« Une entreprise est élue tous les jours par ses clients. » – François Michelin
Libre Négoce
Acheter ou vendre des marchandises ou des services. Cette activité pourrait-elle être à l’origine de la paix dans le monde ? Vu l’image négative que dégage le commerce, aussi appelé « négoce », cela paraît présomptueux ! Le mot lui-même renferme, à la base, une idée négative : négoce = nec + otium. L’otium, en latin, c’est le temps du loisir, donc le moment sympa de la journée. Mais nec, ça veut dire non. Vous comprenez donc la suite…
Pourtant, le commerce, ce n’est rien d’autre qu’un échange entre deux partenaires consentants. Un vendeur et un acheteur. L’un proposant un bien ou un service et l’autre proposant une monnaie d’échange. « Je te propose ceci contre cela. — Bien, je suis d’accord ! » Le consentement est mutuel et l’échange est gagnant-gagnant – ou n’est pas.
Naturel, le commerce est un comportement humain
Les échanges existent à peu près depuis que l’homme existe et le commerce est à l’origine des plus belles avancées, des plus belles inventions et des plus beaux développements humains. L’écriture, par exemple, doit son invention au commerce, à l’époque où les commerçants sumériens ont commencé à tenir une comptabilité.
Un échange a lieu lorsque deux partenaires y trouvent un avantage mutuel : l’un a besoin de quelque chose qui appartient à l’autre et inversement. Or, chacun de nous ayant sa propre échelle de valeurs, l’échange n’a pas lieu parce que les valeurs accordées aux objets sont les mêmes selon chacun des partenaires, mais parce que chacun d’eux estime être gagnant dans cet échange. Par exemple, si je veux du maïs, rien d’autre, et que quelqu’un accepte mes trois carottes en échange d’un épi, je profite bien de l’échange. L’échange existe parce que chaque partie estime réaliser un profit. Certains préfèrent le troc, d’autres préfèrent la monnaie pour simplifier les échanges.
D’ailleurs, les prix en monnaie nous permettent de nous fixer des points de comparaison. Prenons l’exemple d’un internaute qui décide de vendre son téléphone aux enchères. Si le prix final semble bas, vu de l’extérieur on peut avoir l’impression qu’il l’a bradé. Mais peut-être que, selon sa propre échelle de valeurs, cet internaute a mieux à faire avec l’argent reçu qu’avec son téléphone…
Quoi qu’il en soit, est-il seulement possible d’imaginer un monde ou l’échange entre les individus n’existerait pas ? Seul l’ermite qui vit à l’écart de toute société se passe d’échange. Le commerce est un comportement propre à l’homme et échanger des biens est aussi naturel qu’échanger des paroles. Limiter le commerce d’autrui, quelle qu’en soit la raison, c’est limiter les échanges, c’est freiner l’humanité.
Libre, le commerce est un outil de cohésion sociale
Nous aidons ceux qui en ont besoin. Par là, je parle de fraternité, de solidarité vraie et volontaire, pas de cette hypocrisie qui consiste à imposer une solidarité subie, fournie par des inconnus et aux dépens d’autres inconnus. En effet, ce soutien, cette cohésion sociale génère une force indispensable à l’humanité, puisque chaque individu, petit ou grand, peut apporter de nouvelles idées ou des inventions cruciales.
Pour assurer cette cohésion sociale, le commerce est le seul outil qui soit foncièrement juste. En effet, nous avons vu que le profit que nous réalisons par l’échange est le miroir du profit réalisé par notre partenaire en même temps que nous-mêmes. En avantageant notre partenaire, nous lui rendons service puisque nous lui faisons gagner ce qu’il n’aurait pas eu autrement. Ainsi, chaque sou que nous gagnons honnêtement est une mesure de notre aide envers notre prochain.
Les systèmes de redistribution artificiels (allocations familiales ou chômage, etc.) proposent-ils, eux aussi, un échange gagnant-gagnant ? Évidemment non, puisqu’avec ces systèmes il y a toujours une personne qui perd de l’argent au profit d’une autre ! Finalement, si vous vous souciez vraiment de la cohésion sociale entre les individus, souciez-vous d’abord de la liberté des échanges.
International, le commerce est pacifique
Au début de l’humanité, les échanges commerciaux se limitaient au voisinage géographique : on échange ses surplus de production agricole avec ses voisins, échange qui nous permet d’obtenir plus facilement d’autres produits. Il n’est alors plus nécessaire que l’ensemble des individus se consacrent à la chasse ou à l’agriculture et certains se spécialisent dans d’autres tâches, par exemple dans la production de silex. Ensuite les marchandises circulent sur de plus longues distances : les silex de Ertbøll (Danemark) furent ainsi vendus dans tout le nord de l’Europe et ceux produits sur le site du Grand Pressigny (France) le furent jusqu’au Rhin.
C’est ainsi que Çatal Höyük (Turquie) prospère en vendant son artisanat local sur de longues distances : précurseurs dans la fonte du cuivre, ses habitants produisent des pointes de flèches, des fers de lances et aussi des figurines de pierre ou d’argile, des textiles et de la vaisselle. Quant à la civilisation minoenne, située en Mer Égée, elle occupe une place géographique de choix puisqu’elle se trouve au carrefour de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe.
Elle peut ainsi faire transiter toutes sortes de marchandises d’un monde à l’autre et il n’est donc pas étonnant que cette civilisation se soit développée et enrichie plus vite que les autres. D’ailleurs il n’est pas rare de retrouver dans cette région de la vaisselle en or ou en argent, de la parfumerie et, de manière générale, un artisanat local bien plus travaillé et abouti que partout ailleurs à l’époque. Plusieurs archéologues supposent aujourd’hui que le mythe de l’Atlantide, raconté par Platon, se rapporterait en fait à la civilisation mycénienne.
Le développement vient du commerce
Croyez-vous que le développement humain soit le fruit des conquêtes militaires, des millions de morts qui en sont issus ? Un négociant, qu’il s’occupe de bois ou de pétrole, n’organise pas d’expédition militaire pour aller récupérer sa marchandise en tuant tout le monde au passage. Il décroche son téléphone, une liste de fournisseurs dans la main, alors qu’une organisation étatique ou mafieuse enverrait des troupes d’hommes armés. Le commerce est au cœur même du progrès pacifique. Il mériterait, selon moi, le prix Nobel de la paix.
Thomas Heinis, in Libres !!, 2014