Voici la suite de l’ouvrage « The Private Production of Defense » de Hoppe, où il entreprend de montrer qu’à l’encontre de bien des croyances se voulant libérales, l’état ne peut fournir les services régaliens (sécurité) dont il prend le monopole.

Dans ce troisième chapitre (le précédent est ici), l’auteur fait l’analyse économique d’une sécurité confiée au monopole, pour conclure à son inéluctable incapacité.


Pas le vrai socialisme

Les étatistes réagissent à bien des égards comme les socialistes quand on les confronte à performance économique lamentable de l’Union soviétique et de ses satellites. Ils ne nient pas nécessairement les faits, décevants, mais ils tentent de les écarter en prétendant qu’ils sont le produit d’une divergence systématique entre l’étatisme « idéal » ou « réel » et l’étatisme « vrai », celui du socialisme. À ce jour, les socialistes affirment que le « vrai » socialisme n’a pas été réfuté par les preuves empiriques ; et que tout se serait bien passé, qu’une prospérité sans précédent aurait émergé, si seulement le socialisme de Trotsky ou Boukharine, ou mieux leur propre socialisme, plutôt que celui de Staline, avait été mis en œuvre.

De même, les étatistes interprètent toutes les preuves apparemment contradictoires comme n’étant jamais qu’accidentelles. Si seulement un autre président était arrivé au pouvoir à tel ou tel tournant de l’histoire, ou si seulement tel changement constitutionnel ou tel amendement avaient été adoptés, tout se serait magnifiquement bien passé, et une sécurité et une paix sans précédent en auraient résulté. Et en plus, cela peut tout à fait encore se produire dans le futur, si leurs propres politiques sont suivies.

communistes

Ah ! Si seulement le socialisme de Trotsky ou Boukharine, plutôt que celui de Staline, avait été mis en œuvre…

étendard sanglant « élevé »

Nous avons appris de Ludwig von Mises comment répondre à la stratégie d’évasion (d’immunisation) des socialistes. [1] Tant que le caractère essentiel du socialisme, c’est-à-dire l’absence de propriété privée des facteurs de production, demeure en vigueur, aucune réforme ne sera d’aucune utilité. L’idée d’une économie socialiste est une contradiction dans les termes, et l’affirmation que le socialisme représente un mode de production sociale plus « élevé » et plus efficace est absurde.

Pour atteindre ses propres objectifs de manière efficace et sans gaspillage dans le cadre d’une économie d’échange basée sur la division du travail, il faut pouvoir procéder à un calcul monétaire (comptabilisation des coûts). En dehors d’un système limité à une économie familiale, autosuffisante et primitive, le calcul monétaire est le seul outil d’action rationnelle et efficace. Ce n’est qu’en étant capable de comparer les revenus et les dépenses de façon arithmétique en termes de moyen d’échange commun (monnaie) qu’une personne peut déterminer si ses actions ont réussi ou pas.

À l’opposé, le socialisme signifie ne pas avoir d’économie, pas de mécanique économique du tout, car dans ces conditions, le calcul monétaire et la comptabilité sont impossibles, par définition. S’il n’existe pas de propriété privée des facteurs de production, alors il n’existe aucun prix pour un facteur de production quelconque ; il est donc impossible de déterminer s’ils sont employés économiquement ou non. En conséquence, le socialisme n’est pas un mode de production plus « élevé », mais plutôt un chaos économique et une régression vers le primitivisme.

Monopole de la sécurité

Murray N. Rothbard a expliqué comment répondre à la stratégie d’évasion des étatistes. [2] Mais la leçon de Rothbard, quoique tout aussi simple et claire, avec ses implications encore plus fortes, reste à ce jour bien moins connue et appréciée. Tant que la caractéristique déterminante – l’essence même – de l’état reste en place, nous a-t-il expliqué, aucune réforme, que ce soit au niveau du personnel ou de la constitution, ne portera ses fruits. Etant donné son principe d’institution – le monopole judiciaire et le pouvoir d’imposition – toute notion de limitation de son pouvoir et de protection de la vie et des biens individuels est illusoire.

Sous des auspices du monopole, le prix de la justice et de la protection doit augmenter et sa qualité doit chuter. Une agence de protection financée par l’impôt est une contradiction dans les termes qui conduira à plus d’impôts et moins de protection. Même si un gouvernement limitait ses activités exclusivement à la protection des droits de propriété préexistants (comme tous les États protecteurs sont censés faire), la question de quelle sécurité fournir se poserait ensuite. Motivé (comme tout le monde) par l’intérêt personnel et la désutilité du travail, mais avec le pouvoir unique de taxer, la réponse d’un gouvernement sera invariablement la même : maximiser les dépenses de protection – et presque toute la richesse du pays peut être ainsi engloutie par les coûts de protection – tout en minimisant la production de protection.

En outre, un monopole judiciaire doit entraîner une détérioration de la qualité de la justice et de la protection. Si l’on ne peut faire appel qu’au gouvernement pour justice et protection, justice et protection seront dénaturées en faveur du gouvernement, malgré les constitutions et les cours suprêmes. Après tout, les constitutions et les cours suprêmes sont constitutions et tribunaux d’État et, quelles que soient les restrictions imposées à l’action gouvernementale, elles restent déterminées par des agents de cette même institution. En conséquence, la définition de la propriété et de la protection seront continuellement modifiées et l’éventail des compétences étendues à l’avantage du gouvernement.

sécurité

Chant de liberté ?

Ainsi, comme le soulignait Rothbard, de même que le socialisme ne peut pas être réformé mais doit être aboli pour atteindre la prospérité, l’institution d’un État ne peut être réformée mais doit être abolie pour obtenir justice et protection. « La défense dans la société libre (y compris les services de défense de la personne et de la propriété tels que la protection de la police et les verdicts judiciaires), » conclut Rothbard, « devrait être fournie par des personnes ou entreprises qui a) ont gagné leur revenu sur base volontaire plutôt que par la contrainte, et b) ne s’accordent pas – comme pour l’État – un monopole obligatoire de la protection par la police ou la justice… les entreprises de défense devraient aussi être en libre concurrence et non coercitives envers les gens paisibles, comme tous les autres fournisseurs de biens et services du marché libre.

Les services de défense, comme tous les autres services, seraient commerciaux, et seulement commerciaux. » [3] En d’autres termes, chaque propriétaire privé pourrait profiter des avantages de la division du travail et chercher à mieux protéger ses biens que par l’auto-défense, en coopération avec d’autres propriétaires et leurs biens. Chacun peut acheter, vendre ou sinon passer un contrat avec des tiers en matière de services de protection et de services judiciaires. On peut à tout moment interrompre unilatéralement une telle coopération avec autrui et retourner à une défense autonome, ou modifier ses affiliations protectrices.

 

Hans-Hermann Hoppe

[1] Ludwig von Mises, Socialism (Indianapolis: Liberty Classics, 1981); Hans-Hermann Hoppe, A Theory of Socialism and Capitalism (Boston: Kluwer, 1989), chap. 6.

[2] Murray N. Rothbard, The Ethics of Liberty (New York: New York University Press, 1998), esp. chaps. 22 and 23.

[3] Murray N. Rothbard, Power and Market (Kansas City: Sheed Andrews and McMeel, 1977), p. 2.