ALEPS, Rien de nouveau

Dans le numéro 169 du Bulletin de l’ALEPS – cette feuille qui se prétend « bulletin de liaison des libéraux » – paraît la traduction du discours tenu en août dernier par Tom Palmer devant un parterre réuni au prétexte d’une « université des libertés ». Le thème en était « la montée du populisme », phénomène présenté dès les premiers mots comme « une vraie menace pour le libéralisme. »

Palmer

Tom Palmer, du Cato Institute.

Tom Palmer est une personnalité d’outre Atlantique qui n’est pas sans intérêt. Il a dirigé un ouvrage fort honorable, La Moralité du Capitalisme, compilant les textes d’auteurs forts connus, et assume des responsabilités importantes au Cato Institute ainsi qu’à l’Atlas Network. Libertarian affiché, il est parfaitement représentatif de la mouvance qui correspond assez bien au « libéral » commun de chez nous – ce qui explique son invitation par les « libéraux », pétris de pensée hayékienne.

Donc le populisme serait une menace. Mais qu’est-ce que le populisme déjà ? Eh bien ça l’air compliqué à définir, en fait. Moi qui suis habitué à partir d’une définition, me voilà frustré. En effet, sur les cinq pages du texte, il en faut trois à Palmer pour tourner autour du pot et tenter de nous faire cerner ce que serait cet animal politique, à travers moult auteurs académiques et exemples de tyrans divers. Sans que jamais la moindre définition digne de ce nom n’émerge. On ne trouve guère qu’une citation d’un auteur – Karen Stenner, que j’avoue ne pas connaître – laquelle se résume à un maigre : « … ce qu’on pourrait appeler un autoritarisme grégaire, c’est-à-dire du populisme. »

Une menace peut en cacher une autre

Mais ce n’est pas la critique de la faiblesse argumentative de Palmer envers le populisme qui me pousse à faire cet article – et je tiens à préciser que je ne suis pas spécialement « populiste » moi-même, ni ne suis spécialement en faveur du populisme, même si je m’étonne souvent qu’on puisse en tant que libéral sembler être opposé à un mouvement dont la source demeure d’essence populaire.

Non, ce qui motive cet article, ce sont les deux autres pages du discours. Celles où Palmer entre enfin dans son sujet et nous explique en quoi le populisme serait « une menace » pour le libéralisme.

Pour ce faire, Palmer va tenter d’opposer la logique populiste à la logique libérale, et il l’attaque par cette phrase magique :

« Les populistes cherchent à obtenir le pouvoir par des moyens démocratiques, mais ils ne sont pas libéraux, c’est-à-dire qu’ils ne se sentent pas tenus de limiter les pouvoirs du Peuple, tels qu’eux et eux seuls les formulent. »

Je présume que le lecteur aura vu les deux énormités que cette phrase ose nous infliger. En premier, pour être libéral, il faudrait se « sentir tenu » de limiter les pouvoirs du Peuple ? Quelle est donc cette définition barbare du libéralisme ? Depuis quand être libéral ce serait de veiller à limiter le pouvoir du peuple ? On croirait lire la mauvaise blague d’un oligarque cynique. D’autant que pour – hélas – un démocrate, le dogme veut que la démocratie soit sinon parfaite du moins assez solide pour résister à ceux qui voudraient en abuser – sinon, quelle serait sa valeur ? Avec cette seconde erreur, il se tire une balle dans le pied, accusant les populistes d’abus qui sont en réalité autant de manifestations des faiblesses et incohérences de la démocratie dans sa conception même.

Aleps

L’ALEPS en plein travail universitaire

Démocratie Snowflake

Mais cette phrase n’est pas la seule qui mérite un encadrement, qui montre le manque de solidité des arguments d’une personne pourtant supposée être un cadre, une figure contemporaine de nos idées. Voici qu’arrive une vision encore plus fragile, un aveu d’inaptitude de la démocratie :

« … même si l’idéologie populiste utilise le système électoral et des moyens démocratiques comme vecteurs de sa politique autoritaire, sa victoire met un terme à la démocratie. Il n’est plus possible d’avoir une véritable opposition, condition essentielle à la stabilité d’institutions démocratiques quand celle-ci est stigmatisée comme étant l’ennemi du peuple. »

