« Tout ce qui est vraiment grand et enthousiasmant est créé par l’individu qui peut travailler en toute liberté. » – Albert Einstein
Léviathan
Terrifiant animal primitif issu de la mythologie phénicienne, le Léviathan est considéré comme annonciateur de la fin du Monde. Sans forme définie, cette créature aurait la capacité de nuire partout, à tout le monde, et de nombreuses manières différentes. Cela ne vous rappelle pas quelque chose ?
L’acte d’entreprendre impose une analyse des risques et des charges. Sans cela, aucune entreprise ne peut espérer survivre bien longtemps. Or de nos jours, quel que soit le secteur d’activité, l’entrepreneur se trouve aujourd’hui devant un amer constat : sa principale menace et source de coûts reste – et demeure – l’État…
Entreprendre résulte souvent de la passion, voire de la déraison. Toutefois, un minimum réfléchi, le créateur se pose forcément la question du calcul économique. Tout en me laissant un profit, mon entreprise sera-t-elle un jour suffisamment rentable pour verser des salaires, faire vivre des familles, payer des taxes, impôts, investir, exporter, innover et bien d’autres choses ? La totalité de mes produits sera-t-elle suffisante à couvrir l’ensemble de mes charges ? Les hypothèses sur lesquelles je fonde mon activité sont-elles fiables et durables ?
Sur tous ces aspects, la puissance publique agit, impacte, altère.
Frein à la création d’entreprise
Les profits que l’entreprise pourrait espérer générer n’existent souvent que dans l’imaginaire du chef d’entreprise. En effet, l’État s’évertue à réduire comme peau de chagrin les opportunités : les numerus clausus empêchent la création d’activités ou de filiales pour de nombreux métiers (taxi, certains métiers du droit…), des législations censées protéger les consommateurs ou les producteurs déjà en place limitent l’innovation (vente de médicaments…), des interventions publiques excluent de fait des pans entiers de l’exercice de la concurrence entrepreneuriale (nationalisations, boycotts imposés envers certains pays, limitation du nombre d’opérateurs sur un marché, telle la téléphonie mobile en France…).
Non content de réduire les ressources, l’État et ses avatars (collectivités, opérateurs, etc.) se chargent aussi… de charger ! Après avoir obligé l’entrepreneur à réduire son périmètre potentiel d’intervention, il oblige celui-ci à payer d’innombrables taxes et impôts. Et réduit de ce fait sa rentabilité. Impôt sur les bénéfices, contribution économique territoriale ou taxe foncière et prélèvements sociaux sur les salaires sont les plus connus, et les plus directs.
Mais les agents publics ont, depuis longtemps, développé une grande diversité d’outils de contrôle et de coercition : frais de douanes qui accroissent les prix des produits importés et exportés (et distordent les prix de marché), contrôle des prix de certains produits empêchant la réalisation des stratégies commerciales voulues par l’entrepreneur, TVA qui augmente artificiellement le prix des produits proposés à la vente aux consommateurs privés, instauration de salaires minimum obligatoires alourdissant sensiblement le coût des travailleurs les moins qualifiés (quitte à les exclure purement du marché du travail), et à empêcher la réalisation du modèle d’affaires de l’entreprise, etc.
Frein au bon calcul économique
La base du calcul économique se fonde sur des hypothèses. Celles-ci sont déjà très compliquées à établir pour les entrepreneurs et financiers. Le marché – via la pression concurrentielle, les évolutions technologiques, la variabilité du prix des matières premières, etc. – se révèle être par nature mouvant et incertain. Plus l’incertitude grandit, plus les risques deviennent importants. Dans une économie capitaliste standard, l’investissement – donc la future croissance de l’activité de l’entreprise comme celle du pays – se décide au regard de la valeur actualisée des bénéfices futurs. Or plus l’incertitude est grande, plus le taux d’actualisation sera fort… et la rentabilité estimée du projet dégradée.
De plus, l’action de l’Etat introduit une incertitude, souvent très importante. Tel secteur est-il souvent victime de l’intervention publique ? L’entrepreneur comme ses financeurs dégradera très fortement les espérances de gain et évitera de s’y aventurer…
Grands optimistes, certains créateurs d’entreprises essayent toutefois de fonder leur activité malgré ces signaux négatifs. Et apprennent à leurs dépens quelques temps plus tard que le Léviathan n’abandonne jamais sa proie. Les auto-entrepreneurs le réalisent avec douleur : après la création de ce statut avec la loi de modernisation de l’économie en août 2008, celui-ci n’a subi que des modifications visant à l’alourdir et à le charger de nouvelles cotisations. Alors que le dispositif avait connu un grand succès populaire.
Syndrome de Stockholm
Face à la lourdeur du Léviathan, l’entrepreneur se retrouve alors presque systématiquement à devoir recourir à son geôlier pour l’aider à survivre : subventions, allégements de charges, commandes publiques, etc. Et même pour ceux qui ne nécessiteraient pas forcément l’intervention publique pour se développer, il serait impensable de ne pas profiter des aides mises à disposition. À la fois pour des raisons concurrentielles – il serait stratégiquement une erreur de laisser aux seuls concurrents la possibilité de récupérer de l’argent – financières – il serait logiquement étonnant de ne pas chercher à augmenter sa rentabilité – et morales – après avoir été ponctionné dans de considérables proportions, il est légitime d’en récupérer une faible partie.
Aussi, bien malgré lui, l’entrepreneur devient dépendant de la puissance publique. Il intègre à son business model les subsides « offerts » par les différentes organisations publiques (de très nombreuses start ups françaises ne survivent que grâce aux subventions à la création d’entreprise, ou aux aides à l’innovation comme le crédit impôt recherche).
L’État s’avère alors ce personnage biface : Père Fouettard, et mère nourricière. La main qui prend, et la main qui donne…
Et c’est à ce moment que le piège se referme sur l’entrepreneur. Il réalise qu’il est atteint du syndrome de Stockholm. Il aime et déteste, défend et conspue, méprise et admire son geôlier ! Mais comment en sortir ?
Benjamin Le Pendeven, in Libres !!, 2014