Insulte vaut mieux que deux…

Tout bon libertarien se fait traiter de facho à intervalle régulier, c’est dans l’ordre des choses. Harpailler le libertarien de la sorte est foncièrement idiot et prête généralement à rire, je n’ai d’ailleurs pas la moindre envie de vous entretenir de ce sujet tant il est vrai qu’il est nécessaire de laisser les ignares déverser leur bile – il ne faut pas parler aux cons, ça les instruit.

L’insulte ne vient pas uniquement de la gauche, détrompez-vous, et l’électeur de droite peut être parfois plus prolixe, bavard, délayé, diffus, redondant, voire même verbeux dans sa diatribe à notre encontre. C’est qu’il est conscient qu’il est dans une impasse, le bougre, n’ayant face à lui qu’un philosophe ami de la liberté au lieu de l’adversaire politique habituel, qui est en général fort prévisible et aussi subtil qu’un bigorneau pas cuit. En gros, l’importun de droite ne sait pas comment gérer l’affaire, ce qui est un comble quand on est de droite, donc vendu au grand capital de droite, à la solde du MEDEF de droite et de Rothschild (ce qui, veut-on me faire croire, reviendrait au même, mais on ne va pas chipoter pour si peu).

Je pourrais, en bon libertarien, m’interroger sur les raisons de cette animosité et creuser un petit peu la pauvreté de l’expression verbale dont font preuve tous les idiots de la création quand ils envisagent, avec ce pathos qui leur est propre, de nous dénigrer, de nous avilir, de nous rabaisser plus bas que terre. Oui mais voilà, il se trouve que j’éprouve à ce sujet une indifférence monumentale au sujet de laquelle les plus assidus de mes lecteurs auront déjà formé une opinion que j’envisage précise et à-propos. En résumé, les insultes je m’en badigeonne les gonades avec le pinceau de l’indifférence.

insulte

Insultons, ça fait du bien.

Par contre – moi, vous me connaissez ? – l’âme humaine, elle, me fascine et je prends un plaisir que d’aucuns qualifieraient sans doute un peu rapidement de pervers à lire et relire le petit père Freud ainsi que tous ceux qui ont peu ou prou gagné du blé en exploitant ce tonneau des Danaïdes. Bon alors je vous préviens, car je suis une bonne pâte : si à ce stade le sujet vous tartit déjà je vous conseille d’aller lire le Monde Diplomatique ou un blog féministe, voire même d’aller vous faire voire par les sympathiques habitants de la péninsule hellénique.

Liberté pas cap

Car voyez-vous ce que je trouve fascinant dans cette affaire, c’est que le libertarien ne se fait jamais alpaguer comme le gauchiste se fait houspiller par le droitiste qui, lui-même, se fait généralement quicher par le gauchiste d’une manière très particulière. Il est en effet possible de deviner l’idéologie de Robert Ben Gauchiste qui engueule Jean-Eudes de Droite et vice-versa quand on a un peu de jugeote, alors que si la cible des quolibets est un libertarien, je vous souhaite bien du plaisir. La seule constante est qu’il semblerait que nous ayons toutes les tares du monde, attendu que nous exprimons tous invariablement un penchant pour deux choses qui révulsent Robert & Jean-Eudes : l’anarchie et le capitalisme.

Il ne vous aura pas échappé que la base et l’essence de toute notre philosophie, la liberté, est systématiquement omise ou dévoyée par ces jocrisses mais il y a une explication : à gauche comme à droite, on est convaincu d’en détenir la définition et le monopole et mieux encore, on sait qu’il est nécessaire de faire renoncer l’individu à certaines libertés pour le plus grand bien de tous. Donc on en va pas, en plus, se faire des nœuds au cerveau avec des hurluberlus qui prétendent qu’elle est une et indivisible, quoi, merde à la fin ! Moi ça me fait tout doucement marrer car ces gens ne doutent pas, jamais, ont la foi, celle dont mon cher Frédéric Dard disait qu’elle protégeait des réalités. Mais que craignez-vous donc, ô frères humains ?

