TOUT LE MONDE AIME LA DÉMOCRATIE
En Occident, au moins.
La démocratie serait l’aboutissement de la politique, le régime au-delà duquel il devient difficile de faire mieux. Le régime où le peuple se gouverne enfin lui-même, libéré de l’arbitraire des despotes de toutes sortes.
En Occident, l’immense majorité des gouvernements sont des démocraties. Ils perpétuent leurs actions en s’en réclamant. Chose étrange toutefois : les opposants à ces gouvernements ont largement tendance à les accuser précisément de la violer, de la corrompre et de vouloir l’abattre … pour mieux ré-instaurer la tyrannie.
De sorte que tous, les partis au pouvoir comme leurs opposants, prétendent défendre le même idéal, la démocratie, tout en étant manifestement incapables de s’entendre sur la définition de celle-ci, ce qui nourrit d’autant mieux les controverses et les disputes entre factions.
Cette situation contribue d’ailleurs à brouiller les cartes, si bien qu’il devient difficile de savoir véritablement ce que la démocratie recouvre, et comment elle se manifeste dans la réalité des hommes.
S’agit-il du droit de vote ? De la liberté d’expression ? Du multi-partisme ? Voire de l’État providence ? Ou simplement de la citation du président Lincoln, du “gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple” ? On trouvera facilement d’illustres avocats pour justifier chacun à leur manière la consubstantialité de la démocratie avec chacun de ces concepts … Et d’autres pour les déboulonner avec autant de vigueur et de détermination.
Celui qui tenterait de définir clairement la démocratie sait qu’il fera jaillir les objections les plus diverses et qu’il prend le risque de braquer son auditoire dans une posture d’opposition et de rejet systématique complètement contre-productive, mais qui n’est pas nécessairement injustifiée par ailleurs.
DÉFINITION
Car en effet, comment discuter d’un objet si nous ne parvenons pas à nous entendre sur sa définition ?
Je vais donc tenter modestement d’en donner une qui, j’espère, ne soulèvera pas trop d’objections.
Partons donc du terme « démocratie » lui-même, formé des deux racines grecques demos et kratos signifiant respectivement « le peuple » et « le pouvoir » ; la démocratie serait donc l’articulation de ces deux concepts et pourrait être résumée au « pouvoir politique du peuple », ce qui nous permet de retomber ainsi sur la citation de Lincoln, ce qui semble convenable pour commencer.
Le pouvoir se définit par le fait de commander, de donner des ordres qui devront être exécutés, même si ça ne fait pas plaisir aux exécutants. Autrement dit, le pouvoir n’est ni plus ni moins, pour un individu ou un groupe, de s’autoriser à décider du destin des autres individus ou groupes, parfois contre leur gré. L’exercice du pouvoir, c’est la coercition. Le fait de contraindre un tiers à obéir (à la loi, au chef, aux décisions de la démocratie), en utilisant la violence physique s’il le faut.
Le peuple est un concept double. Il définit à la fois l’ensemble des individus vivant en permanence dans la cité et la partie du peuple habilitée à exercer la démocratie (les citoyens). Ces derniers sont moins nombreux que les premiers et sont choisis selon des critères arbitraires variés : l’âge, le sexe, la fortune, le lieu de naissance, le métier, etc… Ou une combinaison de tout cela.
Le pouvoir, dans une démocratie, a donc pour origine la petite partie du peuple (les citoyens), et a pour destination la grande partie de celui-ci (l’ensemble des habitants).
Les démocraties se divisent en deux branches : la branche indirecte et la branche directe.
En démocratie indirecte, les citoyens désignent un chef (ou un collège de chefs) pour les gouverner. Les chefs décident et tout le monde obéit. Le pouvoir originel est tout de même supposé venir du peuple (puisque c’est lui qui désigne ses chefs). Autrement dit, en démocratie représentative, le peuple délègue le (son ?) pouvoir aux chefs.
En démocratie directe, les citoyens gouvernement depuis l’assemblée, dans laquelle ils siègent. La majorité décide et tout le monde obéit. Autrement dit, en démocratie directe, les citoyens délèguent le (leur ?) pouvoir de décider aux citoyens majoritaires de l’assemblée.
