Le libéralisme en 21 questions – suite 12

Suite de la série apériodique du superbe ouvrage pédagogique et de synthèse de Thierry Falissard, « Faut-il avoir peur de la Liberté ? », proposant un tour d’horizon du libéralisme authentique en 21 questions progressives.

L’ouvrage, très bon marché, est chaudement recommandé à tout esprit libre avide de découvrir rapidement l’essentiel des concepts, idées, principes de la liberté et de disposer d’une liste riche de références de lectures, pour approfondir.

Il est disponible en vente ici.  Nous en profitons pour remercier l’auteur pour son autorisation, et pour son travail.

L’article précédent est accessible ici

13 – Le capitalisme est-il libéral ?

Longtemps l’homme, centré sur lui-même et sur son environnement immédiat, a travaillé et produit à court terme, pour survivre. Quand il est devenu possible de produire non pas pour une satisfaction immédiate mais pour échanger avec autrui en vue d’une satisfaction future, le capitalisme était né.

Le capitalisme est peut-être aussi ancien que la civilisation. On en trouve des témoignages dans le monde antique en Mésopotamie, Grèce ou Italie. [1] Il n’est pas non plus l’apanage des pays développés. [2] Pour comprendre le capitalisme, il faut examiner la nature de l’entreprise.

Une personne (ou un groupe de personnes) démarre une entreprise avec un apport initial (le capital) qui couvrira les premiers frais. Ce capital peut être une somme d’argent, mais aussi des biens matériels, un savoir-faire, des idées, des projets, des contacts. L’entreprise produit des biens ou services vendus sur le marché, ce qui permet à ses propriétaires d’espérer dégager des bénéfices.

Dans un certain sens, tout le monde est capitaliste, car chacun dispose de son propre capital humain [3] (connaissances, aptitudes, etc.).

capitalisme

Le capitalisme est-il libéral ?

Le Profit

Le profit est le moteur ultime de l’entreprise capitaliste. Il a un caractère résiduel : c’est ce qui reste quand tout le monde a été payé, fournisseurs, prêteurs, salariés. Il rémunère le risque pris par l’entrepreneur, il n’est jamais certain, car l’entrepreneur peut prendre de mauvaises décisions et il est toujours confronté à la concurrence.

L’entreprise, comme « machine à dégager du profit », [4] peut intéresser des personnes qui en achèteront des parts, dans l’espoir de participer aux bénéfices. [5] Pour les grandes entreprises, de tels titres de propriété (les actions) s’échangent constamment sur un marché spécifique, la Bourse.

On peut imaginer de nombreuses organisations humaines productrices qui ne soient pas axées sur le profit. Toujours est-il que l’intérêt personnel est un aiguillon puissant, facteur de développement. La recherche du profit par l’entrepreneur caractérise le capitalisme. [6]

L’Entreprise

L’entreprise n’est pas une entité en soi (sauf par la fiction juridique de la société « personne morale »), c’est un nœud de contrats, un système de relations entre partenaires coopérant normalement dans le sens des intérêts des propriétaires. [7]

Tous les types d’organisation d’entreprise se rencontrent : centralisée, décentralisée, en réseau, fortement hiérarchisée ou au contraire non hiérarchisée. [8]

On pourrait se demander pourquoi il y a des entreprises plutôt que rien (par exemple uniquement des contrats de personne à personne, ou au contraire une immense entreprise unique). La réponse a été fournie par Ronald Coase, [9] avec les coûts de transaction. Tout échange sur un marché a un coût, car il faut consacrer du temps à rechercher des contrats, des partenaires, négocier, trouver un produit au prix souhaité, c’est-à-dire en fait obtenir des informations qui ne sont pas gratuites. [10] L’entreprise permet de réduire ces coûts d’accès au marché, elle s’agrandit sous l’autorité de l’entrepreneur tant que cette réduction des coûts se justifie et n’est pas contrebalancée par une déperdition interne (en coordination ou hiérarchie) plus forte. [11]

Alors, libéral ?

