« Le libéralisme ne propose pas un mode de vie, il offre la liberté, afin que chacun soit libre d’adopter et d’agir selon ses propres valeurs et principes moraux. » – Murray Rothbard, 1980

Michéa et la légende d’une neutralité morale du libéralisme

En France, depuis quelques années, un professeur de philosophie s’est fait l’apôtre de l’antilibéralisme : Jean-Claude Michéa. L’avantage de Michéa, c’est qu’il résume très bien tous les griefs faits au libéralisme, par la gauche comme par la droite.

Le libéralisme est accusé par Michéa d’être un agnosticisme moral et une résignation au moindre mal. Selon lui, « le libéralisme, c’est d’abord cela : la libération des pulsions et des passions. » Les conservateurs applaudissent Michéa pour sa défense passionnée des traditions, des valeurs morales et culturelles. Et avec Michéa, ils plaident pour l’intervention de l’État en matière morale et religieuse.

À l’encontre de cette caricature, le libéralisme ne se confond pas avec le libertinisme, ou avec l’hédonisme, ni avec une indifférence à l’égard du bien ou du mal. Car c’est une doctrine fondée sur un corps de principes. Le libéralisme est une philosophie politique qui se propose de défendre la liberté comme la fin sociale la plus noble à atteindre. Il n’a pas la prétention d’être une théorie morale complète, ni une philosophie de la vie. Il est seulement une théorie politique qui traite du rôle de la violence. Le libéralisme soutient que la liberté est un droit naturel et que le seul rôle approprié de la violence est de défendre la personne et ses biens contre la violence. Ainsi, tout usage de la violence qui va au-delà de cette défense est une agression, injuste et criminelle.

Tous les libéraux affirment, avec la tradition occidentale issue de la philosophie grecque, qu’il existe une rationalité morale et que le bien et le mal ne sont pas des notions arbitraires, relatives à l’opinion ou à l’époque. Ainsi, l’initiative de la violence contre autrui est toujours moralement condamnable, car elle détruit le fondement même de la rationalité : la discussion argumentée. Le viol détruit le principe du libre consentement, privilège des animaux doués de raison. Le vol détruit le principe de la propriété, fondée sur le travail, c’est-à-dire sur le libre exercice de nos facultés. En bref, le libéralisme s’appuie sur une morale sociale objective, qui interdit de faire – d’initier même – tout ce qui porte atteinte à l’intégrité physique et mentale d’autrui.

En conséquence, la loi a pour unique rôle de faire respecter les contrats, par la force si nécessaire, et d’assurer la défense des personnes et des droits de propriété privés. Elle condamne l’injustice et prescrit la justice. Elle n’a pas pour objet de rendre les hommes vertueux ou sages. Elle n’a pas pour objet de faire le bonheur des gens. Toutefois, elle a bien une dimension morale dans la mesure où elle a pour objet la justice dans la vie en société, au moins dans ses principes généraux.

moralité

Moralité et Tolérance du Libéral – Nuage des mots de l’article.

La moralité et la tolérance libérale

La tolérance libérale n’est donc pas une tolérance au mal. Elle consiste à respecter les divergences d’opinion. Elle est fondée sur une option en faveur de la liberté, de la justice et de la dignité humaine. Ainsi, tout usage de la menace, de la contrainte ou la violence contre autrui devrait être déclaré illégal. L’esclavagisme, le kidnapping, le viol ou le meurtre sont des comportements criminels, parce que leur victime est brutalisée, dans son corps comme dans son esprit.

Mais il faut ajouter aussitôt que tout comportement qui ne viole pas le droit d’autrui devrait être légal, y compris les comportements jugés immoraux par la morale traditionnelle. Par exemple, toutes les formes de négation de soi comme la bestialité et le sadomasochisme, la prostitution et la toxicomanie. Même si la raison peut réprouver ces comportements nihilistes, tant qu’ils n’impliquent pas l’usage de la force de coercition contre autrui, la loi n’a pas à leur opposer la force punitive, ni incarcération, ni contravention. Selon la tradition libérale classique, la loi n’a pas à se prononcer sur les mœurs privées, tant qu’elles ne portent pas atteinte aux droits d’autrui. L’État ne doit pas faire le bien des gens à leur place. Pour les libéraux classiques, comme pour les libertariens américains, la loi a une fonction exclusive : assurer le respect des droits individuels et punir les atteintes à ces mêmes droits.

Chacun doit respecter les choix pacifiques des autres et défendre ses opinions par l’argumentation, non par la menace ou l’intimidation. Qu’un mode de vie ou une action particulière puisse déplaire n’est pas un motif suffisant pour en légaliser l’interdiction.

Néanmoins, refuser la censure ne signifie pas non plus légitimer l’immoralité. Ce n’est pas parce que certaines actions sont légales qu’on ne doit pas, à titre personnel, prendre position sur leur valeur morale ou qu’on ne doit pas les combattre, par la discussion et la conviction. Ce n’est pas parce qu’on refuse de criminaliser les vices qu’on doit rester moralement neutre vis-à-vis de tels comportements. Tolérance légale oui, relativisme moral non. Être un partisan inconditionnel du libre marché ne signifie pas pour autant que l’accroissement des possibilités de consommation, permises par ce libre marché, oblige à adopter un mode de vie matérialiste.

Il n’est pas possible de comprendre l’essence de la philosophie politique libérale sans voir qu’elle a toujours été historiquement définie par une rébellion authentique contre l’immoralité de l’État, contre l’injustice de la spoliation légale et du monopole juridique.

Dans une société de liberté, le gouvernement serait restreint à l’administration des droits. Par conséquent, il ne disposerait pas d’un système de protection sociale obligatoire, il ne ferait pas de lois anti-trust, ni de lois anti-drogue. Cela ne signifie pas qu’une société libre n’aurait pas d’assurance chômage ou de pension de retraite, ou qu’elle ne ferait pas de campagnes visant à réduire l’usage de stupéfiants.

Couverture de Libres !

Mais si les gens voulaient un de ces services, ils auraient à l’organiser et à le réaliser eux-mêmes volontairement, par des contrats individuels et des associations libres. Et personne n’aurait le droit – ni la possibilité – de faire valoir ses préférences sur les autres par la violence de l’État.

 

Damien Theillier, in Libres !, 2012