Satyre vers le bas

Déjà plusieurs mois se sont écoulés depuis les étrennes de janvier, où les plus malchanceux ont reçu entre les mains le livre affligeant d’une cinquantenaire en manque de notoriété qui, pour se faire connaître du grand public, décrit ses amours adolescentes avec un vieux satyre alopécique.

Ce qui devait être dit a été dit : la médiocrité du style a été moquée, l’indigence du propos soulignée, l’exhibitionnisme littéraire pointé du doigt. Il ne convient donc pas ici de prendre parti ni pour l’un ni pour l’autre. L’auteur de ces lignes n’a jamais trouvé le moindre intérêt aux écrits nombrilistes d’un sous-Montherlant germanopratin, vaguement dandy, faussement réac et qu’une brochette d’imbéciles osent qualifier de « sulfureux » ; aucune sympathie ne pourra donc motiver une quelconque défense de ma part de ce cacochyme déplumé.

Je n’ai pas non plus de sympathie pour une femme de cinquante ans à la mâchoire chevaline (n’ayant, d’après ses dires, pas eu en bouche que de l’avoine) qui, profitant du déchaînement hystérique initié par le mouvement #MeToo en 2017, accuse d’emprise sexuelle, quelques trois décennies plus tard, un homme auquel elle s’est livrée de son propre chef, y trouvant au passage quelques avantages matériels.

Springora

Vanessa Springora, écrit et provoque l’affaire…

Vanessa pas rendu compte ?

La question de la protection des mineurs – tellement innocents, nous le savons bien ! vierges de toute pensée perverse, surtout à 13-14 ans – a été soulevée. Encore une fois, les âmes de pleureuses ont demandé au législateur de s’occuper de ces affaires qui ne regardent, en définitive que les individus et, éventuellement leur famille.

Murray Rothbard définissait les droits de la personne comme « les droits de propriété que possèdent un individu sur lui-même ».[1] Le concept de propriété étant à la base de la théorie libertarienne du droit, considérons « l’affaire » selon celle-là : Vanessa S. est a priori un individu rationnel, détenteur de droits de propriété sur sa personne ; elle peut très bien exclure de sa propriété (en l’occurrence de son corps) tout individu qu’elle juge inopportun d’y recevoir. En revanche, elle peut librement concéder tout ou partie de ce droit de propriété, gratuitement ou non, à un ou plusieurs individus, pour une durée déterminée, dans un contrat passé entre le propriétaire nominal du corps (soit Vanessa S. elle-même) et le ou les usufruitiers de la propriété effective de ce corps (par ex., Gabriel M., écrivain de son état).

Ainsi, selon cette théorie des droits de propriété des individus sur eux-mêmes, Vanessa S. ayant cédé volontairement et gratuitement l’usufruit de son corps à Gabriel M., aucune effraction de propriété n’a été commise.

Si maintenant on considère de manière naïve qu’à 13 ans Vanessa S. n’était pas un individu rationnel libre de ses choix et de disposer de la propriété d’elle-même, se pose effectivement la question de la protection de cet individu et de ses droits de propriété. Si cette jeune personne n’était pas en mesure d’exercer rationnellement les droits de propriété qu’elle a sur son corps, peut-il exister un mandataire quelconque, sorte d’hybride entre le régisseur de domaine et le curateur, dont le rôle serait de préserver les intérêts et droits de propriété du mineur sur lui-même jusqu’à sa majorité ?

Quid des parents ?

La société et les lois qui la régissent considèrent généralement que le rôle de parents est d’exercer une telle curatelle. Parce que les géniteurs (ou parents adoptifs) ont, normalement, intériorisé les responsabilités qui leur incombent lorsqu’ils forment le projet d’avoir des enfants, la protection des individus mineurs issus de leur descendance directe et des droits de propriété de ceux-ci sur eux-mêmes est assurée, les intérêts et la sécurité des enfants sont protégés et la morale collective préservée sans intervention d’une quelconque entité étatique.

Or, que nous révèle encore cette « affaire Springora/Matzneff » ? Rappelons les faits : il s’agit ici d’une adolescente de 13-14 ans, donc nubile, qui aurait été la proie d’un rapace immoral et détraqué. Une question se pose donc, compte tenu des développement précédents : quid des parents ? Où sont les curateurs/régisseurs des droits de propriété de l’enfants sur lui-même ?