Voilà une définition suffisamment synthétique qui permet de savoir de quoi il sera question et qui possède le mérite d’être compatible avec des idéaux démocratiques formulés de façon plus détaillés. En effet, il sera toujours possible de rajouter des paramètres à la définition : une condition à la citoyenneté, un mode de scrutin, un fonctionnement en une ou plusieurs chambres, etc. Mais tous ces paramètres sont variables et dépendent évidemment de la façon dont les démocrates souhaitent instituer leur régime.
Ainsi, en bout de course, on retombera toujours sur cette définition très simple mais très opérante, puisque compatible avec toutes les formes de démocraties directes ou indirectes.
LA DÉMOCRATIE PASSE SUR LE BILLARD !
La définition étant posée, pourquoi souhaiter disséquer la démocratie ?
Parce que tout le monde aime la démocratie et en redemande. Parce que la démocratie fait partie de nos idéaux et qu’à ce titre, il paraît raisonnable de la faire passer à la moulinette de l’analyse rationnelle, afin de confirmer qu’elle porte bien en elle l’harmonie, pour vérifier que nous agissons bien, en la cultivant en tant qu’idéal. La dissection de la démocratie permettra de le confirmer… ou de découvrir une réalité complètement différente qui devrait pousser les êtres rationnels que nous sommes à revoir notre jugement à l’égard de ce régime.
Ce sera l’objet de ce petit essai : affûter le scalpel, inciser largement la démocratie et voir ce qu’elle a dans le ventre pour mettre à jour ce qu’elle génère en termes de relation entre les individus. Pour y parvenir, rien de mieux que d’observer la démocratie en action et d’en rapporter crûment les effets que l’on mettra au jour pour ce qu’ils sont.
Certaines observations pourraient être surprenantes, voire choquantes. Aussi, je tenterai de justifier du mieux possible la justesse de chacune d’entre-elles, notamment en répondant par avance aux éventuelles objections qu’elles pourraient soulever.
Toutes ces choses étant dites, au travail !
Scalpel !
LE PROBLÈME DE LA DÉLÉGATION
La démocratie repose sur la délégation du pouvoir de décider à quelques chefs ou aux citoyens majoritaires de l’assemblée, selon qu’il s’agisse d’une démocratie indirecte ou directe. En quoi cela pose-t-il problème ?
Qu’est-ce que la délégation ? C’est l’extension à une tierce personne d’un pouvoir que l’on possède en tant qu’individu. En d’autres termes, c’est missionner un tiers en lui demandant de bien vouloir exécuter une de nos décisions pour notre compte. Le tiers est bien évidemment libre de refuser, mais s’il accepte, alors, il a le devoir de remplir la mission qui lui a été confiée.
DÉLÉGATION ET PROPRIÉTÉ PRIVÉE
Sur quoi repose ce pouvoir de délégation ? Essentiellement sur la propriété privée. Pour rendre ça visible, considérons la situation suivante :
Si je possède un vélo, je peux décider de le repeindre, ou de missionner à un tiers la mission de le repeindre pour moi. Jusque là, il n’y a aucun problème. En revanche, je ne peux évidemment pas décider seul de repeindre le vélo du voisin, pas plus que je ne peux déléguer à un tiers la mission de le faire. Là, il y a quelque chose qui cloche et c’est normal.
Ce qui cloche est qu’une action que l’on peut formuler comme le fait d’interférer avec les choix du voisin par rapport à ce qu’il souhaite faire de son vélo tombe tout naturellement dans la catégorie du vandalisme (voire même dans celle du vol).
Pour que l’action n’y plonge pas directement, alors l’accord préalable du voisin est requis. Pour que cette action ne soit ni un acte de vandalisme ni un vol, il faut que le voisin m’ait délégué la mission de repeindre son vélo ou qu’il m’ait laissé carte blanche sur les questions relatives à la peinture, ce qui revient à peu près au même.
Ainsi, effectivement, on ne peut déléguer que ce que l’on possède. La délégation est bien une extension du pouvoir que l’on possède légitimement en tant qu’individu et la propriété privée fait bien partie de la définition. Propriété privée que l’on peut définir ainsi : le fait de se réserver la jouissance exclusive d’une chose, sans interférer avec la propriété privée d’un autre. La première de toutes nos propriétés privées, c’est notre corps, dont nous sommes le seul et unique pilote.
