« Une décision morale doit forcément être une décision libre, et l’État a placé les individus d’une société dans un environnement « non-libre », dans une matrice générale coercitive. » – Murray Rothbard

Droit de vote ?

Le citoyen français se questionne par rapport à son devoir : s’abstenir de voter, dans un refus d’endossement du système certes, mais alors gaspiller sa seule chance de tendre vers l’idéal de liberté. Sachant qu’il devra prendre une décision lors de l’élection présidentielle en 2017, voilà le grand dilemme auquel il fait face.

D’abord, le droit de vote est souvent loué comme étant un pilier de la démocratie libre moderne, un monument de la République. Pourtant, il est naturel de douter du lien supposé intrinsèque entre le vote et la liberté, à la vue de tous ces états démocratiques qui, chaque jour, au nom de la représentation, s’arrogent des droits que les individus eux-mêmes n’ont pas.

Mais finalement, qu’est-ce que le droit de vote ?

Queue de liberté...

Queue de liberté…

Vote, esclave !

Moralement, nous pourrions penser que c’est une façon de s’engager dans le processus électoral et politique qui perpétue ces actes de violence et ces violations des droits des individus. Voter, selon les tenants de cette vision, c’est donner à des gens ainsi placés au-dessus d’autres des droits que l’électeur lui-même ne possède pas, endossant au passage ce système illégitime.

Les politiciens abusent ensuite de ces « faux droits », qui deviennent immanquablement des pouvoirs, et nous voyons naître une ribambelle de crimes, produits de ce système : impôts, taxes, guerres, subventions, lois, etc.

Voter, ce serait exprimer sa satisfaction du statu quo, ce serait ouvertement accepter d’être l’esclave de tel ou tel représentant. Le seul message qui devrait être promu serait celui de l’abstention, criant d’une telle manière l’absence du besoin de l’État dans la vie. De toute façon, les plus grandes inventions humaines ne sont pas conséquences du système politique comme tel, mais bien de l’action volontaire des individus, atomes de la société.

Communication électorale

Seulement, il y a un hic. Les individus, ces atomes, étant contre leur gré institutionnalisés par le système politique en place, n’ont pas beaucoup de ressources pour se défendre contre les abus de l’État. Et bien souvent, l’abstention n’est pas une action faite « par principe », mais bien par ignorance ou même par acceptation des termes imposés par la collectivité. Les individus doivent donc redoubler d’originalité afin de maximiser l’utilisation des ressources à disposition pour éveiller les consciences aux bienfaits de la liberté.

Nous pouvons donc avancer que le processus électoral comme tel peut servir de plate-forme éducative œuvrant vers cette finalité ; l’encourager par le vote peut, dans cette situation, devenir chose à favoriser. Ron Paul, aux États-Unis, a d’ailleurs su illustrer l’efficacité de cette méthode.

Nous devons une grande partie de la popularisation du mouvement libertarien américain à ce politicien qui a su utiliser les tribunes que le processus électoral lui fournissait pour promouvoir les idées de liberté. Indirectement, nous devons aussi cette popularisation à tous ces gens, usant du vote, qui l’ont appuyé dans ses démarches. David Friedman lui-même disait que, dans le contexte actuel, il ne fallait pas voir le système électoral comme une façon de prendre le pouvoir, mais plutôt comme une opportunité de diffuser nos idées. [1]

Droit de regard

Seulement, certains continueront de défendre que le vote reste une action immorale et qu’il faudrait absolument le boycotter. Puisque le processus démocratique ne permet pas de transformer des actes immoraux en actes moraux, indépendamment de l’acceptation générale, voter c’est en quelque sorte signer son nom et endosser la responsabilité d’une liste infinie de crimes. [2]

Assurément, si l’on considère le « droit de vote » comme un droit de participer aux décisions que prendra l’État concernant les individus sous sa supervision, desquels nous faisons partie, alors on peut lui accorder une certaine légitimité. Effectivement, c’est en quelque sorte, sur une échelle immensément restreinte, une façon de conserver le contrôle de son autonomie personnelle. C’est dire que tant qu’à être dirigé, l’individu doit au moins avoir un droit de regard sur la façon dont il le sera.

Cependant, le vote ne se borne jamais à cet aspect ; le vote n’énonce pas seulement une préférence personnelle, il exprime également un désir de voir cette préférence devenir loi sur le territoire et ce, via une application de la violence intrinsèque à la nature même de l’État.

Le « qui »

Cette vision, certes très respectable, omet dans son argumentation un facteur important : le processus électoral qui forme le gouvernement a une dimension très pratique qui fait schisme par rapport au philosophique. [3] Même s’il en est souvent l’inducteur, le pouvoir politique, par nature clientéliste, est réactif aux messages sortis des urnes, et le vote constitue là une source d’influence du pouvoir à ne pas négliger.

Ironiquement, considérant l’existence d’un certain « collectif » libertarien, il serait efficace de voter. Sans évoquer ce concept de collectif, Murray Rothbard croit pour sa part que le vote n’est pas le problème à proprement parler. L’important, c’est plutôt la personne – le « qui » – qu’un électeur soutient. Il est possible de ne pas vouloir signer de son nom les immoralités qu’entretient le gouvernement d’un État, mais d’avoir une préférence sur la personne qui tirera les ficelles de ce gouvernement. La politique, en dehors des concepts philosophiques, a un impact direct sur la vie des gens. [4]

Un choix non choisi

Est-ce cependant moral ? À cela, Rothbard répond qu’une décision, pour être morale, doit d’abord être une décision libre. Néanmoins, l’État place les individus d’une société dans un environnement « non-libre », au sein d’une matrice générale coercitive, et malheureusement, sachant que l’État existe comme tel, le peuple doit prendre acte de cette matrice pour remédier à sa situation.

Il se rapporte à Lysander Spooner qui met en évidence l’environnement coercitif de l’État : voter n’est pas une action consentante et volontaire étant donné que l’État contraint le peuple au seul choix périodique de ses maîtres. Il ne peut donc être considéré immoral d’user de cet outil pour tenter de se libérer du pouvoir de l’État. [5]

Pas « pour qui », mais « pourquoi »

En conclusion, on pourrait affirmer sans trop se tromper que le vote peut se séparer en trois dimensions distinctes : l’acte, l’image et l’intention. L’acte comme tel ne semble pas être problématique. En contrepartie, l’image est grandement importante : est-ce une forme de soutien au système immoral et coercitif ? Là, l’intention vient répondre. Je serais prêt à dire qu’il n’y a pas d’absolutisme concernant cette question. Tout dépend de l’individu et de sa motivation intérieure.

Couverture de Libres !

 

Xavier F. Ménard, prévu pour Libres !!!, 2015

[1] FRIEDMAN, David. The Machinery of Freedom, (Second Edition), Part IV, p.116
[2] BRENNAN, Jason. The Ethics of Voting, Princeton University Press, 2012
[3] BLANKS, Jonathan. Pay No Attention to the Man Who Won’t Stand Behind the Voting Curtain, Libertarianism.org, 4 novembre 2014
[4] The New Banner: A Fortnightly Libertarian Journal, Exclusive Interview with Murray Rothbard, (Special Supplement), 25 février 1972, Vol. 1, No. 3
[5] ROTHBARD, Murray. The Ethics of Liberty, New York University Press, 1988, Chapitre 24, (The Moral Status of Relations to the State)