L’Enfer me ment
La doxa médiatique en 2021 est sans appel : apparaître en bikinis sur les réseaux sociaux promet à subir la critique, au mieux, l’ostracisme, au pire. L’affaire Britney Spears remet cette perversion sur le devant de la scène, comme en témoigne son compte Instagram qui déchire les passions, depuis la mainlevée le 12 novembre 2021 d’une tutelle délirante longue de 13 ans. Mais plus encore, elle dénonce en lame de fond les travers d’un système opaque, mal connu, celui des mises sous tutelles, et donc, en filigrane celui de l’enfermement psychiatrique. Le passionné de la langue des oiseaux entendra directement dans le terme « enfermement » rien de moins que : l’enfer me ment. L’enfer me ment ? Oui, la question des tutelles abusives se pose. Sérieusement. Et la musique des mots ici, elle, ne ment pas.
Qu’en est-il pour la virtuose de la pop, Madame Britney Spears ? Je n’ai pas la prétention de le savoir en réalité, ne la connaissant pas personnellement. J’admire simplement l’artiste, je suis une fan inconditionnelle de ses tubes, et je ressens beaucoup d’empathie et de compassion pour elle vis à vis de la privation (pendant 13 années !) de ses droits les plus fondamentaux, les plus élémentaires, de sa liberté d’expression à son droit de se mouvoir ou de voir ses proches, etc.
Mais à l’aune des faits soumis à mon observation, je vois, au loin, des personnes dire d’elle que sa santé mentale s’était dégradée lorsqu’elle décida de se faire raser la tête le 16 février 2007, puis lorsqu’elle refusa de rendre ses enfants, issus d’une ex-union avec le danseur David Federline, suite à une décision de justice lui en refusant la garde. J’imagine à ce moment-là, au loin l’ambulance débarquer en pleine nuit, suite à une décision arbitraire demandée par son père de la placer de force sous tutelle « pour démence », [1] sans son consentement et sans lui laisser les quelques jours légaux nécessaires pour se retourner et choisir un avocat qui aurait pu contester cette mesure.
Et donc, oui, Britney s’est faite piéger. Et dans l’affaire Britney Spears, l’aide de la justice a brillé par son absence.
Tutelle tue telle
Ainsi si demain, moi inconnue du grand public, je décidais de me faire raser la tête, cela change-t-il quelque chose ? Strictement rien ! On s’en moquerait ! Il ne m’arriverait rien. Et fort heureusement ! Mais Britney est une superstar multimillionnaire, et ce depuis ses 25 ans. Alors comprenez, oui, là cela devient très grave, puisqu’elle est un fort potentiel de richesse, une occasion de profit, pour beaucoup ! Il suffit juste pour certains d’interpréter de travers l’un de ses comportements, d’utiliser les méandres du droit avec un avocat immoral, une justice douteuse, et voilà, le tour est joué ! Idem pour la décision de vouloir garder ses enfants. Pourquoi ne pas y voir plutôt une maman en souffrance, juste désireuse de garder auprès d’elle ses enfants et se sentant trahie par la justice et le monde des médias ?
Démence, disait-il ? Essayons de regarder la situation sous un angle différent. Imaginons que Britney ait juste voulu se faire raser le crâne parce qu’elle en avait « ras le bol » de la pression des paparazzis. Et aussitôt sous un tel angle il s’agit d’une décision devenue tout à fait rationnelle. Déraisonnable ? Elle est si belle avec ses cheveux long… Mais peu importe, là n’est pas la question (mon avis personnel n’a pas sa place), sa décision reste tout à fait rationnelle.
Petite parenthèse économique : selon Brunner et Meckling, à l’aune du très sérieux modèle I.E.I.M : seuls les individus agissent (le holisme, le « bourdieudisme » conduit à des impasses doctrinales), les individus sont évaluateurs (ils savent classer leurs préférences), imaginatifs (ils savent prévoir et anticiper leur vie) et maximisateurs (ils préfèrent plus à moins). Ce modèle conduit à dire que l’individu, donc, est rationnel. Dans les faits.
Un exemple en ce sens est apporté par le Nobel d’économie Gary Becker : un individu arrive en retard pour une conférence, se gare sur une place où il n’est pas censé se garer – mais il n’a pas le temps d’en chercher une autre (puisqu’il lui tient vraiment à cœur d’assister à la suite de cette conférence). Le quidam moyen pourrait alors dire : « Cette personne est folle ! C’est irrationnel ! Elle va devoir payer. » Mais en réalité cet individu, tout simplement, préfère payer une amende plutôt que rater le reste de sa conférence. C’est simple, logique et tout à fait rationnel. Les jugements de valeurs sont personnels et l’expression même de la liberté.