Que se passerait-il avec un bien sans propriétaire ? Faisons l’expérience : Si je trouve un vélo qui n’appartient manifestement à personne, je peux décider de le repeindre, il n y a aucun problème. Cela dit, il se passera quelque chose de singulier dès lors que je saisis le vélo pour l’amener à l’atelier. En effet, en agissant de la sorte, je viens de m’approprier ce vélo. En le saisissant, je m’en réserve la jouissance exclusive. J’en suis devenu propriétaire.
Et si je missionne un tiers pour repeindre ce vélo pour mon compte (avant que je n’aie posé mes mains dessus), que se passera-t-il ?
Ce tiers accepte la mission (il a donc le devoir de la remplir). Il se saisit du vélo, le repeint et me le restitue. Suis-je propriétaire du vélo ? Je peux m’en réserver la jouissance exclusive (et je n’ai interféré avec la propriété privée de personne) donc ce point est validé. Depuis quand en suis-je le propriétaire ? Depuis que mon délégué a posé ses mains dessus. En effet, le délégué agit pour mon compte. Lorsque ses mains se posent sur le vélo pour l’emmener à l’atelier, c’est bien ma propriété privée qui s’exerce et pas la sienne
Évidemment, si le délégué ne restitue pas le vélo et préfère le garder pour lui, alors il trahit sa mission et son action tombe dans la catégorie du vol.
Supposons maintenant qu’on refuse intégralement la validité du concept de propriété privée. À ce moment là, on vient de formuler une contradiction. En effet, soutenir que la propriété privée n’existe pas est incompatible avec le simple fait de produire une telle assertion, qui suppose a minima la possibilité de piloter son propre corps pour la lui faire articuler. Or, pour piloter notre corps, il nous faut bien en être propriétaire.
Ainsi, la propriété privée fait bien partie de la définition.
Pourquoi est-ce important de discuter de tout ça ?
Parce qu’en démocratie, on prétend déléguer à un chef ou à l’assemblée des citoyens un pouvoir bien singulier, qui est celui de commander au reste de la société. C’est-à-dire de donner des ordres que les individus devront exécuter, même s’ils n’en ont pas envie. Dit encore plus simplement, commander, c’est décider du destin des autres (et des choses qui leur appartiennent) à leur place et donc de nier la propriété privée d’un tiers.
RÉDUIRE L’ÉQUATION AU MAXIMUM
Comment ces quelques considérations se traduisent-elles en démocratie ? Rapporté à l’échelle d’individu à individu, les résultats sont bien singuliers :
En démocratie indirecte, c’est Pierre qui délègue à Paul la mission de repeindre le vélo de Jacques.
En démocratie directe, ce sont Pierre et Paul qui se délèguent à eux même la mission de repeindre le vélo de Jacques.
Où l’on voit à présent très clairement que l’on se trouve dans une situation où quelque chose cloche. Ce qui cloche est que ce qui est présenté comme une délégation de pouvoir ne correspond pas à la définition identifiée un peu plus haut. Pour être très clair, il n’y a pas la moindre délégation identifiable dans ces situations. En revanche, il y a clairement interférence avec les choix de Jacques, par rapport à ce qu’il souhaite faire de son vélo. En effet, dans les deux cas, personne n’a pris la peine de demander son avis à Jacques.
Nous nous trouvons face à une contradiction majeure de la démocratie, où l’on prétend déléguer un pouvoir que personne ne possède légitimement en tant qu’individu, ce qui aboutit à des situations complètement absurdes.
Pourtant, ce type de situation a bien lieu en permanence dans les dizaines de démocraties de par le monde. Maintenant, si ce qui se passe en démocratie n’est pas une délégation de pouvoir alors qu’est-ce que c’est ? Il se passe que l’on repeint les vélos des gens sans le consentement de leurs propriétaires légitimes. Or, nous avons vus plus haut que ce type d’action tombe dans la catégorie du vandalisme ou du vol.
Ce qui est certain est que puisque la démocratie se croit autorisée à violer la propriété de Jacques, elle lui fait évidemment dans tous les cas une injustice.
À ce stade, il me sera objecté plusieurs choses.
L’OBJECTION DU POUVOIR DE JACQUES
La première d’entre-elle sera de rappeler que Jacques a un pouvoir de décision dans cette histoire. En démocratie indirecte, il peut voter pour son représentant et en démocratie directe, il fait partie de l’assemblée et possède autant de pouvoir que n’importe quel autre citoyen et que ce simple fait suffirait à rendre la démocratie justifiable.
