« C’est dans un désert américain, que je réalisai soudain que la pluie ne tombe pas des cieux ; elle provient du sol. La formation des déserts n’est pas due à l’absence de pluie ; mais plutôt, la pluie cesse de tomber parce que la végétation a disparu. » – Masanobu Fukuoka

Ex-de-gauche

Je viens d’un milieu de gauche. J’ai moi-même longtemps été de gauche – avant de devenir libéral. Abandonner les théories d’un tel milieu n’est pas des plus simples, ni a priori des plus évidents, surtout en ce qui concerne la matière économique. C’est la permaculture qui m’a permis cette transition entre le socialisme, sa perpétuelle volonté de remédier aux supposées défaillances du système économique, et le libéralisme, sa philosophie du laissez-faire, sa confiance en la viabilité d’un système économique libre, en la liberté individuelle.

La permaculture est à mon avis l’aboutissement de l’agriculture biologique. Car lorsqu’on cesse d’utiliser des engrais chimiques et des pesticides, il faut compenser ce manque d’apport et d’intervention par d’autres méthodes fertilisantes, méthodes parmi lesquelles on compte les associations et les rotations de cultures. En développant ces méthodes à leur maximum, en les intégrant dans une réflexion globale et dans une gestion holistique jusqu’à en obtenir un système stable et intégré, la permaculture offre à l’agriculture biologique une fertilité maximale du sol, avec une efficience et une résilience optimales de la pratique agronomique. En clair, l’agriculture biologique souhaite simplement et arbitrairement se passer d’engrais chimiques et de pesticides, quand la permaculture modifie la réflexion et la méthode afin de pouvoir s’en passer effectivement, tout en conservant des rendements équivalents – voire supérieurs – à ceux de l’agriculture chimique – dite conventionnelle – mais en y apportant une qualité supérieure, le tout avec une dépense énergétique bien moindre.

permaculture

La permaculture, libéralisme agraire – Nuage des mots de l’article.

Permaculture, quid ?

Pour y arriver, la permaculture s’inspire des écosystèmes naturels, de la succession spontanée des plantes dans leur milieu naturel, de la cohabitation habituelle des différents composants du système (l’humain en faisant bien entendu partie), et de son stade évolutif final qu’on appelle le climax. Le climax est un état théorique stable, dynamique et auto-fertile, généré par les interactions entre les différents composants du système (selon le principe de ce qu’on appelle communément la « chaîne alimentaire »), en équilibre avec les conditions climatiques et géologiques. [1] Cet état théorique est comparable, en termes économiques, à celui de concurrence « pure et parfaite » du marché libre. Chaque composant de ce système (plante, herbivore, prédateur, décomposeur, etc.), bien qu’ayant des intérêts qui lui sont propres et bien qu’agissant avec des méthodes qui lui sont propres (la coopération, la prédation, la synthétisation, le recyclage, etc.), contribue à l’élaboration et à l’entretien du système, l’intérêt personnel de chacun œuvrant involontairement pour le bien de tous.

La permaculture s’inspire de ces conditions climaciques (du climax), en tentant de s’intégrer au mieux dans cette dynamique naturelle. Elle cherche à tirer profit de l’évolution spontanée du système agraire, plutôt que de la rejeter et la restreindre, en s’y adaptant et en valorisant cette dynamique au profit des besoins humains, depuis les plantes pionnières jusqu’aux arbres de la canopée, [2] et depuis les plus petits insectes jusqu’aux plus gros mammifères. Elle préconise donc, outre les méthodes d’association des cultures, [3] dans le temps et dans l’espace, un travail minimal du sol [4] (mulching, semis direct…), une intervention minimale (ex. : l’utilisation bénéfique des adventices plutôt que l’éradication des « mauvaises herbes »), le tout permettant de maximiser l’efficience et la résilience agronomiques et pédologiques.