Le récit navrant que fait Springora de son paysage familial donne la réponse : un père inexistant, absent ; une mère divorcée et célibataire, travaillant dans le milieu de l’édition, s’occupant de sa carrière avant de s’occuper de sa fille. Soit, pour reprendre la terminologie du sociologue Edward Banfield, une famille « dysfonctionnelle »,[2] éclatée, où les responsabilités ne sont pas exercées par les adultes, où la protection de l’individu mineur et des droits de propriété sur lui-même a été négligée.

Dès lors, qui faut-il blâmer ? Si Gabriel M. peut être accusé de défaillance morale, cette mère séparée/divorcée, qui s’est révélée incapable de concilier ses ambitions professionnelles et l’éducation de l’individu mineur qu’elle a fabriqué en pleine conscience des devoirs qui lui incombaient, doit être ici rendue responsable.

Matzneff

Sous-Montherlant germanopratin, vaguement dandy, faussement réac…

Les tas d’amours

Encouragée par un ensemble de dispositions légales adoptées au XXème siècle (divorce par consentement mutuel, allocations multiples payées par la collectivité et autres mécanismes conduisant à une hausse du niveau de préférence temporelle des individus), elle n’a pas pris la peine d’exercer son rôle, traditionnellement dévolu par la société aux parents. C’est pour cela qu’elle mérite d’être jugée moralement – et le cas échéant devant un tribunal civil – responsable s’il y a effectivement eu effraction des droits de propriété que possédait la jeune Vanessa S. sur elle-même, celle-ci étant alors mineure et incapable de les défendre seule.

Que faut-il donc retenir de cette histoire affligeante ? Comme d’habitude, les imbéciles demandent à l’Etat de s’immiscer dans un domaine qui ne le regarde aucunement. Ce n’est certainement pas à l’Etat de se mêler des amours des individus, fussent-ils à peine pubères.

La puberté désigne, anatomiquement et physiologiquement, le passage de l’enfance à l’âge adulte. Si la pédophilie est moralement inacceptable et juridiquement condamnable, c’est précisément parce qu’elle consiste à avoir des rapports sexuels avec un corps qui n’y est, anatomiquement et physiologiquement, pas prêt. Si l’Etat pourrait alors être fondé à intervenir en interdisant et réprimant la pédophilie, les relations sexuelles consenties avec un mineur pubère ne peuvent être considérées comme de la pédophilie à proprement parler, et par conséquent ne regardent en rien l’Etat.

Vous reprendrez bien impôt de libido ?

C’est, comme souvent, une question de pure responsabilité individuelle : responsabilité des soi-disants « éphébophiles » vis-à-vis des normes morales de la société dans laquelle ils évoluent et des individus qu’ils vont plier à leur vices ; responsabilité des parents quant aux obligations qui leur incombent vis-à-vis de leurs enfants ; responsabilité, enfin du mineur lui-même, en tant que futur adulte, qui doit apprendre à mesurer les conséquences de ses désirs et actions.

Accessoirement, on peut interroger la responsabilité des éditeurs de ne pas publier n’importe quelle sottise de 200 pages au format broché…

Dernière remarque : les manifestations qui se sont tenues sous les fenêtres de la mairie de Paris pour dénoncer les accointances de certains adjoints avec Matzneff – à commencer par Christophe Girard en charge de la Culture – ont toujours mis en avant les mœurs dissolues de ces messieurs à la libido détraquée. Il est regrettable que les aspects financiers, intéressant plus directement le contribuable, n’aient pas été davantage pris en compte, hormis quelques articles dans la presse.

En effet, Matzneff a bénéficié, grâce à ses relations à la mairie de Paris, d’une HLM dans le 5ème arrondissement, et d’une subvention à vie du Centre National du Livre, négociée par Christophe Girard, pour un total de plus de 160.000€ depuis 2002.

Qu’il ait du talent ou qu’il en soit dénué comme c’est ici le cas, un écrivain n’a pas à être logé ni subventionné par la collectivité. L’art est pour certain un sacerdoce, pour d’autre une simple distraction ; en aucun cas il ne peut être assimilable à un fonctionnariat.

Si obscénité il y a dans l’affaire Matzneff, c’est bien celle-ci !

 

Thierry Martin

[1] ROTHBARD Murray, L’éthique de la liberté, 1991 (rééd. 2011), Les Belles Lettres ; trad. fr. de The Ethics of Liberty, 1982.

[2] BANFIELD Edward C., The Unheavenly City, 1970, Little Brown and Co., rééd. 1990, Waveland Press.