Mythe du 1%
L’inégalité serait le fléau du XXIe siècle. 1 % de la population, les plus riches, accaparent les richesses. C’est la faute au capitalisme ! C’est une « évidence » qu’on nous ressasse. Mais analysons plutôt la situation.
Chaque jour, on nous affirme et martèle que les inégalités augmentent en France et partout sur la planète ! En cause, l’accaparement de la richesse par les 1% les plus riches. La part de richesse qui leur revient serait chaque année plus importante, conduisant à une augmentation des inégalités. Ce constat est fait notamment par le célèbre « économiste » Thomas Piketty, qui appelle à une grande redistribution pour rétablir la « justice sociale ».
On ne peut s’empêcher de constater que cette rhétorique est géniale. Elle insinue que tous, nous sommes exploités, sauf 1% de la population, par les « riches », dont on ne sait trop qui ils sont. Chacun peut ainsi considérer qu’il n’a pas son dû, et qu’il est en droit de réclamer. D’un point de vue politique, ou populiste, c’est vraiment génial !
Vive le marxisme
Cependant, qu’en est-il réellement ? Replaçons d’abord cette rhétorique dans son contexte idéologique. Elle n’est pas née par hasard, et, surtout, elle n’est pas récente. Piketty ne fait en effet que reprendre la rhétorique marxiste de la concentration inéluctable des moyens de production. Selon les marxistes, le capitalisme entraîne, inévitablement, un mouvement de concentration des moyens de production, notamment pour obtenir des économies d’échelle.
Concentration des moyens de production, cela signifie concentration du capital, et donc de la richesse, et donc des revenus qui vont aux plus riches. Piketty remet au goût du jour cette thèse, en employant des termes plus modernes. Et en l’agrémentant de statistiques, cela fait toujours mieux.
Evidemment, évoquer le marxisme, ça fait tout de suite moins moderne. Et moins sérieux surtout. Le marxisme prétend sortir les masses de l’exploitation, mais il a créé les pires catastrophes sociales là où il a été appliqué. Encore aujourd’hui, un terrible exemple nous est donné par le Venezuela. De plus, on attend cette fameuse concentration des richesses depuis deux siècles déjà, en vain. Car le développement de l’économie de marché entraîne, au contraire, le développement de la classe moyenne.
Enfin, il est toujours croustillant d’entendre des marxistes dénoncer les inégalités. À vrai dire, ils en sont les vrais spécialistes. Les pays marxistes sont les plus inégalitaires qui soient. Alors que les populations subissent des pénuries, le sort de leurs dirigeants est totalement différent. La famille Castro n’est pas réputée pauvre, de même que la famille Chavez. En URSS, les dirigeants disposaient d’un confort inconnu du peuple. Celui-ci devait s’entasser à plusieurs familles différentes dans des appartements communs, tandis que ceux qui contrôlaient la production contrôlaient le marché noir, et s’enrichissaient sur le dos du peuple.
L’inégalité cause de pauvreté
Cette dénonciation des inégalités sous-entend un lien entre inégalité et pauvreté. Les travailleurs seraient maintenus dans la misère par l’exploitation capitaliste. Examinons si ce lien existe, par une comparaison entre les Etats-Unis et la France. Les chiffres sont ceux de l’OCDE.
Le taux de pauvreté monétaire en France en 2017 s’élève à 36,9%. Il s’agit du taux de pauvreté monétaire à 50%, c’est-à-dire que 36,9% de la population a un revenu inférieur à 50% du revenu médian. Le revenu médian sépare la population en deux parties. La moitié de la population gagne plus que le revenu médian, l’autre moitié gagne moins.
Donc 50% du revenu médian devrait être proche de 25% de la population, mais au contraire en France il y a bien plus de gens dans la tranche la plus basse (36,9%). Pour les USA, ce taux de pauvreté s’élève à 26,8% en 2017, très proche des 25%. Donc, nous avons un taux de pauvreté bien plus important en France qu’aux USA, pays réputé pourtant capitaliste et inégalitaire.
Bien sûr, le taux de pauvreté monétaire est un indicateur discutable. Il ne mesure pas la pauvreté réelle, qui peut être définie par l’absence de biens ou services essentiels. Le taux de pauvreté monétaire peut baisser quand le salaire médian baisse, ce qui est gênant pour une mesure de la pauvreté. D’autre part, que peut-on s’acheter avec la moitié du revenu médian dans deux pays différents ?
En plus, les USA sont un pays fédéral. Par exemple, avec le même revenu, vous pourrez avoir une grande maison, une voiture pour chaque membre de la famille en âge de conduire, dans un état comme le Kansas, et pourriez être un sans-abri en Californie, état démocrate, progressiste, dont la réglementation limite les constructions d’habitations au point de mettre à la rue des gens aux revenus fort corrects. Contestable, ce taux n’en reste pas moins l’indicateur privilégié au niveau international.
