Le libéralisme en 21 questions – suite 10

Suite de la série apériodique du superbe ouvrage pédagogique et de synthèse de Thierry Falissard, « Faut-il avoir peur de la Liberté ? », proposant un tour d’horizon du libéralisme authentique en 21 questions progressives.

L’ouvrage, très bon marché, est chaudement recommandé à tout esprit libre avide de découvrir rapidement l’essentiel des concepts, idées, principes de la liberté et de disposer d’une liste riche de références de lectures, pour approfondir.

Il est disponible en vente ici.  Nous en profitons pour remercier l’auteur pour son autorisation, et pour son travail.

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11 – Pourquoi cette obsession économique ?

On réduit trop souvent le libéralisme au « libéralisme économique », que certains voient comme une idéologie imposée à la population, cause de tous ses maux. On oublie les autres aspects du libéralisme (vus dans les questions précédentes), pour ne garder que cet aspect-là, tant la propriété d’autrui suscite d’intérêt…

Pourtant l’économie n’est pas un domaine où les principes libéraux seraient plus valables ou moins valables qu’ailleurs, car l’économie relève aussi de la vie en société, et le principe libéral de liberté tempérée seulement par la non-agression d’autrui y reste constamment valide.

économique

Inculture économique – Nuages des mots.

Le laissez-faire

L’économie libérale découle des principes de liberté et de propriété, et de la possibilité d’échange libre dans le respect de ces principes : le laissez-faire [1] ou libre-échange. On échange ce qu’on possède avec qui le veut bien.

L’acteur de l’économie est en dernier ressort l’individu, non pas un être théorique construit par les économistes, [2] mais une personne concrète qui agit selon ses connaissances (et son ignorance [3]), en fonction de ses besoins et de ses désirs. C’est de la façon dont cette personne concrète agit que peuvent être tirés des enseignements économiques, [4] et non pas de statistiques sur des agrégats, de modèles abstraits ou d’une analyse impersonnelle des faits économiques, qui serait pseudo-scientifique. La méthode expérimentale ne peut s’appliquer en économie, qui n’est pas une discipline déterministe. [5]

L’échange n’est pas une obligation, mais l’être humain s’est vite aperçu des avantages à coopérer et à échanger avec autrui. De là ce qu’on appelle la division du travail, [6] qui amène chacun à se spécialiser dans ce qu’il sait le mieux faire plutôt que de mener une existence autarcique qui l’obligerait à subvenir seul à tous ses besoins.

Le marché

Un lieu d’échange, réel ou virtuel, est un marché. [7] La valeur de ce qui est échangé n’est pas intrinsèque à la chose, mais surgit de l’échange, de l’accord du vendeur et de l’acheteur, qui trouvent chacun intérêt à participer à l’échange. [8]

Ce qu’on appelle parfois « loi de l’offre et de la demande » est le résultat de la confrontation de multiples intentions d’achat ou de vente : chaque acteur d’un marché cherchant à acheter ou vendre au mieux de ses intérêts, il en résulte un prix sur ce marché. [9] Ce prix est une information précieuse, c’est un jugement de valeur qui permet à tous les acteurs de prendre des décisions. [10] Dans la démocratie des acheteurs, le prix est le résultat d’un vote pour un produit ou pour un vendeur. [11] Les « élus » seront à terme ceux qui prospéreront sur le marché, car choisis par les acheteurs : c’est le jeu de la concurrence, [12] inhérente au marché libre, processus dynamique de découverte par comparaison entre elles des diverses offres.

L’entreprise

L’entreprise est un acteur essentiel, ou plutôt un ensemble d’acteurs humains (employés, dirigeants, actionnaires, prestataires) liés contractuellement, impliqués dans l’entreprise avec des motivations différentes, mais dont l’association concourt à produire des biens ou services offerts sur un marché. Sauf quand elle bénéficie d’un monopole de droit, [13] l’entreprise est une entité vivante qui doit évoluer en fonction de la concurrence et de la demande. [14]

Le marché, lieu d’échange, n’est pas non plus soumis au règne de l’argent : il y a évidemment des échanges non marchands, sur une base volontaire associative, locale, familiale, etc. Un marché n’est pas forcément motivé par la recherche du profit financier (mais il y a toujours pour les participants un intérêt à entrer dans un marché, qu’il soit « monnayé » ou non [15]).