N’es-tu pas homme toi-même?

Je vais être très direct : je réponds à laquelle de tes peurs, connard ? Qu’est-ce qui te permet de voir en moi autre chose qu’un amas plus ou moins bien organisé de cellules similaire au tien dont la principale particularité est de ne pas prétendre, penser comme toi, enchaîner mes semblables pour le plus grand bien de la collectivité ? Qu’est-ce qui t’empêche de respirer quand j’affirme que la société des individus libres et égaux en droit (naturel) est largement plus vertueuse, pacifique et juste que les myriades de variations plus ou moins tyranniques sur le mode collectiviste que tu ne sembles incapable de dépasser ?

Pourquoi me balances-tu inlassablement des clichés plus flous, les plus éculés, les plus pathétiques sur la nature humaine que tu supposes toujours violente ? Tu n’as aucune confiance en l’homme, toi qui vocifère « l’humain d’abord » tout en déniant à l’humanité les plus élémentaires des libertés : celle de disposer de soi-même, du fruit de son labeur et des biens honnêtement acquis ! Tu as l’outrecuidance (et je pèse mes mots) d’affirmer que l’organisation de la société doit être politique et qu’elle ne doit pas avoir pour seul but de répondre aux intérêts de ses membres, mais aussi de concourir à leur bien. Et ce bien, c’est toi qui entends en décider ?

humain

Vivre ensemble ? En anonyme déshumanisé ?

As-tu seulement lu Tzvetan Todorov, ô inculte ? Dans « Mémoire du mal, tentation du bien », il est limpide qu’un État qui prétend agir au nom du bien ne fait en réalité qu’imposer abusivement son pouvoir. Et Vassili Grossman, tu connais ? Je te préviens : il était Juif, il y a peut-être du sionisme à pourchasser chez cet éminent penseur ! Grossman dénonce très finement « […] préjugé effroyable mais puissant […] qui fait croire que de telles unions [les organisations sociales] au nom de la race, de Dieu, d’un parti, de l’État constituent le sens de la vie et non un simple moyen. » (in L’âge d’homme, Lausanne, 1980.)

Le sale air de ta peur

Les États n’ont jamais servi le bien commun, tout simplement parce que cela n’existe pas, c’est une construction arbitraire, un rouage de leur machine de pouvoir, détruisant ainsi non seulement les libertés individuelles, mais aussi ces vrais biens communs fondamentaux que sont la confiance et la qualité de la vie sociale librement consentie et organisée contractuellement. Et c’est à cause de ça que je serais facho ? En réalité, tu as peur, peur de ce que tu ne connais ni ne veux connaître, tu as peur parce que ta grille de lecture s’en trouverait amochée, tu ne peux penser que dans le cadre de tes certitudes et au beau milieu de celles-ci se trouve l’individu que tu ne conçois que comme une bête féroce qu’il faut enchaîner.

Tu crois que les sociétés libérales imposent à leurs membres une conception bien définie du bien et du mal – tu as tort, nous n’entendrons rien imposer. Tu regrettes et fulmines que l’État ne l’impose pas cette conception du bien et du mal, tu claironnes que c’est l’économie, que des milliards sont dépensés pour que le désir des masses se porte sur des biens marchands sans cesse renouvelés grâce à l’innovation, la mode et l’obsolescence programmée. Tu as la larme à l’œil dès qu’on susurre « je consomme donc j’existe », qui pour ton esprit embrumé est le credo libéral auquel l’humanité serait forcée à souscrire. J’ai connu des bouffons moins drôles !

