Article 4, Article vain 4
Grand bruit est fait en France – mais pas assez – de la loi de « sécurité globale » et son infâme Article 24. Si fort est le tumulte qu’on en a parlé outre-Manche, sur le mode shocking et consterning. Car la comparaison des mœurs policières à Londres, où j’habite, et en France, mon pays, couvre de honte mes concitoyens. Le combat contre cette loi est une priorité, bien plus que le rejet du confinement, selon moi. Celui-ci se terminera inévitablement, celle-là restera dans les textes. Les libéraux, prompts à débiner la bureaucratie d’Etat, sa petitesse et ses mesquineries, se trouvent ici face au bras armé de l’Etat, celui qui peut frapper, mutiler et tuer. Voilà l’enjeu.
Tel qu’adopté en première lecture, le texte prévoit de pénaliser d’un an de prison et d’une lourde amende la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en intervention, lorsque cette diffusion peut « porter atteinte à son intégrité physique ou psychique ».
L’argument est donc la vulnérabilité des policiers. Si, sérieusement. Ces hommes et ces femmes, entrainés au combat, armés, casqués, cuirassés d’un gilet pare-balles, et cachés derrière un bouclier, sont « fragiles ». « Il faut protéger ceux qui nous protègent », réclame le ministre des hommes en bleu, Mr Darmanin. Mais qui nous protègera de ceux qui nous protègent ? Qui custodiet ipsos custodes ? reste une des grandes questions de la philosophie politique depuis l’Antiquité.
Car les détenteurs de l’autorité qui nous protège, ces policiers légalement armés contre des citoyens légalement désarmés, disposent d’un immense pouvoir, littéralement de vie et de mort. Tant que l’Etat existe, cette asymétrie restera dans l’ordre des choses. Mais avec tout pouvoir vient des responsabilités. Il faut que les policiers soient responsables de leurs actions, comptables de leurs manquements à la discipline, tenus coupables de leurs bavures. Il en va de notre sécurité à tous.
Qui nous protège, nous ? Le droit ?
Notre premier niveau de protection est juridique. Nous sommes d’un pays qui se glorifie d’avoir proclamé des droits identiques pour tous les êtres humains. Ce qui est une violation du droit pour l’un l’est pour tous. Or, dans la relation des citoyens avec leur police, ce principe est bafoué sans vergogne. Giflez un policier, vous serez menotté, battu, jeté dans un fourgon, traîné au poste, écroué. Un policier vous gifle : est-ce que ses collègues le menottent, l’embarquent, le collent au trou ?
Or si la définition d’une violation du droit ne change pas, le bon sens et la pratique juridique veulent que la responsabilité de l’auteur soit aggravée lorsqu’il est détenteur d’une autorité quelconque : un patron sur un employé, un prof sur un étudiant, un prêtre sur une de ses ouailles… Non seulement la responsabilité des policiers n’est pas aggravée dans les actes de violence qu’ils commettent, elle n’est même pas engagée, ou très rarement.
Qui nous protège, nous ? L’IGPN ?
Notre deuxième protection pourrait donc venir de l’institution elle-même, de sa volonté et sa capacité à discipliner son personnel. Or elle faillit totalement à cette mission. Certes, elle n’est pas facile. Le milieu est criminogène. Policiers et gendarmes opèrent dans un environnement malsain, tels les soignants de maladies contagieuses, courant le risque de devenir contaminés eux-mêmes, infectés par ceux qu’ils traitent. À fréquenter les voyous, ne devient-on pas un peu voyou soi-même ?
La discipline stricte au sein de l’institution devrait écarter la tentation. Cette discipline est confiée à l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), placée sous l’autorité du Ministre de l’Intérieur, chargée d’instruire les plaintes déposées contre des policiers placés sous la même autorité.