Est-ce vrai ? Tout d’abord, il est vrai que Jacques peut voter lui aussi. Mais le fait qu’il siège à l’assemblée ne modifie pas la réalité ni n’annule pas le fait que les citoyens (dont Jacques) n’ont pas pu déléguer un pouvoir qu’ils ne possèdent pas en propre. Maintenant, le fait que Jacques subisse les décisions de la majorité suffit à démontrer qu’il n’a en réalité pas de pouvoir à ce moment précis, puisqu’il se trouve à la merci de la majorité ; une situation qu’il aurait évitée, si, justement, il y avait eu un pouvoir de décision.
À présent, si on décide de mettre cet argument de côté, qu’obtient-on ?
En démocratie indirecte, la sécurité de la propriété privée de Jacques dépend du bon vouloir de quelques-uns, qui disposent de tous les pouvoirs une fois en haut du cocotier. Ils peuvent en effet décider du destin du vélo de Jacques sans le consulter. Ils peuvent décider de le lui laisser, de le repeindre, ou encore de le lui confisquer.
Quant à la situation en démocratie directe, Jacques est devenu actionnaire minoritaire de son propre vélo et se retrouve de fait dans une situation fort similaire à celle de la démocratie indirecte : son vélo peut lui être pris à tout moment, sur simple caprice de l’assemblée.
Dans les deux cas, la propriété privée de Jacques peut être violée à tout moment sur la base d’un raisonnement faux et absurde, puisque, pour être extrêmement clair, déléguer une décision sur une autre propriété privée que la sienne, ça porte un nom, c’est le vol !
L’OBJECTION DU CONSENTEMENT DE JACQUES
Une autre objection qui sera faite à ce qui vient d’être dit serait de dire que Jacques est consentant pour faire partie de la démocratie et qu’à ce titre, il doit en accepter les décisions.
Tout d’abord, le consentement d’un individu à quelque chose se mesure à sa capacité à l’éviter. On peut dire qu’un homme consent à se marier, car il a l’option de répondre « non », à la question fatidique. En revanche, il n’est pas possible de prétendre qu’un homme consent à s’endormir, après une longue et éprouvante veillée, car le sommeil est un état physiologique qui finit tôt ou tard par se manifester et contre lequel il n’est pas possible de lutter, au delà d’un certain point. Autant nous choisissons la vie maritale ou célibataire, autant nous ne choisissons pas de nous endormir ; nous le faisons, car notre corps nous l’ordonne.
Vérifions donc si Jacques est véritablement consentant pour faire partie de la démocratie, en utilisant ce critère d’évitement.
Pour commencer, notons que Jacques est à la merci de la majorité, dans tous les cas. S’il participe à la démocratie comme dans le cas contraire, la démocratie prétend être fondée à lui appliquer ses décisions. Le vote de Jacques ne lui est d’ailleurs d’aucun secours : le fait de voter contre ou de s’abstenir ne le protège en rien des décisions de la majorité.
Ainsi donc, si Jacques est vraiment consentant, alors il devrait pouvoir décider d’éviter les décisions de la démocratie, voire même de s’en retirer complètement. Il devrait pouvoir choisir de ne plus faire partie de l’assemblée (ou de ne plus voter pour les députés) ; de ne plus y contribuer financièrement non plus et, très important, s’il en décide ainsi, il devrait pouvoir conserver 100% de ses propriétés privées et la démocratie ne devrait pas lui courir après pour le forcer à faire ce qu’il n’a pas choisi de faire.
Si toutes ces conditions étaient réunies, cela signifierait que la démocratie n’a en réalité qu’une fonction consultative et qu’elle n’a aucun pouvoir réel de coercition. Un truc comme ça, ce serait plutôt rassurant, pour Jacques et son vélo… Mais une telle assemblée serait-elle encore une démocratie ? Certainement pas. Une assemblée qui ne se définit plus comme « le pouvoir du peuple » mais tout au plus comme « l’avis du peuple » ne peut pas être qualifiée de démocratie.
Partant, si l’on considère que Jacques est obligé de se plier aux décisions de la décisions de la démocratie et qu’il ne peut pas s’en tenir à l’écart, alors, Jacques finira par se retrouver face à la police démocratique qui le sommera de lui remettre son vélo, sous peine de violence. Or, s’il faut forcer Jacques à faire quelque chose, c’est encore une fois une preuve parfaitement claire et suffisante pour démontrer qu’il ne consent pas à la démocratie, à cet instant précis.
