Le libéralisme en 21 questions – suite 3
Nous poursuivons la série apériodique du superbe ouvrage pédagogique et de synthèse de Thierry Falissard, « Faut-il avoir peur de la Liberté ? », proposant un tour d’horizon du libéralisme authentique en 21 questions progressives.
L’ouvrage, très bon marché, est chaudement recommandé à tout esprit libre avide de découvrir rapidement l’essentiel des concepts, idées, principes de la liberté et de disposer d’une liste riche de références de lectures, pour approfondir.
Il est disponible en vente ici. Nous en profitons pour remercier l’auteur pour son autorisation, et pour son travail.
L’article précédent est accessible ici. La question suivante se trouve ici.
4 – Quels sont mes droits ?
L’éthique libérale aboutit en pratique à l’énoncé d’un certain nombre de droits dont chacun d’entre nous est censé disposer. Il ne s’agit plus alors de préconiser le bien ou de déconseiller le mal, mais de favoriser ce qui est juste et d’empêcher l’injuste, quitte à corriger une situation injuste (et donc immorale) par la force s’il le faut.
On voit donc apparaître deux fonctions sociales importantes et complémentaires, qui relèvent du droit : la justice, qui doit trancher entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas ; la sécurité [1], qui est l’emploi de la force pour assurer le respect du droit. Pour parler plus simplement : des tribunaux qui règlent les conflits, et des polices qui font respecter le droit et les décisions de justice.
La notion de droit, comme celle de liberté, est, du point de vue libéral, entièrement négative : chacun a le droit de faire tout ce qui ne « nuit » pas à autrui. Ce droit négatif se décline en un certain nombre de droits avec un contenu positif qui en sont la manifestation concrète.
Ces droits, il est important de le souligner, ne sont pas octroyés par un pouvoir quelconque : ils existent même en l’absence de pouvoir chargé de les faire respecter. En ce cas, l’individu, livré à lui-même, doit faire respecter ses droits seul – tâche malaisée (ce qu’on appelle parfois « état de nature » n’est pas de tout repos : même au Far West on avait recours au shérif).
Le pouvoir est seulement chargé d’assurer ces droits, qu’on qualifie de « naturels », car ils ne tiennent qu’au fait qu’on soit un être humain [2]. L’égalité en droit est implicite, puisque ces droits concernent tous les hommes au même degré, indépendamment de leur origine, leur race ou leurs différences.
Les droits naturels
La liste de ces droits « naturels » est courte :
- droit à la vie (d’où découle la légitime défense) ;
- liberté (d’action, d’expression, d’association, de choix, etc.) ;
- droit de propriété (examiné ultérieurement).
Ces droits sont absolument non négociables : leur violation est toujours illégitime et immorale.
Il est possible d’allonger la liste des droits dans la mesure où les droits minimaux sont respectés et où les nouveaux droits ne lèsent personne : le droit des uns ne peut être un devoir non consenti par les autres, selon le critère de non-nuisance. Il n’y a pas de « droit à habiter un palais », ni de « droit à avoir une voiture avec chauffeur », ni même de « droit à avoir trois repas par jour » – sauf à se les payer soi-même si on le peut. Tout « droit » qui entraîne un de-voir positif de la part d’autrui est suspect a priori.
Si ces droits de l’homme sont bien compris de nos jours – encore qu’ils soient fréquemment violés – il n’en a pas toujours été de même par le passé. Le concept de droit naturel remonte à l’Antiquité (Aristote, le stoïcisme [3], Cicéron [4]), la même Antiquité qui pratiquait l’esclavage. Le Moyen-âge et la Renaissance en ont précisé la notion, alors que la persécution religieuse était intense. Le jusnaturalisme moderne, issu de John Locke [5] (et en partie de Thomas Hobbes [6]), n’a pas empêché au XXe siècle le totalitarisme communiste ou nazi, ces régimes qui imposaient à tous l’adhésion à une idéologie unique et qui contrôlaient jusqu’à la pensée de leurs sujets (antithèse exacte du libéralisme).
Le droit « positif »
L’éthique libérale minimale conduit ainsi à la notion de droit naturel, ou droit moral, qui est une clé pour comprendre le libéralisme. Or, en pratique, c’est un tout autre droit qui s’applique : le droit positif [7], ou droit légal, celui que promulgue le pouvoir en place. Un droit moral ne sert à rien sans un pouvoir qui le fasse respecter par un droit légal, avec des tribunaux et des polices. Dans le meilleur des cas, les deux droits coïncident : le meurtre, la violence, le vol, la séquestration sont ainsi réprimés dans toutes les régions du monde.
Cependant le droit positif peut grandement s’écarter du droit moral, soit qu’il reflète en réalité une oppression instaurée par le pouvoir lui-même, soit qu’il traduise une morale autre que la morale minimale. Car même en dictature peut s’appliquer un certain droit (pour injuste qu’il soit, par exemple la Constitution soviétique garantissait un certain nombre de « droits »). À quoi bon alors un « droit moral » ?
Le droit moral, même s’il n’a pas de traduction concrète, s’instaure en juge suprême du droit légal : même s’il est impuissant à changer les choses, il montre une voie vers ce qu’il faudrait faire. C’est le côté le plus révolutionnaire du libéralisme. Nous aurons l’occasion d’examiner les injustices liées au droit positif, et les rectifications que propose le libéralisme.
Il nous faut à présent regarder ce qu’il en est de ce pouvoir, nécessaire pour sauvegarder le droit, et de sa traduction actuelle dans une organisation structurée, l’État.
À suivre…
Thierry Falissard
[1] Nous utilisons ce terme bien que celui de « sûreté » (protection contre l’agression), qui figure dans la Déclaration française des Droits de l’homme et du citoyen (art. 2), soit peut-être plus approprié.
[2] Par opposition avec l’animal ou à la chose, qui n’ont pas de droits équivalents, par opposition aussi avec des « droits » artificiels, arbitraires. Ce « droit naturel » n’implique pas l’existence d’une « nature humaine » invariable, voir Murray Rothbard, « L’Ethique de la liberté » (1982), Introduction.
[3] « Un État juridique fondé sur l’égalité des droits, donnant à tous un droit égal à la parole, et une royauté qui respecterait avant tout la liberté des sujets. » (Marc-Aurèle, « Pensées »)
[4] « Une seule loi éternelle et invariable sera valide pour toutes les nations et en tout temps. » (Cicéron, « De Republica »)
[5] John Locke (1632-1704), philosophe anglais, auteur de la « Lettre sur la tolérance » et des « Traités du gouvernement civil » (1690), un des fondements philosophiques du libéralisme.
[6] Thomas Hobbes (1588–1679), philosophe anglais, auteur du « Léviathan » (1651), traité politique où il expose le concept d’un souverain absolu pour faire cesser l’état de nature, « guerre de tous contre tous ».
[7] Positif car il est « posé » (jus positum), il existe réellement, alors que le droit moral est théorique.