Inutile de lire les rapports du Conseil de l’Europe et d’Amnesty International, les articles du Monde et de Mediapart, les émissions télévisées Compléments d’enquête et Envoyé spécial, et tous les autres dossiers recensés sur Wikipedia pour apprendre ce que le sens commun rendait évident déjà – des policiers assurant la police parmi les policiers, des flics jugeant des flics, il est évident que l’esprit de corps et la solidarité prévalent sur la justice.
Qui pour nous protéger, alors ? L’opinion publique
Le ministre Darmanin a raison. Les policiers sont vulnérables. Et il faut qu’ils le soient. Il faut que leur visage soit bien reconnaissable, que leur matricule soit bien visible, il faut que chacun puisse les identifier sur les photos et vidéos témoignant de leurs actions. On peut renvoyer au ministre et ses policiers l’argument qu’ils nous servent pour espionner notre vie privée : « Si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre. »
Si les policiers faisaient leur boulot de maintien de l’ordre, sans matraquages de corps à terre, sans tirs tendus de balles de défense visant les visages, sans tabassages, si les policiers traitaient avec respect les citoyens que nous sommes, sans racisme ni mépris, s’ils prenaient conscience une seconde par jour que nous les payons pour notre sécurité, et pas pour être humiliés, alors qu’ils soient filmés, photographiés, que les images se multiplient sur les réseaux sociaux, qu’importe. N’ayant rien à cacher, ils n’auraient rien à craindre. Au contraire. Chacun verrait l’exemple d’une police exemplaire.
Mais puisque l’IGPN ne fait pas son travail, puisque les flics jouissent d’une impunité certaine, ou dans le pire des cas pour eux d’un régime d’indulgence, d’un « blâme », là où partout ailleurs ce serait une mise à pied, d’une « suspension », là où partout ailleurs ce serait un renvoi, ne risquent quasi jamais un licenciement, là où partout ailleurs ce serait le passage par la correctionnelle et la prison, puisque la discipline interne ne nous protège pas, il faut compter sur la sanction de l’opinion publique. Sans la vidéo de leur méfait qui a fait le tour du monde, les assaillants de Michel Zecler mèneraient leur traintrain de vie, en attente de leurs prochains galons.
Lire la réprobation dans les yeux
Il faut que « l’intégrité psychique » des matraqueurs soient ébranlée. Il faut que les plus violents lisent la réprobation dans les yeux d’autrui, dans la rue, au supermarché, au café, que leurs amis se détournent, que leur conjoint se révulse à leur approche, que leurs enfants éprouvent la gêne … N’est-ce pas ainsi que des gens normaux doivent se comporter devant des brutes ? Lorsque l’institution couvre le crime, ne faut-il pas que les citoyens le dévoilent ? Lorsque l’institution démissionne devant la responsabilité de punir, n’appartient-il pas à l’opinion publique de lui faire honte ?
Ceci n’est pas un appel à la violence physique. Ceux qui veulent « se faire un flic » ne ratissent pas internet pour trouver leur victime. Leur cible règle la circulation au carrefour, ou se tient en faction devant un ministère. On caillasse les policiers parce qu’ils sont policiers, on ne les choisit pas. C’est bien là le problème. On ne parle pas de quelques ripoux ici ou là, le corps entier est gangrené. L’institution entière est en cause, doit être repensée et refondée. Les Français n’ont plus confiance dans leur police. Et ce n’est pas en assurant l’impunité de ses agents qu’elle va la raviver.
Christian Michel
PS: Il faut que je raconte celle-ci. Juste pour souligner le contraste. Un policier britannique, trop malin, a scanné un code-barres de carottes à 7 pence (10 centimes d’euros) au lieu d’une boîte de Donuts Krispy Kreme à 9,95 livres (plus de 11 euros). Ses supérieurs ne se sont pas fendus d’un rire complice, ses collègues n’ont pas applaudi l’astuce. Ce policier n’a pas reçu un avertissement. On ne l’a pas suspendu. Il a été viré. Sec. Pour une entourloupe de onze euros. La police est respectée ici, parce qu’elle fait [du moins plus qu’en France] ce qu’il faut pour le mériter.