« La plus admirable leçon que j’ai reçue a été de savoir que les cultures n’ont pas besoin d’être protégées par des bureaucrates ou des policiers, ni confinées derrière des barreaux, ni isolées par des douanes, pour demeurer vivantes et fécondes. » – Mario Vargas Llosa

Exception culturelle ?

Dans le secteur économique artistique, pour caractériser les spécificités d’une culture par rapport à celles d’autres pays du monde, on utilise l’expression « exception culturelle ». En France, elle désigne l’action conduite depuis la création en 1959 d’un « Ministère de la Culture », confié alors à André Malraux. De nombreux dispositifs législatifs et réglementaires ont ainsi été mis en place afin, théoriquement, de soutenir ce domaine d’activité, sous la pression d’intérêts particuliers. Des systèmes d’aides à la création sont mis en place dans chacune des branches, du cinéma au théâtre en passant par la télévision ainsi que tous les autres moyens de communication, de fait supposés relever de la culture.

L’aide automatique se traduit par exemple à travers la fondation du Centre national de la cinématographie qui prélève un pourcentage sur les tickets de cinéma, afin d’apporter des aides à l’écriture, à la réalisation ou à la diffusion d’œuvres dites « d’expression française ». À l’origine, il s’agit toujours de bons sentiments, payés par la réussite de certains et livrés à la gestion d’administratifs, engagés à créer et gérer de coûteuses structures pour répartir les fonds collectés, comme le soulignent Françoise Benhamou [1] ou Guillaume Vuillemey [2] (voir aussi Frédéric Bastiat [3]). Sur le plan artistique, la subvention a la conséquence néfaste de standardiser la scène et les arts, afin de répondre aux critères du Ministère de la Culture.

Or, on note peu de succès internationaux, si ce n’est la constitution d’une nouvelle élite subventionnée et protégée sur son marché via des fonds publics, quelles que soient les idées et démarches des créateurs, tout comme les horizons des diverses organisations concernées.

Le pouvoir prend possession peu à peu des orientations artistiques : il ordonne et dispense, octroie et sélectionne sans aucun paramètre rationnel en matière d’art, sauf sa propre volonté de pénétrer la culture afin d’orienter le public vers ses propres idéaux.

exception

La culture sans exception culturelle – Nuage des mots de l’article.

Plaire ou savoir plaire

Plaire ou savoir plaire n’est pas une décision politique. L’État ne peut distribuer au peuple le talent qu’il veut pour se distraire. Une telle affirmation est absurde. Preuve est faite, dans le monde des arts, que la différence culturelle subventionnée ne prévaut pas sur une œuvre indépendante et créative. Le talent naît rarement d’une théorie organisée, même s’il est possible un temps de duper certains publics. Il y a également confusion entre transmettre un patrimoine et subventionner l’art. L’État n’a pas à faire le modérateur ni le sélectionneur et encore moins à jouer le censeur. Il n’est pas de son fait de mesurer ce que les individus doivent ou pas connaître. Le fond de soutien du théâtre privé est alimenté essentiellement par les plus gros succès. Pourquoi dès lors créer une œuvre qu’on sait totalement intimiste avec l’argent des contribuables ? Ce n’est pas une transmission de patrimoine.

Autre exemple : pourquoi subventionner la télévision ? Avec l’argent public qui lui est versé, elle finance la production cinématographique en échange de droits de diffusion. Elle peut le faire, certes, mais avec ses profits. C’est un acte commercial, qui prend son sens aux regards des risques d’investissement. L’argent public n’est pas un outil gratuit pour compromissions et faveurs, il appartient au contribuable, qui décide en tant que public ce qu’il veut voir. Faire une télévision libre et indépendante se finance avec les instruments commerciaux existants.

L’expression « exception culturelle française » est née fatalement pour nourrir la polémique, car il est impossible de décider d’une exception en matière artistique. L’essence même de la création vise, pour un artiste ou plusieurs, à être différent et donc « remarquable ». Tous les créateurs sont des exceptions, aucun pouvoir ne dispose des moyens de les financer. La sélection naturelle joue son rôle, il n’y a pas à tirer de critique de celle-ci dans la vie. L’inverse ôte des chances à ceux qui ont foi en leurs œuvres et y consacrent leur vie, le plus souvent sans l’intervention de l’État, mais grâce au mécénat ou aux sponsors. Les institutions confèrent des talents discutables, puisque nés de ses décisions, de cette vision restreinte de sa seule opinion. Cette dernière ne sera jamais celle, intime, du public qui décide par lui-même de regarder, d’écouter ou de lire un travail pour sa qualité ou son originalité.

Orgueil national

Une exception culturelle, au sens large, stigmatise l’orgueil ou la prétention nationale à se croire « au-dessus des autres ». L’État honore les artistes issus de ses propres organisations de privilèges, plus que par talent réel. Il y a une véritable différence avec les choix d’un public, en matière de récompenses, qu’on laisse libre de ses décisions, comparé à ceux du pouvoir.

L’art ne peut être issu non plus d’une école, qui permet à des artistes d’améliorer leurs techniques et connaissances, mais ne peut instruire au talent. Celui-ci peut se transmettre, s’améliorer ou se parfaire, mais il n’est que rarement enseigné, si l’on excepte les parents qui font don en héritage de leurs vies d’émotions à leurs enfants.

La notion « d’exception culturelle » a été remplacée par celle, plus large, de « diversité culturelle », plus que délicate à défendre. Car selon quel aspect serait-elle supérieure à la culture chinoise ou américaine ? Cela constitue ni plus ni moins un protectionnisme culturel.

Un autre mensonge : dans la littérature, le prix unique du « livre » est en théorie destiné à soutenir les libraires, mais dans les faits, il restreint l’innovation et les publications. La loi permet les ententes entre les grands monopoles pour interdire les nouveaux venus, et ne sert en aucun cas les libraires. Les effets sont bien plus négatifs que positifs.

L’administration voit comme fait de politique culturelle la quantité de festivals organisés en France. Un rapport a même été publié en 1997 par l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel, pour démontrer qu’elle accueille plus de festivals que les autres membres de l’Union. En effet, elle en sponsorise de nombreux sur les longs et courts métrages ou les films d’animation.

Libres !!

Couverture de Libres !!

Tous ces systèmes demeurent contre-productifs, ils visent à empêcher la concurrence de création. L’idéal d’excellence pour tous a cédé le pas à l’idéologie, la politique de l’exception culturelle consacre la non-démocratisation, muant les acteurs du secteur en comptables et gestionnaires de fonds publics. Or à regarder la production internationale, on sait qu’il est possible de financer toutes sortes de projets intelligents par des moyens purement privés.

 

Christian Brunet-Lévitan, in Libres !!, 2014

[1] Dans son ouvrage Les dérèglements de l’exception culturelle où elle reproche d’avoir subventionné à tout va et sans discernement.

[2] De l’Institut Économique Molinari : « L’augmentation des budgets alloués à la culture alimente une administration pléthorique, qui plaide en faveur de son propre maintient et de la hausse continuelle de son budget ».

[3] Qui dans ses pamphlets précisait que « l’ouvrier n’a pas à payer le salaire de l’artiste ».