Avant qu’il ne soit objecté que Jacques, face à la police démocratique, peut choisir d’accepter la sentence de l’assemblée et laisser son vélo entre les mains des citoyens-peintres, je rappellerai ceci : un libre-choix est une décision prise par un individu qui débouche sur une action de sa part et dont les conséquences concernent le seul individu en question.
Ceci étant posé, si la démocratie vote pour assassiner Jacques, peut-on dire, si Jacques se laisse tuer, qu’il a décidé de se suicider ? À l’évidence non, ce serait absurde, car ce n’est pas Jacques qui a pris la décision, mais les membres de l’assemblée (ou le petit comité de chefs) qui ont décidé ça pour lui. Il est impossible de dire que Jacques a choisi son assassinat, pas plus que de dire qu’il a choisi de faire repeindre son vélo.
C’est bien la démocratie qui a l’initiative ici. Il ne faut pas inverser les rôles et transformer les victimes en coupables. Si la démocratie se croit autorisée à utiliser la violence contre Jacques, alors Jacques n’est pas en situation de libre-choix car il n’a pas l’option de la neutralité. Il est face à une alternative imposée par la coercition. En fait, il se fait agresser, tout simplement.
Pour plus d’arguments sur cette question je renvoie le lecteur à mon podcast intitulé “Ce qu’est un choix librement consenti” où je réponds, je pense de façon assez complète à cette objection, comme quoi, face à l’agression d’un bandit, la victime pourrait choisir de se soumettre.
Quoi qu’il en soit, cet argument affirmant que Jacques est consentant (et qu’il doit donc se plier aux décisions de la démocratie) n’est pas recevable. Le fait que le seul moyen pour contraindre Jacques soit d’utiliser la violence contre lui est la preuve parfaite qu’il n’est pas consentant.
ET SI JACQUES EST PAS CONTENT…
Une autre objection qui pourrait jaillir après ce qui vient d’être dit pourrait être la suivante : Si Jacques n’est pas content, il peut bien s’en aller ailleurs, dans les bois, par exemple.
Cette assertion n’est ni une objection, ni même un argument. Ce n’est qu’une injonction strictement équivalente à « soumets-toi à nous, ou fuis si tu le peux ». Bref, c’est une menace, une promesse de violence, ni plus ni moins.
Donc non, Jacques n’est pas consentant. Il n’est pas dans une situation de libre-choix. Dans tous les cas, ce sont les citoyens de l’assemblée ou les chefs élus qui prennent l’initiative de faire du tort à Jacques et pas Jacques qui prend une décision débouchant sur la perte de son vélo. C’est bien la démocratie qui place Jacques face à une alternative : « soumets-toi ou fuis (ou meurs, si tu résistes) ». Jacques, lui, n’a rien demandé. Il n’a pas l’option de la neutralité face à ce que l’assemblée ou ce que les chef ont décidés pour lui. La charge de responsabilité appartient à la démocratie et non à Jacques, qui en est la victime.
La démocratie est fondée sur un raisonnement faux. La prétendue délégation d’un pouvoir à quelques chefs ou à l’assemblée est une chose impossible, étant donné que les individus qui prétendent déléguer ce pouvoir ne le possèdent pas eux-mêmes à titre individuel.
Les conséquences de cette erreur de raisonnement sont énormes. En effet, s’arroger un pouvoir sur les propriétés matérielles des autres, ça s’appelle le vol ; s’arroger un pouvoir sur les autres personnes (qui sont évidemment propriétaires d’elles-mêmes), ça s’appelle un assaut (une agression, un viol, un assassinat).
Qu’obtient-on avec ça ?
En démocratie indirecte, on observe des foules qui supplient leurs chefs d’aller voler leur voisin et de leur redistribuer une partie du butin.
En démocratie directe c’est encore plus absurde, puisqu’on observe une bande d’individus qui se réunit et qui décide de pratiquer le vol en réunion. Ce qui est singulier dans cette histoire, est que les victimes sont les membres les plus faibles de cette bande de voleurs !
LA DESTINATION DE LA DÉMOCRATIE
Nous avons vus les fondations de la démocratie, qui sont manifestement tout sauf vertueuses. Nous pouvons maintenant passer aux résultats de la démocratie, lorsqu’elle se met en branle. Cette partie peut ressembler à la précédente, Le problème de la délégation et je dois bien reconnaître qu’elle aborde des thèmes très voisins.
