur la prédation, moyennant quelques conditions.

En démocratie, on croit déléguer le pouvoir aux chefs ou aux citoyens majoritaires de l’assemblée pour l’ensemble des affaires de la cité. Comment réaliser cet objectif sans se heurter au problème de la délégation, identifié au début (épisode) de ce petit essai ? La démocratie peut-elle exister sans commettre de crime ?

La réponse à cette dernière question implique de respecter quelques prémisses. D’abord, les décisions de l’assemblée ne doivent pas être consultatives. Sans cela, ce n’est plus le pouvoir du peuple mais l’avis de la majorité et seulement ça. Ensuite, les décisions de l’assemblée ne doivent pas se traduire en vol ou en agression.

SUBORDONNER LA DÉMOCRATIE AU PRINCIPE  DE NON-AGRESSION

Cela peut sembler insoluble, mais il y a peut-être une solution, qui serait de fonder une démocratie sur le principe non-agression. Principe que l’on peut résumer ainsi : interdit de voler, interdit d’agresser, pas d’exception. Le principe de non-agression admet bien évidemment la défense personnelle, qui n’est pas une agression, mais un moyen de stopper une agression, justement.

À partir de là, il y a quelques conditions à respecter. La première d’entre-elles est que l’adhésion à la démocratie doit être volontaire. Par conséquent, il doit également être possible pour le citoyen de la quitter librement, dès lors que le système ne lui convient plus.

La deuxième condition est de subordonner l’adhésion à la démocratie à l’abandon pur et simple, par le futur citoyen, des propriétés privées qu’il souhaiterait voir concernées par la démocratie au profit de l’assemblée. Ainsi, chaque citoyen accepte, en participant à la démocratie, de devenir actionnaire minoritaire de tous ses biens, exception faite des biens qu’il lui refuse à la démocratie, ainsi que de son propre corps bien évidemment, puisqu’il est impossible de céder cette propriété-là à un tiers.

délégation

Une lumière d’espoir démocratique ?

LE VÉRITABLE CONTRAT SOCIAL

Les individus qui ont décidé d’agir de la sorte ont passé un contrat entre eux. Celui de devenir actionnaire minoritaire de tous les biens qu’ils souhaitent voir concernés par la démocratie. Ils ont passé un contrat pour fonder une société. Ce contrat serait en fait le véritable contrat social. Il serait très différent du contrat social vu précédemment dans la mesure où les signataires décident de le signer ou non, en toute connaissance de cause et en connaissent donc les termes exacts. Par ailleurs, ce contrat comporte naturellement une clause de sortie puisque nous avons vu qu’il ne pouvait concerner que les biens et non les personnes qui restent propriétaires d’elles-mêmes.

Ce contrat social serait pour le coup véritablement opérant et je profite donc de ce petit essai pour proposer cette définition, en opposition à celles des autres théoriciens de cette doctrine.

Armée d’un tel contrat, et si toutes ces conditions sont réunies, alors, l’assemblée peut tout à fait statuer sur l’utilisation qui sera faite du sol, du tracteur ou du vélo, sans ne jamais léser personne, puisque les citoyens ont librement consenti à fonctionner de la sorte.

En revanche, la démocratie ne pourra pas forcer les citoyens à labourer le sol, à conduire le tracteur ou à repeindre le vélo, car ces actions impliquent l’accord explicite des citoyens qui n’ont pas renoncés à la propriété d’eux-mêmes.

Mettons cette démocratie à l’épreuve et imaginons qu’elle décide de repeindre un vélo qui lui a été cédé. Si un citoyen en désaccord profond avec cette décision et suffisamment motivé choisit de cacher le vélo (ou même de le défendre les armes à la main), alors, cet homme vient d’outrepasser ses droits d’actionnaire minoritaire et peut donc être considéré comme un voleur par les autres membres de l’assemblée. Il a rompu le contrat qu’il avait pourtant signé.

L’ÉMERGENCE DU BIEN COMMUN

La démocratie ainsi considérée serait donc une institution permettant, par consensus ou compromis, de décider de l’usage qui sera fait des propriétés communes des citoyens.

L’ensemble de ces propriétés communes pourraient tout à fait définir de façon satisfaisante ce fameux bien commun, ce concept cher aux passionnés de politique qu’il est si difficile de cerner devient ainsi enfin cohérent et saisissable.