Donc la démocratie serait ce système merveilleux, symbole et institution indissociable de la liberté, qui pourtant pourrait disparaître lorsque ses propres mécanismes électoraux porteraient à sa porte des mouvements autoritaires ? Mais voyons, voyons, n’est-ce pas la démocratie qui pourtant porta au pouvoir le célèbre Hitler, ou le célèbre Mussolini ? Palmer serait-il en train de nous dire que, non, ce n’était « pas la vraie démocratie », et que la vraie démocratie, ce ne serait que lorsque des gentils libéraux viennent au pouvoir ? Tartufferie me semble approprié devant une telle veule esquive.

Et que vient faire cet argument envers l’opposition ? De plus, ce n’est pas juste une bourde oratoire, car le voilà redoublé :

« Vous ne pouvez pas avoir d’opposition légitime si vous ne limitez pas les capacités du parti qui a gagné à punir ceux qui ont perdu. Et sans une opposition légitime, vous ne pouvez pas avoir de démocratie. »

Depuis quand le système démocratique aurait-il dans ses conditions et institutions le besoin d’une opposition, qualifiée ailleurs de « loyale » ? On constate en effet en ce moment combien H.Clinton et la clique des Democrats se comportent de manière loyale, avec leurs ridicules scandales à répétition. Ou encore combien les mêmes méprisent les électeurs de Trump et les considèrent comme « ennemis du [vrai] peuple », le vrai peuple étant forcément ici celui de la gauche. Est-ce que cette attaque de l’opposition dans son pays-même permet à Palmer de conclure que la démocratie n’est plus ? Est-ce cela son message ? Que depuis que Trump est élu, la liberté est en danger ?

Trump en ligne de mire ?

Je peux comprendre l’inquiétude que tout libéral se doit d’avoir envers le Président actuel. Mais pas parce que c’est Trump, simplement parce que toute personne à ce poste disposant de pouvoirs invraisemblables, qu’il s’agisse d’un Clinton, de Trump, de gauche, de droite, de républicain ou de démocrate, nous devons dénoncer ces pouvoirs et rester vigilants envers celui ou celle en place. Voilà le type d’inquiétude qui devrait être celle d’un Palmer réellement libéral.

Mais je m’égare peut-être, du moins je l’espère. Toujours est-il que Palmer finit sa démonstration présumée par un truisme pitoyable, qui montre combien le libéral démocrate est démuni face à la prise d’assaut continue et croissante dont le pouvoir démocratique fait l’objet un peu partout :

« En l’absence de limites au pouvoir étatique, aucun gouvernement ne peut se permettre de renoncer au pouvoir. La Russie est confrontée à ce problème. »

Cher Tom Palmer, vous vous trompez de cible. La cible n’est ni la Russie, ni Trump, ni le populisme. Le populisme n’est d’ailleurs qu’une des nombreuses variantes du socialisme et de l’étatisme, il est le produit même de la démocratie, il n’existe que pour et par elle. Supprimez les élections et la démocratie et vous supprimez le populisme. C’est cela que notre expert es liberté devrait voir. Myopie et aveuglement.

À l’Aix, Rien de nouveau

Alors comment conclure cette critique de ce discours ayant manqué sa cible ? En revenant chez nous et en revenant sur l’événement où ce discours fut tenu. Les « libéraux » pensaient s’être réunis et tenir une « université » bonne pour leur « égaux », ce qui suppose un moment de haute volée intellectuelle, assuré par notre intervenant. Qui a accouché d’une souris, mais dont tout laisse à penser qu’il fut pourtant applaudi.

Voilà le niveau de ceux qui en ce pays prétendent nous sauver du Léviathan. Ils n’ont toujours pas su dépasser les évidences, ils n’ont pas su voir les incohérences, ils ne savent toujours pas voir que c’est la démocratie elle-même qui va à l’encontre de notre droit, de notre liberté, et qui nous enfonce à chaque élection un peu plus dans le gauchisme, le socialisme, l’étatisme ou le populisme. Ils se placent donc en fait en adversaires, en obstacles des libéraux cherchant à établir la société libre du contrat.  Sachons les dénoncer, sans relâche.

 

Euclide