Il est intéressant de mettre en rapport cet indicateur de pauvreté avec l’indice d’inégalité. On dit l’inégalité mesurée par l’indice de Gini. Plus cet indice est proche de zéro, moins il y a d’inégalités dans un pays. Plus il se rapproche du chiffre un, plus il y a d’inégalités. En France, le coefficient de Gini s’élève à 0,519 en 2017, et aux USA à 0,505, selon l’OCDE. Des niveaux proches.
Ce que montrent ces chiffres, c’est la totale absence de lien entre inégalités et pauvreté. Les USA et la France ont un taux d’inégalité équivalent. Mais la France a un taux de pauvreté beaucoup plus important.
En France, la politique est de compenser la pauvreté engendrée par le système économique par la redistribution, plutôt que de réformer le système socio-économique. Sous l’effet de cette politique, le taux de pauvreté, après redistribution, en France, passe de 36,9% à 8,1% en 2017. Ainsi, 28,8% profiteraient de la redistribution, plus d’une personne sur quatre. Est-ce une réelle justice sociale quand un quart, au moins, dépend de la fiscalité imposée aux autres ?
Les USA, pays où le taux de pauvreté est nettement moins élevé qu’en France, pratiquent moins la compensation. Ainsi, le taux de pauvreté après redistribution passe de 26,6% à 17,8% en 2017. Quel est le pays le plus juste ?
L’inégalité a augmenté dans le monde
Le marxisme prétend faire le lien entre le capitalisme et la montée des inégalités. Une fois encore, qu’en est-il réellement ? Un article du Mises Institute a étudié le sujet. D’abord, on peut voir que les inégalités mondiales ont explosé depuis 1820 à travers les indicateurs d’inégalité communément utilisés : l’indice de Gini et celui de Theil (figure 1).
A première vue, la thèse marxiste semble confortée. Le capitalisme engendre une montée des inégalités. Quoique… On peut voir sur le graphique une diminution depuis 1980. À quoi est-elle due ? À l’application d’un peu d’économie de marché en Chine ! Le fait que plus d’un milliard de personnes supplémentaires bénéficient de l’économie de marché fait baisser les inégalités globales !
En fait, un changement s’est opéré au fil du temps. Comme l’écrit le Mises Institute :
« Durant le début du XIXe siècle, 35% des inégalités globales décrites par l’indice de Gini était dues aux écarts entre les pays. À la même époque, 65% des inégalités provenaient des écarts de revenus à l’intérieur de chaque pays. Mais, au début du XXIe siècle, 85 à 90% des inégalités sont dues aux écarts entre les pays, tandis que seulement 10 à 15% sont dues aux différences de revenus au sein de chaque pays. »
En clair, il y a une grande inégalité entre les pays qui ont adopté l’économie de marché, et qui voient leur aisance augmenter, et ceux qui ne l’ont pas adoptée, qui stagnent, ce qui fait augmenter les inégalités mondiales. Cependant, il est à noter que le développement de l’économie de marché ces dernières années a globalement fait reculer la pauvreté. Pour les marxistes, c’est embêtant : leurs théories sont totalement invalidées par la réalité !
L’action de l’Etat
Selon le marxisme, les inégalités sont forcément causées par l’économie de marché. Piketty et consort, quand ils constatent une montée des inégalités, l’imputent automatiquement à l’économie de marché. Il y a là un biais important dans le raisonnement. Dans un pays comme la France, la dépense publique représente plus de 56% du PIB (chiffre 2018). L’état contrôle le système de santé, le système éducatif, notamment l’éducation initiale, maternelle et primaire. L’état contrôle les entreprises par une multitude de contraintes, de même que le marché du travail. En Europe, la monnaie est contrôlée par une entité publique, dont les dirigeants sont nommés par les états, ce qui n’est pas un signe d’indépendance, contrairement à la légende.
Même aux USA, la présence de l’état est forte. Elle est juste différente selon les états fédérés. Malgré cette puissance des états, malgré le champ d’action hyper large des états, et leur influence dans notre vie, le discours est toujours que « si ça ne va pas bien, c’est la faute à l’économie de marché, si ça va bien, c’est grâce à l’état », ou encore, « mais rendez-vous compte, sans l’état, ce serait pire ! » Un raisonnement totalement illogique, convenons-en.
Des interrogations se font jour, timidement, quant aux effets de la politique de taux d’intérêt bas des banques centrales. Le problème, c’est que cette politique de taux bas fait monter le cours des actions, la valeur des actifs immobiliers. Elle fait augmenter la valeur du patrimoine, donc, de la fortune… pour ceux qui en ont ! Les gens fortunés peuvent aussi emprunter des sommes importantes, à des taux bas, qu’ils investissent, et deviennent encore plus riches.
C’est une des distorsions engendrées par la politique monétaire des banques centrales. Nous en resterons là pour cet article (pour plus de détails, suivre par exemple ce texte).
Curieusement, alors que la focalisation sur les inégalités est grande, les conséquences de la politique monétaire en matière d’inégalités sont peu étudiées, voire même niées. Evidemment, dire que l’interventionnisme crée des inégalités, ce serait politiquement très incorrect.
