Le libéralisme en 21 questions – suite 7

Nous poursuivons la série apériodique du superbe ouvrage pédagogique et de synthèse de Thierry Falissard, « Faut-il avoir peur de la Liberté ? », proposant un tour d’horizon du libéralisme authentique en 21 questions progressives.

L’ouvrage, très bon marché, est chaudement recommandé à tout esprit libre avide de découvrir rapidement l’essentiel des concepts, idées, principes de la liberté et de disposer d’une liste riche de références de lectures, pour approfondir.

Il est disponible en vente ici.  Nous en profitons pour remercier l’auteur pour son autorisation, et pour son travail.

L’article précédent est accessible ici. Et le prochain est ici.


8 – Et le collectif, qu’en faites-vous ?

On reproche fréquemment au libéral son individualisme, son incapacité à comprendre ou à accepter le collectif. La société serait pour lui une addition d’atomes individuels qui vivent pour eux-mêmes, indifférents à leur voisin.

Pourtant le libéral ne nie pas que l’homme soit un « animal social. » C’est dans notre relation à autrui, de l’enfance à l’âge adulte, que nous acquérons notre autonomie, émergeons en tant que personne et dépassons le stade d’un insecte social comme l’abeille, dont la vie n’a pas de sens hors de la ruche.

Nation

Nation ? Non, individus ! Nuage de mots.

Dénomination commode

Pour le libéral, tout groupement de personnes n’est qu’une dénomination commode. [1] Un collectif n’est pas un être en soi, on ne peut le percevoir sans percevoir ses membres, et son action n’a d’autre explication que le sens qu’elle a dans l’esprit de chacun de ses membres. Le groupe n’est pas quelque chose qui transcende ses membres. [2] L’individu n’est ni supérieur ni inférieur au groupe, puisque le groupe est précisément constitué d’individus, égaux en droit. Le libéral est donc favorable à toute association entre les hommes et voit dans la coopération sociale une condition de progrès, à condition que le collectif ne prétende pas se substituer à l’individu dans ses choix personnels. [3]

Selon le principe libéral, seules sont légitimes les associations fondées sur le consentement de leurs membres et qui respectent le droit d’autrui. [4]

Pas de limite à l’imagination sociale

La société civile se compose d’un grand nombre de sociétés formelles ou informelles, à but lucratif ou non, qui toutes ont leur raison d’être : associations, entreprises, syndicats, coopératives, mutuelles, églises, confréries, clubs, fondations, communautés, corporations, etc. Il n’y a pas de limite à l’imagination sociale.

Ainsi, rien n’empêche, en régime libéral, un communiste convaincu de créer une communauté communiste pour prouver le bien fondé de ses opinions (la cellule familiale, où prévaut la mise en commun des biens, n’est-elle pas ipso facto communiste ?). Curieusement, la plupart des communistes réclament le pouvoir pour imposer de force leurs vues : cela montre le peu de cas qu’ils font du consentement de l’individu (et l’impossibilité pratique d’imposer le communisme autrement que par la violence).

Le collectivisme (au sens le plus général : l’affirmation de la supériorité du collectif sur la personne) raisonne à partir d’entités abstraites auxquelles il prête une existence indépendante de celle de ses membres, une volonté, des besoins ou des aspirations – ce qui, soit ne correspond à rien de réel, soit est un moyen de justifier les pires atteintes aux droits individuels. Il a du mal à percevoir la différence entre association volontaire et association coercitive (même si, assez souvent, il conçoit clairement les avantages qu’il peut personnellement retirer de ce dernier type d’association).

Nation, un sentiment

Ainsi la nation, en tant que sentiment individuel d’appartenance à une communauté, est pour les libéraux une réalité sociale, mais pas dans le sens où elle nierait ou dépasserait l’individu. La récupération de ce sentiment (par définition subjectif, bien qu’il puisse être commun à de nombreuses personnes) qu’opèrent les politiciens au travers de l’État-nation produit le nationalisme, [5] un type de collectivisme qui est coercitif tant envers les étrangers qu’envers les citoyens. Cela se traduit entre autres par des mesures de « protection » ou des lois sur l’immigration qui contreviennent à la liberté de circulation des personnes. L’État tente de favoriser les « nationaux » par rapport aux « étrangers », croyant faire leur bien, mais ne réussit ainsi qu’à les appauvrir (nous verrons dans la suite que c’est ce qui se passe avec le protectionnisme ou l’État-providence).

D’un point de vue utilitariste, la coopération entre individus produit toujours de meilleurs résultats que la contrainte ou la hiérarchie, dès que le but est bien clair et que chacun agit consciemment dans son propre intérêt. [6]

C’est une constante de la pensée libérale [7] que d’insister sur le fait qu’il n’y a pas besoin de sacrifier l’individu au collectif pour mener à bien tout projet commun. On pourrait même avancer que l’individualisme est un facteur de cohésion de la société : l’égoïsme bien compris de chacun le porte à coopérer avec autrui, [8] ce qui rend inutile et incertaine (si ce n’est nuisible au plus haut point) toute théorie collectiviste.

À suivre…

 

Thierry Falissard

[1] Selon le point de vue « nominaliste », qui s’intéresse davantage à la réalité des entités qu’à leur dénomination, qui n’est qu’une convention.

[2] Comme le prétend le « holisme », qui voit le tout social comme une réalité supérieure. De même quand nous parlons ici de l’État, nous devrions souvent dire plutôt les « hommes de l’État. »

[3] Notons que selon le théorème d’Arrow (1951) il est impossible d’agréger les choix individuels en un choix collectif cohérent.

[4] Car une association de malfaiteurs n’est pas légitime. Pour les anarchistes libéraux, cela s’applique aussi à l’État.

[5] Dans le sens d’une idéologie qui affirme la primauté de l’intérêt de la nation sur toute autre considération.

[6] Les animaux (autres que les insectes sociaux) sont amenés à coopérer spontanément sans coercition ni hiérarchie (et sans que leur survie en dépende comme dans la symbiose). Un exemple bien connu est celui des nuées d’oiseaux en vol (voir Crouzet, op. cit, sur les travaux de Craig Reynolds).

[7] Chez Mandeville (le bien commun résultant de la licence), Smith (la main invisible), Hayek (l’ordre spontané), Bastiat (les harmonies économiques), etc.

[8] Voir l’œuvre de Robert Axelrod, « L’évolution de la coopération » (1984) et sa version itérative du dilemme du prisonnier sur l’intérêt de coopérer.