Marché efficient et résilient

La résilience est la capacité d’un système à pouvoir passer une catastrophe. L’efficience, quant à elle, est l’optimisation d’un rendement maximum, obtenu avec une dépense énergétique minimale. En agronomie, la permaculture nous permet d’obtenir les niveaux de résilience et d’efficience les plus satisfaisants. Et en économie, le libéralisme est ce qui permet d’obtenir les plus satisfaisants de ces niveaux, car le marché libre est, contrairement à l’intervention de l’État, efficient et résilient, puisque stimulé par la concurrence et la nécessité de rentabilité.

L’agriculture conventionnelle, à l’inverse, est analogue à une méthode étatiste d’agriculture. Elle voit la nature sauvage comme un milieu hostile, peuplé de fauves ou de vermine, qu’il faut intégralement éradiquer par la déforestation, puis le labour et les pesticides, pour n’implanter ensuite que les quelques cultures souhaitées, avec une méthode standardisée et contrôlée, sur un sol considéré simplement comme un support inerte. Mais les conséquences de cette intervention sont génératrices de davantage de problèmes que ceux qu’elle souhaite éradiquer. Et de même que pour un toxicomane, il faut alors constamment augmenter les doses d’engrais et de pesticides. De même, l’intervention de l’État dans l’économie génère plus de problèmes que ceux auxquels elle souhaite remédier, et l’appel à l’intervention en devient exponentiel, tentant de répondre à des problèmes qu’elle a précédemment créés.

Permaculture & Libéralisme

La permaculture et le libéralisme sont donc tout à fait comparables, tant dans leurs approches que dans leurs applications. D’une certaine manière, permaculture et libéralisme ne sont qu’un seul et même ensemble de principes naturels et logiques, qui ont été redécouverts séparément, et mis en application dans deux domaines distincts. Mais ils sont bel et bien les mêmes principes de logique naturelle : ceux de la coopération, de l’adaptation et du laissez-faire. Le système économique, au même titre que le système agraire, trouve sa richesse, sa fertilité et sa stabilité, dans la diversité de ses composants (le profit individuel et la concurrence), dans leur complémentarité (le marché et la coopération) et dans leur successibilité (l’innovation et la « destruction créatrice »). Il trouve son aboutissement dans le marché libre, au même titre que le système agraire trouve son aboutissement dans le climax.

Étonnamment, ce sont donc la permaculture et la science écologique qui ont conduit l’homme de gauche que j’étais sur la voie du libéralisme. La transition à effectuer du socialisme (ou de l’étatisme) au libéralisme [5] est la même que celle à effectuer de l’agriculture traditionnelle à la permaculture : c’est surtout un verrou mental à faire sauter, une inversion de paradigme à accomplir. Il s’agit de cesser de vouloir constamment « garder le contrôle » [6] et de prendre conscience que le marché n’est pas d’avantage un milieu hostile que ne l’est le milieu naturel. Que ce n’est pas un milieu qu’il s’agit de dominer, de restreindre ou de réguler, mais plutôt qu’il s’agit d’un milieu bénéfique auquel il convient de s’adapter, d’un système équilibré, stable et dynamique, auquel nous pouvons faire confiance.

 

Rémy Poix, in Libres !!, 2014

[1] Lovelock, Les âges de Gaïa, Éditions Odile Jacob, 2007

[2] Patrick Whitefield, Créer un jardin-forêt, Éditions Imagine un colibri, 2002

[3] David Holmgren & Bill Mollison, Permaculture 2, Éditions Charles Corlet, 2011

[4] Claude & Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs, Éditions Sang de la Terre, 2008

[5] « La dissidence profonde, irréconciliable sur ce point entre les socialistes et les économistes, consiste en ceci : les socialistes croient à l’antagonisme essentiel des intérêts. Les économistes croient à l’harmonie naturelle, ou plutôt à l’harmonisation nécessaire et progressive des intérêts. Tout est là. » – Frédéric Bastiat, in Justice et fraternité, Pamphlets

[6] « Le bon ordre apparaît spontanément lorsque les choses sont laissées à elles-mêmes. » – Tchouang-tseu (369 à 286 av. JC), Zhuanzi