Le libéralisme en 21 questions – suite 11
Suite de la série apériodique du superbe ouvrage pédagogique et de synthèse de Thierry Falissard, « Faut-il avoir peur de la Liberté ? », proposant un tour d’horizon du libéralisme authentique en 21 questions progressives.
L’ouvrage, très bon marché, est chaudement recommandé à tout esprit libre avide de découvrir rapidement l’essentiel des concepts, idées, principes de la liberté et de disposer d’une liste riche de références de lectures, pour approfondir.
Il est disponible en vente ici. Nous en profitons pour remercier l’auteur pour son autorisation, et pour son travail.
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12 – Pourquoi les monopoles c’est mal ?
Le protectionnisme est la forme économique du nationalisme, une intervention étatique prétendant aider les habitants du pays ou les entreprises nationales. Il s’agit de remédier à une situation économique jugée défavorable en imposant des réglementations, des contraintes administratives, des barrières douanières, ou en accordant des subventions ou des privilèges aux entreprises nationales.
On pourrait estimer que « ça part d’un bon sentiment » et qu’il est bien naturel de se protéger contre la concurrence, si on peut le faire. Or c’est au mieux une erreur économique, au pire un moyen indirect de spoliation. Il suffit de chercher « à qui profite le crime ».
En effet, entraver par tous les moyens possibles l’entrée de produits étrangers dans le pays revient à priver le consommateur de ces produits et à l’obliger à acheter des produits nationaux moins intéressants ou plus chers. [1] Le bénéficiaire est donc l’entreprise nationale qui a su si bien jouer de son influence au-près des politiciens ou du législateur. Certes, cela permet de « sauver des emplois », mais quelque temps seulement. Cela a surtout permis aux politiciens de faire valoir leur action, en mettant en exergue les effets positifs et en cachant les effets négatifs. [2]
Frédéric Bastiat suggérait en plaisantant que les fabricants de bougies pourraient se protéger de la concurrence déloyale du soleil en obligeant légalement les habitants à garder leurs volets constamment fermés. [3] Si l’Europe s’était protégée des inventions d’Edison, ces mêmes fabricants auraient prospéré… dans une Europe définitivement arrêtée au XIXe siècle. [4]
Il en est de même des subventions à l’exportation, des commandes publiques qui favorisent les nationaux et de tout type d’aide aux entreprises. Cette fois c’est le contribuable qui est contraint de subventionner des entreprises bien vues par le pouvoir.
Concurrence sans entrave ?
Mais si on laisse faire la concurrence sans entrave, [5] sans intervention du pouvoir dans un sens ou dans un autre, ne verra-t-on pas les pays les plus compétitifs s’enrichir toujours plus et les moins compétitifs s’appauvrir ? Le principe de l’avantage comparatif [6] montre que non : même si un pays était le meilleur à tous points de vue, il serait conduit à se spécialiser sur les secteurs d’activité les plus profitables pour lui, laissant de la place à la concurrence dans les autres domaines. On le constate aujourd’hui avec les délocalisations d’activités qui, en « globalisant » les échanges, gomment les différences de coûts dans un secteur d’activité donné (quitte à ce qu’elles soient suivies de « relocalisations » si la profitabilité s’inverse).
Pour les mêmes raisons, les monopoles de droit sont un outil de spoliation d’une partie de la population en faveur des entreprises qui en profitent. En revanche, il peut y avoir des monopoles de fait, par essence temporaires : si j’invente un produit révolutionnaire, impensé jusqu’ici, et que je le commercialise, je bénéficie d’un monopole de fait légitime et d’un avantage compétitif tout le temps que ce produit ne sera pas imité, amélioré ou dépassé par un concurrent. [7]
Monopole « naturel » ?
On parle parfois de « monopole naturel » : certaines activités économiques évolueraient « naturellement » vers une situation de monopole, de par la logique du marché et l’existence de coûts fixes. [8] Un tel monopole devrait selon certains être transformé en service public, et donc en monopole de droit pour éviter que le client soit « exploité ». Or le client peut aussi être exploité par un monopole public, [9] et il n’y a jamais pour produire un bien une technique unique, celle du « monopole naturel », qui empêcherait toute concurrence. [10]
Alors que la concurrence est recherche d’information, le monopole peut être considéré comme une destruction d’information, qui conduit à des gaspillages ou à des pénuries. L’information que pourrait apporter un marché libre n’a plus d’intérêt, tant pour les victimes du monopole, puisqu’elles n’ont pas le choix, que pour ceux qui instaurent le monopole, car ils ne subissent pas les conséquences de leurs décisions.
Aussi bien le protectionnisme que les monopoles imposés par un pouvoir sont injustes. S’ils étaient justifiables par un intérêt général, l’intérêt bien compris de tous les citoyens, qu’est-ce qui empêcherait les citoyens d’agir d’eux-mêmes dans le sens de leur propre bien, sans coercition venue d’en haut ? La réalité est que tout privilège [11] (et le monopole en est un) requiert la coercition et se paye d’une façon ou d’une autre.
Que faire, et à qui s’en prendre alors en cas de difficulté économique, si même la contrainte n’aboutit pas à l’effet escompté ? Le capitalisme semble être le bouc émissaire tout désigné.
À suivre…
Thierry Falissard
[1] Si ces produits étaient plus attrayants, il n’y aurait pas besoin de combattre la concurrence étrangère. Et si le citoyen tient vraiment à soutenir l’industrie nationale, il peut le faire de son propre chef.
[2] Bastiat illustre ce phénomène dans son conte de la vitre cassée (« Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas », 1850).
[3] « Pétition des fabricants de chandelles » (Sophismes économiques, 1845).
[4] Ce qui montre bien le caractère réactionnaire et obscurantiste du protectionnisme.
[5] Appelée « concurrence sauvage » par ceux qui nient la légitimité de l’échange volontaire.
[6] Énoncé par David Ricardo, « Des principes de l’économie politique et de l’impôt » (1817).
[7] Nous verrons dans la question 16 ce qu’il faut penser des brevets.
[8] Nul ne se risquerait à creuser un second tunnel sous la Manche ou à bâtir un second réseau électrique national.
[9] Directement, par les prix, ou indirectement, par le renflouement par l’impôt des déficits du service public si celui-ci pratique des prix trop bas.
[10] On savait traverser la Manche avant le tunnel, et il y a différentes façons d’obtenir de l’électricité.
[11] Un privilège est un avantage qui ne résulte pas d’un mérite mais qui est payé par quelqu’un d’autre sous la contrainte de celui qui dispose du pouvoir.