« Nous direz-vous que, si nous gagnons à cette protection, la France n’y gagnera point, parce que le consommateur en fera les frais ? » – Frédéric Bastiat
Je suis un grain de blé
Je suis un grain de blé tendre – le grain de blé ordinaire que connaissent tous les consommateurs de farine. Mon nom scientifique est « triticum æstivum » (je suis le résultat d’une construction génétique unique : je contiens le génome de trois espèces différentes).
Vous vous demandez certainement ce qu’un simple grain de blé comme moi peut vous apprendre. Eh bien, mon histoire est plus intéressante qu’il y paraît. Riche d’enseignements, elle est pourtant de celles qu’on oublie facilement. Je pourrais vous expliquer toutes les étapes qui m’ont mené au silo, énumérer tous les outils qui ont été utilisés à ma récolte et évoquer tous les individus qui, de près ou de loin, ont librement et spontanément participé à ma culture, sans qu’aucun président, ministre, préfet ou autre père des peuples ne les y invite. Mon ami le crayon conte toutefois bien mieux ce récit. [1] Aussi, c’est une tout autre leçon que j’entends vous livrer.
Moi, grain de blé, aussi banal que je paraisse, j’ai été, et je suis, au cœur d’un miracle que votre niveau de confort actuel vous fait négliger. Pourtant, ce miracle a contribué à vous arracher à la pauvreté, il exalte votre quotidien et remplit d’espoir votre avenir.
De constantes améliorations
Composant central de l’alimentation humaine, j’ai été maîtrisé par l’homme dès le VIIIe millénaire avant J.-C., favorisant ainsi sa sédentarisation et facilitant sa survie. Commence alors mon commerce. Je reste néanmoins produit et vendu très localement. Au résultat, ma production étant étroitement liée aux conditions climatiques, une mauvaise récolte est synonyme de famine. Le développement des échanges et les progrès de la technologie à partir du XIXe siècle ont significativement augmenté mon rendement. L’interdépendance entre les nations est telle que certains pays dits « neufs » deviennent les greniers à blé du monde. La mondialisation apporte en outre une plus grande concurrence entre producteurs.
On observe alors une convergence des prix du blé. Par exemple, en 1870, j’étais vendu 57,6% plus cher à Liverpool qu’à Chicago. En 1913, cette différence chute à 15,6%. Surtout, cette convergence s’opère à la baisse. Il faut ainsi 150 heures de travail pour acheter 100 kg de blé en 1850 mais seulement 50 heures pour se procurer cette même quantité 80 ans plus tard.
Pour faire face à la concurrence mondiale, les exploitations se rationalisent, se modernisent. Durant la seconde moitié du XXe siècle, les méthodes de semailles, d’irrigation, de fertilisation et de récolte font un bond en avant.
De nouvelles souches de blé à rendement élevé sont à l’origine de 75% de la production dans les pays en développement. Il s’ensuit une « révolution verte » pendant laquelle mon prix est réduit de 60%. [2] Pour la campagne 2011/2012, la production mondiale de blé est de 672 millions de tonnes, soit près de 100 kg par habitant. On constate, en monnaie constante, une baisse tendancielle de mon prix sur le long terme qui devrait continuer à s’observer en raison de perpétuels gains de productivité.
De merveilleuses retombées
Moi, grain de blé, je fais miens les propos de William Wilson Hunter expliquant, il y a près de 150 ans, que le moyen le plus efficace pour lutter contre les famines consiste à encourager « toute mesure allant dans le sens de l’extension du commerce et la croissance du capital, toute mesure qui augmente les capacités de transport et de distribution et [tout ce qui tend à] rendre chaque part [d’un pays] moins dépendante d’elle-même. » [3] Par l’application de ces préceptes, je concours chaque jour à faire disparaître la faim dans le monde. Bien qu’encore trop élevée, la malnutrition n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui, provoquant de facto une augmentation de la population mondiale. La pauvreté a reculé et l’espérance de vie a considérablement progressé. Je suis fier d’y être un peu pour quelque chose.
La mondialisation, en permettant un accès plus large aux nouvelles technologies disponibles, en supprimant progressivement les obstacles aux échanges et en libéralisant le commerce, enrichit les individus. Par exemple, pendant la « révolution verte », le revenu réel des propriétaires de fermes et des paysans sans terre s’est singulièrement développé. Mon prix ayant beaucoup baissé, le pouvoir d’achat a progressé. Ce faisant, la consommation des hommes, presque uniquement alimentaire jusqu’à la fin du XIXe siècle, a pu se diversifier. Il est désormais possible pour une vaste part de l’humanité de varier son alimentation et de subvenir à des besoins non vitaux.
Des témoignages en quantité
Si moi, grain de blé, j’étais le seul à pouvoir témoigner de ce que les individus peuvent faire lorsqu’ils sont libres de circuler et d’échanger, alors les détracteurs de la mondialisation auraient des arguments. Cependant, la réalité est tout autre, les exemples de bienfaits apportés par la mondialisation sont légion. Les prix des matières premières agricoles alimentaires de base sont historiquement bas. Un entrepreneur français peut aisément trouver à l’étranger des débouchés pour ses marchandises. Le consommateur bénéficie, quant à lui, d’un large choix de produits. Le travailleur est – relativement – libre de traverser les frontières et de mettre ses compétences au service du mieux disant. Les capitaux sont mis en concurrence, facilitant l’allocation optimale des ressources dans l’intérêt de tous les acteurs de la vie sociale et économique. La mondialisation n’est qu’une émanation de la liberté des individus qui favorise le rapprochement des peuples et des cultures. Lorsqu’elle n’est pas biaisée, tous en profitent : les pays du Nord comme du Sud, le riche comme le pauvre.
Un monde sans grain de blé ?
À l’heure où l’on attribue à la mondialisation des mérites dans l’ordre du mal, qui ne lui reviennent pas en propre, moi, grain de blé, je vous exhorte de ne pas oublier d’où viennent votre richesse et votre niveau de vie. N’oubliez pas mon histoire, votre histoire, et toutes les conséquences qu’impliquerait un retour en arrière : jusqu’à famine et misère.
Julien Moreau, in Libres !!, 2014
[1] Leonard E. Read, I, pencil, The Freeman, décembre 1958.
[2] Johan Norberg, Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, Plon, 2003, pp. 24-26.
[3] William Wilson Hunter, The Annals of Rural Bengal, Smith, Elder and Co, 1868, pp. 55-56.