« Si un échange entre deux parties est volontaire, il n’aura lieu que si les deux pensent qu’ils en tireront profit. La plupart des erreurs économiques découlent de l’oubli de cette idée, de la tendance à supposer qu’il y a un gâteau figé, qu’une partie ne peut gagner qu’au détriment de l’autre. » – Milton Friedman, 1990
Réalité des faits
Si les délocalisations apparaissent souvent pour l’opinion publique comme les effets cyniques d’un capitalisme destructeur d’emplois, c’est sans aucun doute parce que seule cette conséquence de courte vue est largement médiatisée. La réalité des faits tranche pourtant nettement avec cette vision un peu simpliste.
Le Dictionnaire Larousse présente les délocalisations comme étant « le déplacement d’unités de production d’un pays vers un autre lié à la recherche d’un coût de production plus bas. » C’est un peu réducteur, puisque de nombreuses entreprises délocalisent pour accéder à des compétences, des infrastructures et un marché local qui leur permettent d’accélérer leur développement. Ou pour réduire leurs frais de transport, simplement.
L’économie des pays occidentaux s’est très largement transformée au XXe siècle, d’une part en diminuant la masse salariale au sein du processus de production et d’autre part en réduisant la part de la production de biens au profit de la production de services. Ce phénomène dit « de destruction créatrice » est, selon l’économiste Joseph Schumpeter, la principale caractéristique du capitalisme – même si ce point précis peut faire débat.
Une usine qui ferme ses portes est un spectacle cauchemardesque à la fois pour les salariés, leur famille et bien souvent pour tout le tissu économique qui dépendait en partie de cette activité. Ce sentiment « d’injustice » est d’autant plus important quand il s’agit d’une délocalisation. La médiatisation de ce drame, qu’il ne s’agit pas de minimiser, masque pourtant d’autres faits qui doivent permettre au lecteur de les relativiser.
La destruction d’emplois liée directement aux délocalisations représentait entre 1993 et 2003 moins de 14.000 emplois par an sur les 6,8 millions d’emplois dans le secteur secondaire, en France. [1]
Les délocalisations, quand la raison est une économie du coût de production, permettent de diminuer les coûts de revient, et associées au phénomène de concurrence, elles offrent aux consommateurs des pays occidentaux des produits moins chers.
Étant donné que les revenus ont évolué plus vite que l’inflation, le pouvoir d’achat supplémentaire profite largement à des industries innovantes notamment dans les Nouvelles technologies de l’information et de la communication, ainsi qu’aux services notamment liés aux loisirs.
Budget des Français
Sur les 10 dernières années, les budgets des foyers français ont évolué en conséquence, on constate une diminution relative des dépenses de 35,3% pour le textile, de 13,4% pour l’alimentation, contre une augmentation de 31% dans la santé, 27,2% dans le logement et 13,4% dans les communications et les loisirs. [2]
Le coût d’achat d’un bien ramené en temps de travail permet de constater par exemple qu’il fallait travailler 15,5 mois en 1991 contre 11,5 mois en 2011 pour l’acquisition d’une voiture de gamme identique ; pour un vol Paris – New York, comptez 118 heures de travail contre 10 heures en 2011, ceci grâce au low cost (une forme de délocalisation).
Par contre, notre célèbre baguette de pain nous coûte toujours 8 minutes de travail, soit autant qu’en 1991. [2] Il est plus difficile de la délocaliser.
Nous dépensons moins dans les produits manufacturés à faible valeur ajoutée et reportons notre consommation vers les services, avec comme conséquence principale la création d’emplois plus qualifiés. Le secteur tertiaire peut également faire l’objet de délocalisation, comme les centres d’appels, mais la majorité des emplois créés restera dans les lieux de consommation ou proches des centres névralgiques de l’entreprise.
De plus, un facteur qu’on oublie souvent, les délocalisations d’entreprises occidentales dans les pays émergents ont apporté à ces derniers des emplois et un taux de croissance du PIB bien supérieur au nôtre. Or, cet autre côté du miroir nous est aussi bénéfique.
Bien plus efficaces qu’une aide humanitaire qui maintient un pays sous perfusion, l’implantation d’unités de production crée de la valeur ajoutée pour le pays concerné. Si les conditions de travail des ouvriers dans les pays émergents peuvent choquer, il faut se féliciter de l’amélioration de leur situation, bien plus rapide que celle qu’ont connue les pays occidentaux pendant les révolutions industrielles.
Le social qu’on ne voit pas
Or, et c’est là l’essentiel à long terme, nos industries exportatrices profitent directement de la croissance de ces pays, pas uniquement l’industrie du luxe et du tourisme. Ainsi, les Apple Stores en Chine ont connu des émeutes lors de leur première ouverture.
En d’autres termes, participer au développement des pays émergents est sans doute la voie la plus efficace pour réduire les inégalités Nord–Sud, un thème « social » qu’on occulte pourtant souvent.
Du point de vue environnemental, les normes des pays occidentaux conduisent les producteurs locaux à faire évoluer leur mode de production, notamment quant au choix des matériaux, les amenant par exemple vers des standards de production plus respectueux de l’environnement. Préoccupation que nous n’avions pas lors de notre révolution industrielle, que nous n’aurions probablement pas apprécié de nous voir imposée et qui illustre une autre facette positive mal reconnue des délocalisations.
La recherche de production à bas coût est donc bien loin d’être la seule raison des délocalisations. La recherche de nouveaux marchés, d’infrastructures et de compétences peuvent amener des dirigeants à vouloir s’implanter dans certaines régions du monde, y compris dans des pays occidentaux, avec toujours à la clef des créations d’emplois.
Enfin, bien souvent, les délocalisations sont dues aux fiscalités et réglementations folles des pays occidentaux. Il est vrai qu’elles sont dans ce cas néfastes parce que les créations d’emplois dans les autres secteurs, tels les services, tardent à les compenser. Mais la seule solution n’est pas d’interdire la délocalisation, mais bien de faire maigrir l’État.
Frédéric Vanderplancke, in Libres!, 2012
[1] INSEE – « Délocalisation et réduction d’effectifs dans l’industrie française. »
[2] Mensuel CAPITAL d’Août 2011 – Dossier anniversaire 1991-2001