Droit rationnel
Plus encore pourtant, la question n’est même pas celle de la rationalité ou de l’irrationalité. La question la plus importante est celle du droit naturel : qu’importent les actes commis par elle, l’important est qu’ils n’entravent pas la liberté et le droit d’autrui. Adulte, elle n’a fait de mal à personne. Oui mais certains diront qu’elle est un danger pour elle-même, qu’elle s’en fait donc à elle-même… Mais qu’en savent-ils réellement ? Sont-ils Dieu tout Puissant ?
Dans les faits, elle ne s’est jamais scarifiée et elle n’a jamais tenté de se suicider. Et quand bien même, n’en déplaise à certains, cela aurait été son libre choix. Mieux, comment peut-on avoir le droit de mettre quiconque sous tutelle ? De quel droit ? Comment un citoyen peut-il soudain ne plus en être un ? Pour ses cheveux ? Peu importe qu’elle soit ou pas raisonnable, elle est dans son droit, qu’on lui fiche donc la paix. Qui pourrait bien avoir le droit, ou qui peut bien le donner à quiconque, de la prendre en (fausse) tutelle pour une pseudo déraison ou démence ? Encore une fois, c’est une question de droit, rien d’autre.
En l’espèce, quand je dis que la décision de Britney de se faire raser la tête me semble rationnelle, je dis bien qu’elle préfère peut-être voir sa tête sans cheveux plutôt qu’une déferlante médiatique bien plus véhémente derrière elle…Si bien-sûr cela aura été la raison de son geste. En mon for intérieur, je n’en sais rien, je ne suis pas omnisciente. Elle en aurait décidé ainsi car elle en aurait peut-être eu assez, c’eut été un signal d’alarme, sa manière alors à elle de dire « laissez-moi tranquille ». Mais certains y verront l’illustration d’une psychose, à savoir d’un comportement irrationnel. Qui l’en protège ?
Je suis persuadée pourtant de l’inverse. Car je suis convaincue que beaucoup en ont tout simplement voulu à son argent et ont profité d’elle. Pourtant, encore une fois, elle n’entrave pas le droit naturel d’autrui, alors qu’on lui fiche donc la paix !
I Care A Lot
Pour mieux comprendre le phénomène en jeu, regardez donc l’excellent film « I Care a Lot » (2021) de J. Blakeson, un film américain renversant, divertissant à souhait, glaçant, cruel, mais aussi dénonciateur du système des tutelles abusives. Marla Grayson, symbole du rêve américain, y a monté son entreprise de tutelles, elle est au summum de sa réussite. Elle a en charge plusieurs patients dont elle « s’occupe. » Ça c’est la façade. L’envers du décor, c’est qu’elle dégage une machine à cash aussi phénoménale qu’elle est scandaleuse.
Marla trouve avec l’aide d’un docteur des patients riches qui présentent quelques signes de vieillesse. Elle fait enclencher par ce médecin une audience d’urgence (en l’absence du patient) durant laquelle elle témoigne en exagérant les symptômes, ce qui conduit à une décision de justice contestable visant à placer ladite personne sous tutelle, et donc, dans une maison de retraite, le tout sans son consentement. Par la suite, Marla met aux enchères tous les biens du patient, sa maison, ses effets personnels et se paie bien sûr dessus… Les « protégés » de Marla finissent par mourir hors de chez eux, sans avoir revu ni leur famille (ils n’en ont pas le droit) ni leur téléphone… Le jeu perdure jusqu’à ce que Marla rencontre une certaine Jennifer Peterson… Là, ses ennuis commencent.
Tutelle, mais toute Elle
Bref, revenons à notre affaire. Ne voyez-vous pas là une comparaison glaçante avec l’affaire qui nous intéresse ? Ou bien voyez-vous bien la faille dans le système des tutelles, que ce soit en Amériques, en France ou ailleurs ? Pourtant, beaucoup ferment les yeux, font confiance à la législation, aux pratiquants du droit, etc.
La question la plus importante de ce court article, concernant Britney, est sans doute celle-ci : Comment Britney Spears, et les reportages posent clairement la question, comment une artiste qualifiée de « démente » le 1er février 2008 (à 27 ans !) lors de son placement sous tutelle peut-elle pendant 13 ans composer des chansons, les apprendre, imaginer des chorégraphies, les apprendre, puis les apprendre à ses danseurs, puis partir en tournées pendant de longues années suivant un rythme de travail effréné, bien démontré dans les reportages en question ? En général, les personnes « démentes » ne travaillent pas ainsi ! La réponse est donc… dans la question.
Britney aura été une aubaine pour son père véreux, l’avocat choisi par lui (et non par Britney), et les personnes assurant la tutelle et consorts qui se sont largement engraissés sans état d’âme sur son dos. Le seul fait qu’une telle affaire ait été possible laisse à réfléchir sur le droit et la justice actuels.
Sophie MG
[1] Il s’agit bien de la motivation de sa mise sous tutelle, attestée par un document officiel aisément accessible en ligne, comme expliqué par les reportages « Britney VS Spears » et « Framing Britney Spears », à voir absolument pour les passionnés de l’affaire.