Le bien commun est la matière sur laquelle cette démocratie s’applique. C’est un argile que les démocrates choisissent de conserver en l’état ou de transformer complètement, selon l’humeur des majorités.

Il est également une des briques de cette démocratie, puisque s’il n’y a pas de bien commun à administrer, alors, la démocratie devient aussitôt sans objet, puisqu’elle ne pourra jamais statuer sur rien (et on se souvient que la démocratie ne peut statuer que sur les choses et pas sur les gens, qui sont libres de leurs décisions, en vertu du fait qu’ils ne sont pas actionnaires minoritaires d’eux-mêmes, eux).

UNE COPROPRIÉTÉ COMME UNE AUTRE

Une telle démocratie serait donc un système collectiviste fondé sur le volontariat et aurait quelques qualités que les démocraties actuelles, passées ou utopiques n’ont pas.

Cette démocratie-là a résolu le problème de la délégation. En effet, ici, chaque participant a explicitement délégué un pouvoir qu’il possédait en propre au tiers de son choix. En l’occurrence, il s’agit d’un tiers un peu spécial puisqu’il ne s’agit pas d’une personne ou un groupe en particulier mais des citoyens qui partagent l’avis le plus commun dans la cité.

En outre, à la différence des démocraties antiques, actuelles ou utopiques, cette démocratie-là est apte à prendre des décisions qui ne tomberont pas dans la catégorie de la prédation. En effet, cette démocratie ne peut légitimement statuer que sur les biens communs et pas sur ses membres, puisque ces derniers sont propriétaires d’eux-mêmes à 100%. À ce titre, ils ne sont donc pas concernés par les décisions de l’assemblée.

Enfin, cette démocratie n’a pas besoin de garde-fou supplémentaire pour fonctionner sans faire de victime. Le principe de non-agression suffit amplement à classer les actions que l’assemblée peut prendre en deux catégories : celles qui concernent le bien commun, qui sont admissibles et celles qui ne le concerne pas, qui sont illégitimes et contre lesquelles la défense personnelle devient non seulement admissible mais requise.

copropriété

Une copropriété comme une autre…

LE PIRE DES SYSTÈMES À L’EXCEPTION DE TOUS LES AUTRES ?

De petites communautés démocratiques pourraient émerger dès maintenant, dans le contexte actuel de l’Occident. En effet, rien n’empêche quiconque de fonctionner de la façon décrite plus haut, et, peut-être en existe-t-il déjà.

Notons également que ces expériences démocratiques pourraient tout à fait exister dans un contexte radicalement différent, dans une société libérée de la coercition. Une société dans laquelle les rapports entre individus sont fondés sur la base du volontariat et non sur l’association forcée, bref, une société libérée de l’arbitraire des États.

Dans un tel régime bien plus que dans le nôtre, les aspirant-démocrates seraient libres d’acheter des terres, puis de signer ce fameux contrat social qui sanctionnerait la mise en commun de leurs biens de se constituer en assemblée, pour déterminer l’usage qui en sera fait du bien commun. La seule condition étant que nos démocrates ne persécutent pas leurs voisins qui ont choisi de vivre différemment, hors de leur démocratie.

Une telle démocratie n’attirerait sans doute pas grand monde car l’observation des comportements montre que les individus semblent nettement préférer la propriété privée à la propriété collective. Mais qu’à cela ne tienne, cette démocratie-là peut tout à fait cohabiter avec le reste de l’humanité, tant qu’elle ne transgresse pas le principe de non-agression.

À la différence de ses aînées qui utilisaient (et utilisent encore) la guerre pour capter de nouvelles terres et de nouveaux citoyens, cette démocratie-là devrait se soumettre au marché libre des idées et des modèles d’organisation de la vie en société. Elle serait donc tout à fait compatible avec le reste de l’humanité, qui, de son côté n’est pas obligée de renoncer à quoi que ce soit pour que cette expérience démocratique puisse voir le jour.

 

Jean-David Nau

 

Disponible également en version audio

Épisodes précédents :

Épisode 1 : en texte et en version audio

Épisode 2 : en texte et en version audio

Épisode 3 : en texte et en version audio