Écoute-moi bien

Écoute-moi bien, car tu ne me liras pas : je vais remettre l’église au milieu du village ! Ton langage est celui de l’angoisse, celle d’être seul et de devoir faire tes preuves tout seul, de convaincre que tu existes réellement et non au-travers d’une organisation, d’un collectif, bref au-travers des autres. Tu as peur et tu te raccroches à la seule chose qui pourra te rasséréner : une identité collective et comme celle-ci tout être totale tu entends l’imposer à tous. Je le récuse, voilà sans doute pourquoi tu me dis facho.

Écoute-moi bien encore, car tu ne me liras toujours pas : je vais remettre la mosquée au milieu du bled ! Ta pensée est empreinte de culpabilité et suinte le péché ! Tu ne comprends rien aux échanges ni au marché, mais tu entends tout réguler, réglementer, légiférer et encadrer parce qu’il est impensable que des individus libres puissent sceller des transactions qui sortent du cadre de ce que tu auras défini comme le bien et le mal. Tu ne comprends rien non plus à la science et encore moins à l’écologie, alors tu éructeras des fadaises et prophétiseras encore et encore la fin du monde qui ne saurait être évitée qu’au prix d’une servitude définitive diamétralement opposée à l’esprit et au génie humain, puisqu’il s’agit de décroître. Je le récuse, voilà sans doute pourquoi tu me dis facho.

écoute

Ecoute-moi bien, mon petit pote…

Écoute-moi bien enfin, car tu ne me liras jamais : je vais remettre la synagogue au milieu du shtetl ! Tes actes sont ceux d’un tyran, ils sont dictés par l’angoisse de ne pas être soutenu, compris et – surtout ! – aimé. Tes actes ne sont jamais posés que pour espérer l’obtention du plaisir pour toi et toi seul, mais tu le décrètes pour l’ensemble de la communauté et, comme tu es incapable de t’extraire de ton univers auto-érotique pour pour rencontrer l’autre, tu agiras afin de faire à passer chaque individu sous le joug de la loi que tu nommeras nécessaire. Tu ne jouis que si tu contrains, tu ne tires de plaisir que de la coercition. Je le récuse, voilà sans doute pourquoi tu me dis facho.

Le facho est votre double

Facho, moi ? En considérant la violence dont sont capables les thuriféraires du collectivisme qui sont en vrac adhérents, affidés, affiliés, alchimistes, alliés, béni-oui-oui, défenseurs, disciples, groupies, inconditionnels, membres, militants, partisans, sectaires, sectateurs, soutiens, suppôts, sympathisants, tenants et aussi zélateurs d’un système abject qui nie l’individu, il me semble nécessaire de s’élever. Le Camp du Bien est généralement à gauche mais il est aussi de droite ; Robert et Jean-Eudes ne sont que deux stéréotypes d’un seul et même système de valeurs dont l’essence tient en un mot : coercition !

Je suis donc facho parce que je récuse cela et que j’affirme que leurs doctrines relèvent du fantasme, celui-là même qui est défini par la psychanalyse comme une production psychique imaginaire, présentant la structure d’un scénario, au service de la réalisation d’un désir. Un désir de pouvoir, de contrôle, un désir de tyrannie qui ne sera jamais nommée ainsi mais travestie et planquée sous des oripeaux d’apparence bienveillante.

Qui oserait affirmer qu’il ne faut pas sauver la planète, hein ? Qui oserait nier la détresse des migrants ? Qui oserait s’opposer à l’impôt, sans lequel ni les routes ni les écoles n’existeraient ? Le facho, le vrai, celui qui est tout aussi collectiviste que vous serait absolument d’accord vous savez ? Oui, vous qui m’insultiez et dont j’ai déjà oublié les noms, ne savez-vous pas que le facho n’est que votre double, que vous formez ensemble le Janus du système collectiviste ? S’il est vrai que je dénonce le collectivisme – pour une fois je vous donne raison – alors comment pourrais-je être facho ?

J’y vois pour ma part comme une minuscule contradiction, mais ne vous laissez pas distraire par ce raisonnement je vous prie, continuez, insultez-moi, en Allemand si possible : c’est tellement meilleur.

 

Nord