Cependant, dans cette partie initiale, il a été démontré que la prémisse de la théorie démocratique est faux. Dans cette partie-ci, je souhaite montrer ce que l’on obtient, lorsque l’on met en place une telle théorie.
Ainsi, si l’on admet en prémisse qu’une assemblée réunie ou qu’un collège de députés peut légitimement pratiquer ce que les individus ne peuvent pas pratiquer sans commettre un vol ou une agression, alors, cela implique plusieurs choses.
DOUBLE STANDARD ÉTHIQUE
D’abord on vient de créer deux catégories d’humains, avec deux standards moraux différents. D’un côté, nous avons des humains de base, hors de l’assemblée. Pour eux, repeindre le vélo de Jacques sans son accord, c’est du vandalisme. En revanche, lorsque ces mêmes humains sont cette fois assis dans les gradins de l’assemblée, alors là, la magie s’opère : si la majorité l’emporte, alors non seulement ce n’est plus du vandalisme de repeindre le vélo de Jacques sans son accord, mais en plus, c’est une grande vertu qu’il faut accomplir.
Autrement dit, une même action, commise par les mêmes personnes est jugée vertueuse ou criminelle, selon qu’elle est pratiquée avec un rituel précis ou non. Au sein d’une assemblée ou par une personne approuvée par la majorité. C’est évidemment de la pensée magique, car la charge morale des actions n’est pas variable et ne dépend pas du point de vue. L’action tuer un innocent ne peut jamais être « bien ».
Pourtant, il faut bien accepter ça, pour défendre la démocratie. Il faut accepter ce prémisse complètement fou, énonçant que la démocratie peut légitimement pratiquer ce que les individus ne peuvent pas pratiquer sans commettre une injustice.
Quel en est le résultat, sur le citoyen moyen ?
Pour commencer, il y a un verrou moral qui saute. Si je le fais tout seul, c’est mal, si c’est la démocratie qui le fait, alors ça va. La seconde catégorie d’humains, ceux qui siègent à l’assemblée ou qui sont députés, eux, se croient donc autorisés à commettre des crimes sans en subir la moindre culpabilité, protégés qu’ils le sont par le rituel démocratique. Théoriquement, ces individus peuvent imposer n’importe quoi à la minorité et dans la mesure où le verrou moral a sauté, le risque est grand que ça arrive, d’autant qu’à l’assemblée, toutes les actions se valent. Car quelle est la limite ? Il n’y en a pas.
Une fois qu’on admet pour principe que l’on peut décider du sort des autres à leur place, sous réserve que le rite démocratique soit accompli dans les règles, alors, il n’y a plus qu’une différence de degré entre repeindre le vélo de Jacques, voler le vélo de Jacques, kidnapper Jacques ou assassiner Jacques.
Ces quatre actions ne violent pas le principe selon lequel, si une décision est votée à l’assemblée, alors, elle doit être exécutée et aucun crime n’aura été commis durant le processus. En effet, le principe n’est pas violé, il est confirmé. Dans les quatre cas, on décide de quelque chose à la place de Jacques ; ces quatre actions tombent bien dans la même catégorie ; celle des décisions démocratiques, donc moralement « propres », du point de vue des démocrates.
C’est évidemment faux, mais pour le découvrir, il faut reconnaître que le principe fondateur de la démocratie, la délégation du pouvoir par les citoyens à la voix majoritaire d’une assemblée est un raisonnement faux. Ce qu’on appelle « délégation du pouvoir à l’assemblée » recouvre une autre réalité : celle de prendre des décisions à la place des autres, ce qui porte le doux nom de prédation.
LA PRÉDATION
Que donne la mise en pratique de la prédation de l’assemblée ou des députés ? C’est tout simple. Nous obtenons la tyrannie de la majorité sur la minorité ou la tyrannie de la plus importante minorité sur tous les autres. Une tyrannie qui sera plus ou moins dure, plus ou moins totalitaire, en fonction de l’empressement des démocrates à pratiquer la démocratie. Voilà la destination de la démocratie.
Jean-David Nau
À suivre : dans la deuxième partie, les objections concernant la société et l’intérêt général seront disséquées.
Paru initialement en version audio sur YouTube.