« Nous sommes confrontés à une chaîne de Ponzi devant laquelle Bernard Madoff fait figure de boy scout. » – Un fonctionnaire du Maryland cité par le New York Times, 22 octobre 2011

Définition & Implications

La dette souveraine, également appelée « dette publique », est la dette du souverain (démocratique ou non) et des entités dont il se porte garant. De cette définition, deux implications s’ensuivent.

Premièrement, le souverain possède un avantage marqué sur tout autre débiteur : il peut forcer les contribuables à rembourser sa dette. La force brute ne fonctionne que jusqu’à un certain point, mais le souverain jouit néanmoins d’un grand avantage sur ce chapitre.

Deuxièmement, le souverain est en mesure de ne pas respecter ses obligations devant ses créanciers, c’est-à-dire qu’il peut faire défaut sur sa dette, directement ou indirectement. Un défaut direct consiste à refuser de payer une partie de l’intérêt ou du capital. Les défauts indirects recouvrent plusieurs méthodes, notamment la restructuration et l’inflation. Restructurer signifie faire accepter par ses créanciers un rééchelonnement de la dette ou un remboursement partiel, ce qui revient du reste au même. Les restructurations, en effet, ne sont jamais « volontaires » pour les créanciers, qui sont forcés d’accepter sous peine de perdre encore davantage. L’inflation consiste à monétiser la dette, c’est-à-dire à payer les créanciers avec de la monnaie fraîchement créée et dévaluée par cette création même.

dettes

Les Dettes Souveraines – Nuage des mots de l’article.

Souverains peu fiables

Historiquement, les souverains ont souvent fait défaut. Ceux d’Angleterre, de France et d’Espagne ont succombé à la tentation plusieurs fois entre le XIVe et le XVIIIe siècle. Le nouveau gouvernement fédéral américain a restructuré sa dette à la fin du XVIIIe siècle. Au XIXe siècle, l’Allemagne, la France, la Grèce, l’Espagne et le Portugal ont connu des défauts de leurs États (plusieurs fois dans les trois derniers cas), sans compter les défauts des États nouvellement indépendants d’Amérique latine. Les défauts souverains ont continué au XXe siècle, y compris en Allemagne et en Grèce, en plus de ceux d’Amérique latine durant les années quatre-vingt ainsi que ceux d’Asie et de Russie durant les années quatre-vingt-dix. L’abrogation des clauses de paiement en or par Franklin D. Roosevelt en 1933 constitua un défaut indirect, puisque les créanciers de l’État durent accepter d’être payés en dollars soumis à une possible inflation future. [1] La restructuration de la dette grecque – en cours début 2012 – fournit un autre exemple de défaut indirect.

S’il n’est pas nouveau, le problème actuel des dettes souveraines affiche certaines caractéristiques propres à notre époque. Le problème est plus répandu et plus systémique puisque la plupart des États occidentaux accumulent des dettes depuis l’envolée de l’État-providence durant les années soixante et soixante-dix. À la fin de 2007, soit avant la récente récession, la dette publique de l’ensemble des pays de l’OCDE équivalait à 73% du PIB de l’ensemble ; à la fin de 2010, la proportion avait grimpé à 98%.

Quels créanciers ?

Plutôt que des capitalistes étrangers, les créanciers des États contemporains sont souvent des créanciers nationaux (banques, régimes de retraite, fonds communs de placement, voire même particuliers). Contre ces nouveaux créanciers, les États emploient souvent la technique que Reinhart et Rogoff appellent « répression financière » : en contrôlant les taux d’intérêt à la baisse (notamment via la réglementation bancaire ou le contrôle des sorties de capitaux), les États placent plus facilement leurs titres sur le marché national.

Peut-être le développement des marchés financiers rend-il plus difficile la tâche du souverain qui veut flouer ses créanciers étrangers. L’État argentin, qui a fait défaut en 2001, non seulement demeure incapable d’accéder au marché international des capitaux, mais se retrouve poursuivi et traqué par des fonds d’investissement qui ont récupéré ses titres à bas prix en espérant forcer le souverain à payer davantage. [2]

Avant même que le phénomène ne prenne l’ampleur qu’on lui connaît maintenant, la banalisation des dettes publiques a été bien expliquée par les théoriciens de l’école des choix publics, notamment James Buchanan et Richard Wagner. [3] Les souverains démocratiques accumulent des dettes parce qu’il est dans l’intérêt des politiciens et des bureaucrates de financer leur empire sans trop ouvertement alourdir le fardeau des contribuables-électeurs. Buchanan et Wagner expliquent que le principe de l’équilibre budgétaire constitua longtemps une sorte de règle constitutionnelle implicite. Une fois cette contrainte abolie par les justifications de Keynes et de ses disciples, les déficits et les dettes souveraines ne pouvaient que gonfler.

Croissance de la dette, Croissance de l’état

Le problème actuel est antérieur à la récente récession, comme le montre la statistique de l’OCDE citée plus haut. La situation est la même dans la zone euro : la dette publique y équivalait déjà 72% du PIB à fin de 2007, et son ratio de 93% en 2010 signifie que 71% des dettes souveraines avait été accumulé avant la récession de 2008-2009. En France, pas moins de 77% du ratio actuel de la dette publique au PIB vient d’avant la crise économique. En Amérique, les deux-tiers du ratio de 94% sont antérieurs à la récession.

Gardons-nous de confondre la dette souveraine ou dette publique avec les dettes privées. Il reste que les problèmes de dettes souveraines s’étendent rapidement à l’économie privée étant donnée la présence massive de l’État, comme en témoignent les difficultés des banques européennes.

Le principal problème de la dette est de permettre une expansion de l’État qui semble sans douleur – jusqu’à ce que la douleur devienne insupportable et menace l’ensemble de l’économie. Mais le problème porte peut-être en lui sa propre solution, la crise actuelle des dettes souveraines offrant une chance inespérée : enchaîner Léviathan. Presque partout, l’État est fauché, et devra réduire fortement ses dépenses ou faire défaut sur sa dette. En vérité, un défaut l’obligerait également à réduire ses dépenses en bloquant son accès aux marchés financiers.

Or, il était justement urgent de réduire la taille et l’intervention de l’État.

Plusieurs défauts sur des dettes souveraines sont à prévoir. Ils seront pénibles pour les gens ordinaires, mais représenteront sans doute un moindre mal.

Couverture de Libres !

 

Pierre Lemieux, in Libres !, 2012

[1] C.M. Reinhart et K.S. Rogoff, “This Time Is Different: Eight Centuries of Financial Folly”, Princeton University Press, Princeton et Oxford, 2009.

[2] “Gauchos and Gadflies”, The Economist, 22 octobre 2011.

[3] J.M. Buchanan et R.E. Wagner, “Democracy in Deficit: The Political Legacy of Lord Keynes”, Academic Press, New York, 1977,  (visité le 22 mais 2019).