« Ils altèrent leur image. Nous améliorons la nôtre. » – Ernest Gallo
Fantasmes AOC
L’appellation d’origine contrôlée (AOC) est, encore plus quand il s’agit de vin, le vecteur de beaucoup de fantasmes. Elle serait le gage d’une origine géographique, d’un terroir, d’une qualité organoleptique et de pratiques ancestrales. Bref, hors de l’AOC, point de salut pour l’amateur de vins fins. Il est bon de rappeler avant tout ce qu’est une AOC.
C’est un label censé garantir l’authenticité et la typicité du terroir d’origine du produit ; on parle d’usages anciens, loyaux et constants. Si l’origine et un cadre technique sont effectivement garantis, il n’a jamais été question de qualités organoleptiques. Le but avoué est de condamner les vins souhaitant revendiquer une origine géographique, dont la notoriété est bien souvent antérieure au décret d’AOC, à rester figée dans un prétendu âge d’or viticole. À l’origine une émanation des vignerons, l’AOC est rapidement devenue un label officiel français avec toutes les contraintes administratives que cela suppose. Hélas, les vignerons sont loin d’avoir conçu un modèle qui serve leurs objectifs.
L’AOC et la qualité organoleptique
Les vignerons sont souvent passionnés et ont à cœur de faire le meilleur vin possible, mais bien entendu, cette notion est éminemment subjective. Toutefois, les AOC peuvent souvent interdire l’utilisation de méthodes susceptibles d’améliorer la qualité du vin. Nous notons une augmentation des degrés alcooliques des vins depuis quelques années, or les procédés de désalcoolisation partiels sont toujours interdits en AOC. Bien entendu, ils finiront sans doute par s’imposer, comme l’a fait l’usage du chêne œnologique, vulgairement caricaturé par le terme de « copeaux ». Mais c’est un fait, les AOC ont et auront toujours un train de retard quant à l’application des innovations œnologiques. De la même façon, de nombreuses études ont démontré l’effet très positif de l’irrigation sur certains terroirs méridionaux et dans certaines conditions, mais les rares AOC la permettant ne le font que sous couvert de dérogation. L’AOC a pour but la typicité, pas la qualité.
L’AOC, diversité et terroir
L’excuse de ceux qui voudraient sanctifier le vin dans le siècle dernier via les AOC est que les innovations œnologiques standardiseraient le vin. Nous pouvons donc imaginer que procurer une diversité de vins qui ressemblent à leur terroir et à leur producteur (composante dudit terroir) soit une ambition louable. L’AOC est-elle le cadre le permettant ? Il est difficile de le croire : le concept d’AOC visant à garantir une typicité, son but avoué est l’homogénéisation de la production d’une région autour d’un cadre strict. Une AOC imposera donc entre autres, un encépagement (choix et proportion des cépages) sans prendre en compte les réalités agronomiques ou la vision du vigneron. Beaucoup d’AOC se donnent le droit également de prendre des décisions marketing pour vous en imposant le contenant. Par exemple l’obligation de la flûte rhénane en Alsace exclut de fait le bag in box, la canette ou les bouteilles différentes. De la même façon, les caractéristiques physico-chimiques, les sucres résiduels, l’alcool et l’acidité du vin sont très encadrés. Le muscadet est un vin sec, puisse Dieu avoir pitié de celui qui le voudrait moelleux. Enfin, en tant que frein à l’innovation, l’AOC restreint les possibilités techniques ; or, limiter les possibilités c’est limiter la diversité. Il suffit de consulter sur le site de l’INAO un cahier des charges pour saisir à quel point c’est un facteur limitant la diversité des vins, l’expression des vignerons et même celle du potentiel agronomique. [1] Les contraintes vont du cépage, du rendement et des pratiques culturales jusqu’à la taille des caractères d’imprimerie sur l’étiquette en passant par les pratiques œnologiques. C’est l’AOC qui standardise les vins.
L’AOC et le vigneron entrepreneur
Le vigneron est homme, et comme tout homme il est « faible » et cède souvent aux sirènes envoûtantes de la promesse du profit… C’est pourquoi il ne faut pas exclure l’hypothèse théorique que, comme tous les autres chefs d’entreprise, certains vignerons destinent leurs pieux travaux à un but lucratif. Disons-le : certains « fourbes » pourraient vouloir faire le vin le plus rentable possible. Ainsi, l’AOC entraîne le vigneron dans une économie administrée où une grande partie des vins produits sous AOC régionale sont considérés comme une matière première quelconque et sans individualité. L’AOC impose des quotas, l’interprofession ajuste les volumes de production, les mercuriales donnent un cours et la qualité n’est plus valorisée par le prix, mais devient une condition d’accès au marché. L’activité viticole en appellation régionale n’est donc souvent plus rentable. Ce tableau triste est malheureusement réel pour la majorité des volumes produits en AOC régionales, les plus courantes.
Les AOC sont un échec
Quel que puisse être l’objectif d’un vigneron, l’AOC est un frein à sa réalisation. Les exemples de réussite hors de ce carcan sont pourtant légion à l’étranger, comme en France. Dans le Sud-Est de la France, nous avons vu fleurir, aux cœurs d’AOC prestigieuses parfois, des vignerons qui ne revendiquent rien d’autre que leur nom. Ils plantent les cépages qui conviennent, ou ceux qui se vendent, font des rendements parfois très élevés, traitent leur raisin via des procédés physiques innovants, ajoutent des copeaux, édulcorent le produit final même s’il est rouge, le conditionnent comme leurs clients le désirent et assument ces choix. Il n’est pas surprenant que ces acteurs se développent et s’enrichissent : ils exportent toute leur production quand le monde n’a jamais autant consommé de vin de toute son histoire. La crise viticole actuelle est aussi la crise de notre modèle d’AOC sclérosé. Les nouveaux pays producteurs de vins ont choisi des modèles plus souples : ils réussissent et se développent.
Nous avons fait le choix d’un modèle passéiste, rigide et communautaire, aux antipodes de la réalité du monde ouvert du XXIe siècle. Ne nous étonnons pas de son échec. Les AOC ont néanmoins une grande qualité : elles sont facultatives ! Vignerons, le monde a soif de votre talent et se moque bien que les vins « blancs et gris présentent, après fermentation, une teneur en sucres fermentescibles (glucose + fructose) qui n’est pas supérieure de plus de 2 grammes par litre à la teneur en acidité totale exprimée en grammes d’acide tartrique par litre, dans la limite maximale de 8 grammes par litre ». [2]
Il ne tient qu’à vous de briser ces chaînes que vous vous forgeâtes vous-mêmes.
Olivier Perotto, in Libres !!, 2014
[1] Cahier des charges disponibles ici.