Série Mai 68

« Dans la Pravda, il n’y a pas la vérité, dans les Izvestia, il n’y a pas les nouvelles. » – Proverbe soviétique

Union soviétique de papier

Une Union soviétique de papier : c’est ce qu’évoque le plus sûrement ce qui subsiste de la presse en ces années de Ve République crépusculaire. Si dans tout le monde occidental, les médias ont une propension à pencher vers la gauche et comme toujours, s’agissant de l’Empire du Bien, à fournir plus qu’ailleurs une tribune à ce que Thomas Sowell appelle les « oints du Seigneur », autrement dit la cléricature des intellectuels médiocres, c’est en France qu’on peut le plus sûrement parler de médias zombies.

On a reproché à Internet d’avoir forcé le déclin de la presse, nous verrons que l’idéologie et une certaine économie mixte ont fini par poser un nœud coulant autour des cous de ceux qui, conception courante de la démocratie, se devraient d’exercer un contre-pouvoir via l’information des citoyens.

1944. Grand deal passé entre les gaullistes et le parti communiste, alors en position de force. La paix civile, cruciale en période de reconstruction, fut échangée contre des bouts de communisme. Les gaullistes vivaient dans l’illusion technocratique à peu près autant que les anciens vichystes, et à peine moins que les staliniens.

Les concessions parurent sans doute raisonnables en dehors d’une franche opposition idéologique, et l’épreuve de la Résistance avait tissé des liens sacrés entre les hommes. Dès lors, le syndicat du livre CGT bénéficie d’un monopole légal au sein des ouvriers de la presse quotidienne nationale. Il contrôle notamment les recrutements par le biais d’un bureau de placement.

Yul Caravage

La presse écrite, subventionnée…

Au nom de la liberté de la presse

Le syndicat du livre, en capacité de bloquer l’impression d’un quotidien, exerça donc un chantage constant sur la presse écrite, selon deux axes. Le premier, classique, est celui des salaires et des conditions de travail. La CGT arracha des rémunérations au-dessus du raisonnable, des prix très élevés imposés aux imprimeries, ainsi que l’impunité, tant au regard de la qualité du travail, que de pratiques condamnées par le droit commun.

Le second axe était celui de la censure. Grèves consécutives à la publication d’articles défavorables au « service public », ce qui a sans doute contribué au culte voué à ce dernier, ou plus sournoisement, à modérer les journalistes à la fibre libérale. La culture de la presse a fini par admettre cette censure, en dépit de rares rébellions. Sauf qu’à ce jour, le syndicat du livre ne cesse de décliner.

Il se produisit donc une lente attrition des journalistes de droite, qui finirent noyés après 68 dans la masse des jeunes gauchistes bourgeois, formés par l’université. Classiquement, un journaliste commence sa carrière en donnant des gages de gauchisme, puis au contact de la réalité, s’il a quelques principes, il cesse d’être de gauche au bout de plusieurs années.

Les écoles de journalisme de même que l’université recrutant surtout des enseignants de gauche, voire d’extrême gauche, c’est le bourrage de crâne. Les calculs. D’autre part, FR3 (France 3) fut offerte au parti communiste, tandis que les soixante-huitards investissaient Radio France, France Inter, et France Culture. En 1981, dans les bureaux de l’AFP, des acclamations saluent l’élection de François Mitterrand.

Marianne en 2001 faisait état de 94% de journalistes aux opinions de gauche. Un autre sondage plus récent, de Louis Harris, estime à 74% le vote Hollande au second tour au sein de la profession.

Il ne s’agit cependant pas systématiquement d’une vassalité directe aux politiques, lesquels peuvent faire l’objet de critiques (parfois véhémentes, souvent superficielles) ; il s’agit plutôt d’un unanimisme idéologique. C’est sans doute ce dernier et le syndicat du livre les responsables de la crise que traverse la presse écrite depuis les années 80.

Avec l’extinction du débat, les analyses baissèrent en qualité, devinrent routinières, et s’éloignèrent d’un lectorat majoritairement à droite. Or face à la crise, quelle option choisirent les journalistes, en tant que corporation ? Coller à la réalité du marché ? Changer ? Non, manger dans la main du prince. Lequel leur octroya les subventions réclamées (on paie un journal deux fois).

On remarquera que plus un journal se situe à gauche, plus il est subventionné, la palme revenant à l’Humanité, avec 80% du prix de vente, devant Libération. La dette de l’Huma a d’ailleurs été récemment effacée par un vote du Sénat. Mais toute la presse se trouve sous ce régime, y compris celle réputée à droite.

Fortes subventions, faible qualité

Le problème de fond demeurant la piètre qualité des analyses, donc du produit offert, le changement de support n’y change rien, et l’on peut voir la tentative de rançonnement de Google au profit des sites Internet des quotidiens, comme l’adossement d’un cartel au pouvoir politique. De plus, la réduction générale des budgets a favorisé le copier-coller des dépêches AFP.

Les articles d’opinion, quant à eux, suivent une ligne brejnévienne peu informative mais souvent chargée d’émotion, voire de haine et de mépris. La nécessité des subventions afin non pas de rester à l’équilibre, devenu presque impossible, mais d’échapper à la faillite, les propriétaires souhaitant peu investir à perte, achève ainsi de verrouiller les médias privés ou privatisés.

Le dernier clou au cercueil de l’indépendance de la presse n’est cependant pas le financement public, mais la formation d’une classe « politico-médiatique » plutôt à gauche sur le plan des valeurs affichées (seulement affichées), concrétisée par des couples mixtes, l’un appartenant au monde politique et / ou à la haute fonction publique, et l’autre aux médias ou à la culture.

Les exemples sont légion, tels les couples Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair, Arnaud Montebourg et Audrey Pulvar, jusqu’aux compagnes et maîtresses successives des deux derniers présidents de la République. Consanguinité qui doit tout à un accord de fond entre imposteurs sur la nature du régime et de ses orientations idéologiques. Immense conflit d’intérêts.

On ne sait plus dès lors, pour les affaires sensibles, si les journalistes relaient le point de vue officiel sur ordre ou parce qu’ils ont anticipé ce dernier. Le raisonnement traditionnel y voit des articles commandés, selon la vieille logique des régimes autoritaires pyramidaux. Mais une approche plus réaliste de la nomenklatura de la Ve République post-Mitterrand indique plutôt une osmose culturelle, des velléités totalitaires décentralisées.

Libres !!

Couverture de Libres !!

Les soviétiques avaient la Pravda et les Izvestia, mais nous, qui vivons en république, avons la chance d’avoir cent nuances de ces merveilleuses publications. En fait, plutôt une vingtaine…

 

Yul Caravage, in Libres !!, 2014