Le libéral n’a donc aucune obsession économique. Il n’affirme même pas que le marché [16] soit la réponse à tous les problèmes de la société. En revanche, le marché, expression de la liberté et de la propriété, est pour lui ce qu’il y a de plus juste, [17] dès lors qu’il n’est pas faussé par une intervention extérieure. Or la tendance de qui détient le pouvoir politique est de peser dans un sens ou dans un autre, en faveur de tel ou tel, pour fausser les prix, spoliant sous divers prétextes tantôt les acheteurs, tantôt les vendeurs.

Auto-régulation

Il est difficile pour beaucoup de gens de comprendre qu’en économie il n’y a pas besoin de régulation (autre qu’un cadre légal minimal résultant de l’existence d’une justice et d’une police). Les mêmes qui s’indigneraient qu’on régisse leur vie personnelle ou familiale, ou qu’on contrôle leur budget, souhaitent qu’on réglemente la vie d’autrui pour des raisons économiques (sans doute parce qu’elle échappe à leur contrôle tout en les touchant au point sensible, le portefeuille).

Les États ont longtemps eu l’illusion de pouvoir régenter la vie économique dans l’intérêt général. L’échec de la planification et du dirigisme économique, déjà prédit par Ludwig von Mises en 1920, [18] provient de l’impossibilité de pouvoir recueillir toutes les informations dispersées dans le corps social (dans la tête des gens), et d’agir avec la rapidité voulue pour répondre aux besoins.

Les États ne planifient plus, mais n’en continuent pas moins d’intervenir pour satisfaire leur clientèle politique, et le protectionnisme se porte toujours bien.

D’ailleurs, à supposer que planifier soit possible, ce serait la fin des libertés et de l’état de droit : « si l’État calcule avec précision l’incidence de ses actes, il ne laisse pas de choix aux individus intéressés ». [19]

À suivre…

 

Thierry Falissard

[1] « Laissez faire, laissez passer, le monde va de lui-même », formule de l’économiste Vincent de Gournay (1712-1759) en faveur de la liberté du commerce du blé, réclamée aussi par Condorcet : « la liberté préviendra les disettes réelles » (« Lettres sur le commerce des grains », 1774).

[2] Tel l’homo œconomicus de la théorie d’économie néoclassique, schéma de comportement de l’être humain utilisé comme modèle mathématique.

[3] De façon pédante : « asymétrie d’information ».

[4] Position de l’individualisme méthodologique de l’Ecole autrichienne : « praxéologie » (étude de l’action humaine) chez Mises, « catallaxie » (science des échanges et ordre spontané qui en résulte) chez Hayek.

[5] Ni même une science pour certains (Karl Popper).

[6] Décrite par Adam Smith (« Richesse des nations », 1776).

[7] Au sens large : marché politique, où l’on échange des promesses contre des votes, marché du bénévolat où l’on « s’achète » une bonne conscience par le don, marché du travail où l’on échange travail contre salaire, etc.

[8] C’est la « subjectivité de la valeur ». La valeur dépend de l’importance accordée par le sujet à un bien à un moment donné.

[9] Il y a transaction si l’acheteur est prêt à acheter en dessous d’un prix X et le vendeur à vendre à partir d’un prix Y inférieur ou égal à X.

[10] Un prix en hausse incite de nouveaux vendeurs à entrer dans ce marché, et les acheteurs à chercher un vendeur ou un produit de substitution.

[11] La transaction concrétisée est le bulletin de vote.

[12] Jamais pure et parfaite, sauf dans les modèles mathématiques (irréalistes).

[13] Imposé par le pouvoir en place pour diverses raisons.

[14] « L’entreprise est élue tous les jours par ses clients. » (François Michelin)

[15] On dit que l’échange est un « jeu à somme non nulle ».

[16] Qui n’est pas une entité en soi, mais un ensemble d’interactions entre personnes. Parler du « marché » (comme parler du « peuple », du « pays ») peut conduire à toutes sortes de généralisations infondées, comme les aiment les collectivistes.

[17] « Les libéraux ne sont pas concernés par le marché, ils sont concernés par les droits, ce qui n’est pas du tout la même chose. » (Pascal Salin, 2003)

[18] Dans son article « Le Calcul économique en régime socialiste », il montre l’irrationalité de la planification économique faute d’un système des prix, d’échanges réels et de responsabilité.

[19] Hayek, « La route de la Servitude » (1944), chap. VI (« Le planisme et la règle de la Loi »).