Majeur. Oui mais quand ?

« L’enfant croit au Père Noël. L’adulte non. L’adulte ne croit pas au Père Noël. Il vote. » – Pierre Desproges

Adulte et Responsable ?

Majeur. Oui, mais quand ? Qu’est-ce qui détermine l’âge légal de la majorité civile ? Être majeur signifie-t-il être adulte et responsable ? Comment déterminer avec précision un âge universel à partir duquel chaque individu serait apte à prendre des décisions et faire face aux conséquences de ses choix et de ses actes ?

Chaque individu a son parcours, son vécu, son unicité. Aucune entité, quand bien même elle serait omnisciente, ne saurait décider d’un âge légal où chacun serait effectivement, identiquement adulte et responsable.

Je me considérais personnellement adulte bien avant mes dix-huit ans. Et, au contraire, je voyais bien dans mon entourage des personnes ayant une dizaine d’années de plus ne pouvant être qualifiées ainsi, car incapables de faire valoir leurs droits seules, ne réfléchissant qu’en se basant sur ce que pense la masse et sans signe d’individualité, n’étant pas détachées de leurs parents, et aucunement autonomes.

Adulte ? Quand ?

La réelle question est donc celle-ci : quand devient-on adulte, c’est-à-dire propriétaire de soi ?

Un nouveau-né ne peut effectivement pas prendre soin de lui seul, il n’est pas encore propriétaire de lui-même. Il ne l’est qu’en puissance, car il ne peut quitter la maison de ses parents pour mener sa vie de façon autonome. Il peut encore moins exercer sa conscience, et prendre des décisions afin de choisir de nouveaux parents consentant à l’adopter. Les parents sont alors propriétaires de l’enfant ; tenter de retirer de force celui-ci à ses parents serait alors enfreindre leur droit de propriété. Cependant, la propriété de l’enfant n’est pas sans condition : les parents ne peuvent forcer l’enfant à rester sous leur toit. Il est évidemment reconnu à l’enfant, peu importe son âge, sa condition, et son statut, de décider de s’enfuir de chez lui et ce peu importe la raison qui le pousse à agir ainsi.

D’autre part, nous ne sommes pas tous des Tanguy, et nous devons tous un jour prendre notre envol afin de quitter le cocon familial et établir nous-mêmes notre propre foyer. La « propriété naturelle » des parents doit donc être limitée. Déjà dans le temps : un homme de quarante ans ne devrait plus subir le joug tout puissant de ses parents âgés de soixante ans. Elle doit également être limitée dans sa nature : ils ne peuvent tuer et torturer leurs enfants comme ils casseraient et jetteraient leurs meubles.

Du moment que les enfants décident de continuer à habiter sous le toit de leurs géniteurs et que ceux-ci acceptent de les laisser vivre chez eux et de les nourrir, les enfants doivent obéissance aux parents, tout comme les clients d’un hôtel se doivent de respecter les règles de l’établissement. Cependant, dès que l’enfant, ou le client de l’hôtel, a quitté l’endroit où il logeait, tombe ce devoir d’obéissance. C’est à ce moment précis que l’enfant devient majeur.

À ce propos, je vous conseille de lire L’Éthique de la liberté de Rothbard, si ce n’est pas déjà fait. Le chapitre ayant pour titre Les enfants et les droits répondra à toutes vos questions.

Majorité légale, majorité libre

La majorité, telle qu’elle est conçue à l’heure actuelle, englobe énormément de choses : le droit de vote, le droit de boire, de fumer, de conduire, de signer un contrat, d’être son propre tuteur, de se marier, le droit d’être détaché totalement de l’autorité parentale, etc. Mais, si la majorité n’est pas décidée de manière centralisée et universelle, comment, dans un monde libre, déterminerions-nous l’âge où nous accéderions à toutes ces choses ?

Certains de ces sujets ont des réponses très simples d’un point de vue libéral : chacun décide ce qu’il fume, boit et quand et avec qui il se marie, tant que les personnes concernées sont consentantes, bien évidemment.

Pour ce qui est du permis de conduire, centralisé à points faisant l’objet d’un monopole comme à l’heure actuelle, on peut penser qu’il n’en existerait pas. Chacun pourrait acheter une voiture, tant qu’il en a les moyens et que le concessionnaire automobile ne le lui refuse pas, et rouler, du moment que les propriétaires des routes ainsi que les assurances n’exigent pas de lui une certification équivalente à un permis de conduire. Cependant, rappelons que même à l’heure actuelle, rien n’indique que quelqu’un avec un permis sache conduire de manière sécurisée, et on sait tous que la conduite scolaire apprise via l’auto-école n’est en rien comparable à celle acquise par un conducteur avec plusieurs années d’expérience.

Une question, plus controversée, subsiste : la limite d’âge sur les sites pornographiques, violents, sur les jeux vidéo, les films, etc. doit-elle aussi être retirée ?

Je répondrais que tout dépend du niveau de maturité qu’a atteint la personne, ainsi que du niveau de vigilance de ses parents. Il s’agit avant tout du rôle des parents que d’inculquer ou non à leurs enfants les préceptes moraux qui leur semblent être les bons, à eux aussi d’investir dans un « contrôle parental » à installer sur ordinateur, et à les empêcher de regarder Canal+ après minuit.

Si un site pornographique désire instaurer une limite d’âge, ou vérifier par l’intermédiaire d’un paiement par carte bancaire l’âge de ses visiteurs, alors rien ne l’empêche de le faire. Mais personne ne devrait, par l’intermédiaire d’une loi, forcer les sites à instaurer ces vérifications. Il en est de même pour les jeux vidéo ou les films.

Adulte lorsqu’on peut mener sa propre vie

En conclusion, c’est pour toutes ces raisons, et beaucoup d’autres non évoquées ici, que le concept de majorité, sans prise en compte de l’unicité de l’individu et de son parcours, niant même l’existence propre et le vécu de chacun, est une aberration. Une personne n’est adulte que lorsqu’elle peut défendre sa propre vie, en prendre les rênes, subir les conséquences de ses actes librement effectués, signer des contrats par elle-même, sans dépendre d’autrui.

C’est lorsqu’on a enfin les capacités nécessaires pour se débrouiller seul et ne plus dépendre de ses parents, lorsqu’on peut quitter le foyer familial et se confirmer autonome, qu’on devient adulte, c’est-à-dire majeur du point de vue moral et social.

 

Sarah Coudert, in Libres !!, 2014