On peut s’interroger également sur les inégalités intergénérationnelles. En clair, qu’est-ce qui détermine la mobilité sociale à la naissance. Les marxistes mettent en avant l’héritage. Cependant, étant donné que l’état contrôle l’éducation des enfants, étant donné qu’il y a en France des impôts importants sur les successions, ne peut-on pas envisager une responsabilité de l’état dans l’absence de mobilité sociale ?
Par exemple, une comparaison de la mobilité sociale intergénérationnelle entre la France et les USA donne les résultats suivants, selon le rapport de l’OCDE du 4 mai 2019, intitulé « L’ascenseur social en panne ? Comment promouvoir la mobilité sociale »
Mobilité sociale intergénérationnelle | ||||
---|---|---|---|---|
Gains | Profession | Education | Santé | |
France | Faible | Faible | Moyenne | Moyenne |
USA | Moyenne | Elevée | Elevée | Faible/Moyenne |
On constate une mobilité sociale intergénérationnelle plus faible en France, pays très redistributif, qu’aux USA, pays moins redistributif. Y aurait-il un lien de cause à effet entre état providence et inégalités ? Plus largement, on refuse d’analyser les conséquences de l’action de l’état, attribuant tout ce qui va mal à l’économie de marché.
Et l’éthique dans tout ça ?
Il y a un autre point qui n’est pas abordé en matière d’inégalités. C’est la question éthique. Réduire les inégalités par l’action étatique, cela signifie prendre de force aux uns pour donner aux autres. Evidemment, on nous dit qu’il faut faire preuve de solidarité, et on nous dit qu’il y a les 1% les plus riches, sous-entendant que ceux-ci accaparent les richesses produites, et qu’ils peuvent payer. Mais le doivent-ils ? De quel droit ?
Ainsi, revenons aux réalités. La dépense publique en France, c’est plus de 56% du PIB. Les 1% sont largement dépassés par ce montant, ils ne sont qu’une goutte d’eau. Même si les riches paient énormément de leur poche, ça reste très peu, l’argent est majoritairement pris là où il est, c’est-à-dire auprès de la classe dite moyenne. En effet, par sa masse, c’est elle qui a la plus grosse part du revenu national.
Quand on impose les riches, la seule justification à l’impôt est qu’ils sont riches. Mais sont-ils voleurs, pour justifier qu’on les vole ? Pour la classe moyenne, c’est plus compliqué. C’est sans doute pourquoi les prélèvements indirects sont privilégiés, sur le salaire, par la TVA. Car, sinon, il faudrait sans doute faire face à des réticences. Plus encore, à une division de la société.
Car qu’est-ce qui justifie que quelqu’un qui travaille dur donne de l’argent pour augmenter les revenus de quelqu’un de moins travailleur ? Quelles doivent être les obligations de ceux qui reçoivent ? La question n’est pas théorique, elle est morale. Or le marxisme se dit jouer dans le registre de la moralité.
On peut entendre dans notre entourage des critiques. Un fossé semble se creuser entre ceux qui travaillent, et ceux qui vivent d’aides sociales. (Mêmes si ceux qui vivent d’aides sociales sont en fait souvent empêchés de travailler par la politique d’un état.) Même le fait que des retraités ayant travaillé toute leur vie touchent à peine plus que des gens qui n’ont presque jamais travaillé est critiqué.
Un ressentiment monte, diffus, mal étudié par les instituts d’études. Est-ce de l’égoïsme ? Notre société de redistribution, qui se dit solidaire, crée-t-elle en fait des fossés entre les citoyens ?
Le dogme anticapitaliste
En conclusion, contre les inégalités, que doit-on faire ? Rien, mon capitaine !
On ne doit rien faire, car il apparaît qu’une politique de réduction, comme en France, augmente la pauvreté. Bien sûr, la France peut se targuer de taux de pauvreté et d’inégalité après redistribution inférieurs à ceux des USA, pays qui redistribue moins et accorde plus de liberté à ses citoyens, notamment en matière économique. (Attention, les USA ont une politique qui reste redistributrice, et des contraintes pèsent aussi sur les citoyens en matière économique. Ils ne vont simplement pas aussi loin que la France, et certains états sont plus libres.)
Mais, d’un point de vue humaniste, peut-on considérer comme un progrès social qu’un maximum de gens vivent de l’assistanat, le système économique et social ne leur permettant pas de vivre par eux-mêmes ? D’un point de vue éthique, quand quelqu’un gagne plus, simplement parce ses produits sont demandés par la société, est-il juste de diminuer sa rémunération ? Et d’augmenter les profits de quelqu’un dont les produits sont moins demandés, ou le travail moins valorisé ?
Ces questions humanistes et éthiques ne sont jamais posées. Elles devraient l’être. Le discours sur les inégalités reste simpliste, pour ne pas dire populiste : ce sont les 1% les plus riches qui récoltent les richesses, il faut donc redistribuer à 99% de la population ! C’est un discours simpliste et injuste d’origine marxiste, qui fait l’impasse sur les inégalités des régimes marxistes, bien sûr.
Finalement, tout est de la faute du capitalisme, c’est le dogme, mais en réalité, la faute est à l’état-providence, camouflage nouveau du marxisme resté dans l’ombre.
Artois