Le capitalisme est un mode de production neutre en lui-même. [12] Il n’est libéral que s’il satisfait au critère de non-agression. Ayn Rand le définit en ce cas comme « un système social fondé sur la reconnaissance des droits individuels, droits de propriété inclus, dans lequel toute propriété est privée ». [13]

On peut donc écarter plusieurs types de capitalismes non libéraux :

  • le capitalisme d’État, avec un État propriétaire des moyens de production ; [14]
  • le capitalisme d’économie mixte, avec un secteur public important, et des entrepreneurs privés souvent très proches de l’État [15] (capitaux parfois partiellement publics, proximité des dirigeants avec l’État, qui est souvent client) ;
  • le capitalisme de mafia ou de gang, qui use délibérément de la violence physique.

L’État n’est pas un entrepreneur comme les autres, puisqu’il peut changer les règles à sa guise par la loi, imposer un monopole, voire simplement exercer des pressions ou des menaces. Le capitalisme est libéral pour autant que l’échange et le contrat prévalent sur la violence ou la loi du plus fort, que la compétition est honnête et que la démocratie des consommateurs s’exprime sur le marché sans être faussée par une intervention extérieure.

Inégalités légitimes

Le capitalisme entrepreneurial engendre forcément des inégalités, car son but reste la création de richesse. Ces inégalités sont légitimes tant qu’elles ne résultent pas d’une agression, car chaque personne dispose d’un capital humain différent et a un « droit à la différence » qui découle de son droit moral. Com-battre ces inégalités est une noble tâche, tant qu’elle ne s’opère pas par la coercition. [16]

Le capitalisme de libre concurrence n’aboutit à aucune position définitivement acquise, car tout avantage peut être remis en question. Le plus compétent, c’est-à-dire celui qui apporte le plus aux autres, y a toutes ses chances. [17]

Entraver la concurrence est davantage dans l’intérêt du « fort » que du « faible » : « les gens qui combattent pour la libre entreprise et la libre concurrence ne défendent pas les intérêts de ceux qui sont riches aujourd’hui, ils réclament les mains libres pour les inconnus qui seront les entrepreneurs de demain et dont l’esprit inventif rendra la vie des générations à venir plus agréable. » [18]

L’intervention de l’État dans la vie économique soulève une interrogation plus générale qui nous ramène à la question de la propriété. Faut-il privatiser, et que privatiser ?

À suivre…

 

Thierry Falissard

 

[1] Voir Philippe Simonnot, « Vingt et un siècles d’économie » (2002).

[2] Pour les pays sous-développés, voir le livre de l’économiste péruvien Hernando de Soto, « Le mystère du capital » (2000).

[3] Gary Becker, prix Nobel d’économie 1992, développe ce concept dans « Human Capital » (1964).

[4] Si elle est « profitable » – car c’est une machine au fonctionnement très délicat !

[5] Ou de revendre leur part plus cher dans le futur.

[6] Même si l’entrepreneur peut avoir d’autres motivations (croissance, prestige, idéal personnel). Mais une entreprise non profitable devient une association à but non lucratif, ou un service public, ou disparaît par faillite.

[7] Les propriétaires ne dirigent pas forcément l’entreprise, la gestion peut être confiée à des managers. L’actionnaire-propriétaire reste le maître à bord, sauf dans les cas où l’actionnariat est très dilué.

[8] Visa ou Gore-Tex sont des exemples remarquables d’entreprises de ce dernier type.

[9] Dans l’article séminal « The nature of the firm » (1937). Coase fut Prix Nobel d’économie 1991.

[10] Il en irait autrement dans un monde où nous serions tous interconnectés avec un accès facile à l’information qui nous intéresse (offre ou demande).

[11] D’où la question fréquente dans les grandes entreprises : faut-il faire en interne ou faire faire à l’extérieur, travailler avec cette entreprise ou la racheter, embaucher cette personne ou contracter avec elle ?

[12] Ce n’est pas un « système économique », il n’implique pas non plus une économie de marché pure.

[13] Ayn Rand, « Capitalisme, l’idéal inconnu » (1966).

[14] Dans les pays socialistes (URSS, Chine maoïste, etc.).

[15] On parle parfois de « capitalisme de connivence » (crony capitalism, corporatism).

[16] Mais par le don, le partage, le bénévolat. Voler, même sous les meilleurs prétextes, est toujours immoral.

[17] Certes, il agit dans son propre intérêt, mais l’altruiste et le philanthrope aussi, chacun ayant sa propre motivation.

[18] Ludwig von Mises, « L’Action Humaine » (1949).