« La loi vous dit : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait. Et moi, je vous dis : Faites aux autres ce que vous voudriez que les autres fissent pour vous. » – Frédéric Bastiat, Justice et Fraternité, 1848

Animal social

La justice et le droit sont la base de toute civilisation organisée, le cadre normatif qui structure le chaos des relations sociales humaines. Par essence, toute justice est sociale comme économique. La question « qu’est-ce que la Justice ? » n’est pas indépendante de « qu’est-ce que le droit ? », pas plus qu’elle n’est indépendante de « qu’est-ce que la nature humaine ? ». C’est sur ces points précis que se situe l’exclusive problématique du libéralisme.

Le libéral sait que l’être humain dispose d’une nature, que cette nature détermine un certain nombre de normes et que c’est sur le respect de ces normes qu’existe toute société. On parle de nature dans le cas précis de ce qui est nécessaire à un être pour survivre et conserver son identité propre. La nature d’une bactérie est de transformer certains éléments chimiques précis, de croître et de se diviser. La nature d’un arbre est de transformer les minéraux d’un sol et par photosynthèse d’assurer sa subsistance, de produire des graines qui seront portées par le vent à un endroit où un autre arbre, de même nature, naîtra. La nature d’un renard est de chasser. La nature d’un ours d’hiberner. Toutes ces fonctions biologiques ou structurelles déterminent le cadre obligatoire de survie d’une créature précise en même temps que son identité.

Telle est la nature. L’être humain, comme chaque autre créature terrestre, dispose d’une nature spécifique liée à son identité et à ses nécessités de survie. L’être humain est un être qui dispose d’une double aptitude. Il doit transformer son environnement pour être capable de l’utiliser : il s’agit d’un animal producteur. Mais il est aussi une créature apte aux relations d’échange et de socialisation : il s’agit d’un animal social.

justice

Origine de la Justice et du Droit – Nuage des mots de l’article.

Conscience

En plus de cette stricte nature vient une autre caractéristique : la conscience. Il est peu probable que l’être humain soit le seul animal pourvu de conscience. Mais il s’agit de la seule créature jamais observée qui soit simultanément consciente, productive et sociale. La conscience est l’état qui permet à une créature d’effectuer des choix qui peuvent s’avérer contre sa propre nature ou la transcender : penser ou ne pas penser, construire plutôt que récupérer, passer par-dessous plutôt que par le côté.

Ce sont ces trois éléments qui conditionnent notre nature, c’est-à-dire notre survie et notre identité. Ce sont ces éléments qui, à l’origine de toute chose, donnent tout ce que nous sommes et ce que nous ferons. Ce que nous nommons le « Droit » et la « Justice » ont dès lors pour objet d’assurer que notre nature, donc ces éléments, sont respectés et protégés.

En tant que créature productrice, tout ce que nous créons est né de notre esprit, chaque chose que nous fabriquons ou cultivons est issue de nous : elle nous appartient, elle fait partie de nous. Chaque objet que nous produisons du plus insignifiant au plus imposant fait partie de nous, il est à notre image. Cette nature stricte détermine le plus basique de tous les droits : le droit de propriété. La première des propriétés est celle de notre propre corps, ce que nous sommes dans son intégralité nous appartient. Ensuite vient ce que nous créons : si je l’ai créé, il m’appartient car tout ce qui vient de moi est issu de mon corps, il fait partie de moi. Or, mon corps m’appartient et j’en fais ce que j’en veux.

Noter que notre analyse est volontairement simplifiée, pour plus de rigueur, le lecteur est invité à lire les grands auteurs libéraux, tels Ayn Rand ou Murray Rothbard. [1][2][3]

Ce droit est issu de notre nature, mais est aussi conditionné par notre conscience : ce n’est pas parce que nous pouvons faire quelque chose que nous allons obligatoirement le faire. C’est en dernier ressort notre conscience qui décidera, selon les critères que nous choisirons ce qui, dans la somme des possibles, s’avérera le plus approprié.

Sociabilité

C’est ici qu’apparaît notre seconde nature : la sociabilité. Si nous pouvons créer et que cela fait partie de nous, il s’avère que nous pouvons aussi échanger. Ce que nous créons n’est pas uniquement matériel, cela peut être spirituel : une information comme un sac de riz sont deux choses que nous pouvons échanger, car ce sont des produits de nous-mêmes, de notre esprit.

Par exemple, lorsque nous travaillons contre une rémunération, c’est le fruit de notre travail qui est acheté par notre employeur et qui donne lieu à notre salaire : il s’agit d’un échange. Lorsque nous « donnons aux pauvres », c’est une émotion qui nous est donnée en échange : la satisfaction.

Aussi issu de notre nature, ce droit reste conditionné par notre conscience : les conditions dépendent toujours de nous. Nous ne sommes pas contraints par nature à l’échange, même si nous en avons la capacité, même si notre survie en dépend. Seule notre conscience décidera quelles seront les conditions des échanges : nous pouvons choisir de donner, de prêter contre une rémunération ultérieure ou immédiate, décider du type de rémunération, sa forme et son bénéficiaire final. Mais il n’en restera qu’une seule chose : nous ne pouvons échanger que ce que nous avons.

La justice naît de la nature de l’être humain

Il en est ainsi de l’identité et de la survie de l’être humain. C’est ici que naît le droit, car c’est du respect de notre nature que dépendent notre survie et notre identité. Si nous ne sommes plus pleinement propriétaires de notre corps, nous ne pouvons plus pleinement être des êtres humains et notre survie peut se trouver menacée. Si nous ne sommes plus propriétaires de nos produits, notre nature d’être humain est là aussi réduite. Si nous ne pouvons plus exercer notre conscience, notre nature est là encore réduite et nous ne sommes plus humains. Si nous ne pouvons plus échanger librement, il en va de même.

La justice naît de la nature de l’être humain et n’a qu’une seule fonction : assurer le respect des droits issus de nous-mêmes contre les menaces qui pourraient les mettre en danger. C’est pour cette unique raison que le droit humain n’a que l’être humain pour objet et que tout droit qui atteint notre nature ne peut être que condamnable. Il s’agit là, au final, du seul et unique combat politique libéral : protéger la notion de droits de l’être humain et perfectionner la justice humaine, seule sécurité de nos droits, de notre survie.

 

Emmanuel Bommert, in Libres !, 2012

[1] John Locke, « Traité du gouvernement civil ».

[2] Murray Newton Rothbard, in « L’Éthique de la liberté ».

[3] Ayn Rand, in « La vertu d’égoïsme ».