« La meilleure politique d’immigration consiste à ne pas en avoir. » – Pascal Salin

Sujet nouveau

Avant la Première Guerre mondiale, il était possible de faire le tour du monde sans avoir besoin d’un passeport. Le sujet de l’immigration était un thème somme toute marginal dans les réflexions des grands auteurs libéraux. Avec la montée du pouvoir coercitif des hommes de l’État, le débat sur les politiques d’immigration est rapidement devenu un enjeu majeur pour les étatistes de tous les partis. Pour traiter ce sujet, nous devons le segmenter en parties afin de mettre en avant les aspects théoriques, la source des divergences parmi la grande famille libérale, ainsi que dégager des pistes pour faire avancer la cause de la liberté.

L’immigration dans une société libre

Les politiques migratoires ne sont rien d’autre que des politiques de limitation de la liberté de mouvement, d’échange libre ainsi que de la liberté de contracter. Pour un libéral, la liberté d’immigrer (et donc d’émigrer) est un droit fondamental de l’individu qui vient de la liberté de faire ce qu’on veut de sa propriété. Louer mon appartement à un étranger ou engager dans mon entreprise quelqu’un qui provient d’un autre pays, c’est mon choix et mon droit absolu. Personne n’est lésé et cela seul compte. C’est une conséquence de l’axiome de « non-agression » de Murray Rothbard : « aucun individu ni groupe d’individus n’a le droit d’agresser quelqu’un en portant atteinte à sa personne ou à sa propriété. » Agression est donc synonyme d’invasion, d’intrusion. Le droit de discriminer (pas de musulman, de noir, de fumeur dans ma propriété) est une suite logique de mon droit d’homme libre. Discriminer, c’est choisir.

immigration

L’immigration – Nuage des mots de l’article.

Libre par l’État ?

La présence de l’État transfère le droit de discriminer des individus à une organisation qui utilise de façon arbitraire son pouvoir coercitif. Au lieu de laisser les individus libres de leurs propres choix et d’en payer les conséquences, les hommes de l’État ont collectivisé les décisions et se sont attribués un droit de discriminer arbitraire. Dès qu’une majorité s’impose démocratiquement à une minorité, l’harmonie disparaît et les conflits sont à l’ordre du jour. C’est dans ce contexte qu’il faut lire et comprendre les divergences entre libéraux. Selon Hans-Hermann Hoppe, l’existence de l’État a pour conséquence un contrôle sur l’immigration. Selon d’autres, par exemple Walter Block, l’interventionnisme de l’État est à rejeter ici aussi.

L’immigration analysée

Voyons quelques divergences. Selon les uns, l’existence de « biens publics » (route, etc.) et de l’État-providence favorisent une immigration non demandée qui risque de provoquer un effondrement du système, ce qui pourrait conduire à une guerre civile. Selon les autres, il ne faut pas attendre d’avoir un monde totalement libre avant de permettre la liberté d’immigration. La liberté de mouvement est une valeur en soi, à promouvoir par définition.

Mais dans un monde totalement privatisé, il n’y aurait pas de liberté d’immigration, étant donné qu’il faudrait être « invité » pour accéder à la propriété d’autrui. L’État devrait donc jouer ce rôle de « propriétaire ». Ceux qui contestent ce point relèvent qu’il y aura toujours quelqu’un qui sera disponible à échanger avec un étranger et que l’État ne peut pas connaître les besoins subjectifs des individus. Car contrairement aux marchandises, qui se déplacent uniquement suite à un accord entre acheteur et vendeur, les individus peuvent voyager sans l’accord d’un hôte. Oui, admettent certains, mais déjà aujourd’hui, en tant qu’individu, je peux utiliser les routes et les aéroports avec l’accord des propriétaires (en gros ceux qui paient les impôts). Il n’y aurait donc pas de différence fondamentale.

Certains argumentent que l’État doit tout faire pour sauvegarder la valeur du capital investi dans les « biens publics » et qu’il a donc le droit de limiter l’immigration. D’autres pensent par contre que seuls les individus, par leur choix, démontrent ce qui a de la valeur ou pas.

Certains libéraux pensent que la liberté absolue d’immigrer va se traduire par une perte de liberté à l’intérieur du pays et par une augmentation de la criminalité. Ceux qui s’opposent à ce point de vue argumentent que nous ne pouvons pas savoir comment les immigrants vont se comporter. Ils relèvent par contre que les émigrants sont à la recherche d’une vie meilleure et qu’ils sont probablement la partie la plus productive de leur pays, vue justement leur propension à prendre des risques en quittant leur famille et l’endroit où ils ont grandi.

Les options pragmatiques

Sur ce sujet, quelles sont, dans le monde actuel, les options des défenseurs de la liberté ?

  • Se battre tout le temps pour toute forme de privatisation, notamment pour ce qui concerne les moyens de transports, ainsi que pour les suppressions de l’État-providence. Moins de choix démocratiques et plus de choix de marché.
  • Favoriser la prise de décision au niveau politique le plus bas possible, le plus proche de l’individu, par la promotion du fédéralisme, des naturalisations décidées au niveau local, ainsi que le droit de sécession. Le droit de sécession est très important, dans la mesure où il favorise la création de petites communautés « volontaires » dans lesquelles les individus qui souhaitent n’avoir rien à faire avec d’autres peuvent se retrouver entre eux.
  • Obtenir la suppression des lois anti-discrimination qui empêchent les individus de disposer pleinement de leur propriété et de refuser donc de contracter avec « l’étranger ».
  • Interdire l’accès des immigrants aux prestations collectives fournies par l’État, en les autorisant par contre à souscrire à des assurances privées. Les questions sur l’immigration, sur son optimum, sur les droits à distribuer ou pas, ne finiront jamais d’alimenter les débats tant que le libre-échange ne sera pas devenu le seul arbitre des relations humaines.

Tous les débats des politiciens sur l’immigration, sur son optimum, sur les droits à accorder ou pas, ne finiront jamais et continueront à alimenter les débats politiques tant qu’il n’y aura pas une prise de conscience du fait que, comme disait Margaret Thatcher « la société n’existe pas. » Comprendre ceci, et agir en conséquence, implique aussi de faire le choix d’un monde avec plus de diversité, d’innovation, de changements et de mouvements. Et avec moins de protection étatique. Sommes-nous prêts à faire le choix de la liberté et de l’excellence ? [1]

Libres !!

Couverture de Libres !!

 

Gabriele Lafranchi, in Libres !!, 2014

[1] Voici une petite liste que je pense être très exhaustive pour permettre au lecteur de se faire une idée de la complexité de ce sujet :

  • Pascal Salin, L’immigration dans une société libre, in Libéralisme, Éditions Odile Jacob
  • Hans-Hermann Hoppe, The Case for Free Trade and Restricted Immigration, in The Great Fiction, Laissez-Faire Books
  • Hans-Hermann Hoppe, Natural Order, the State, and the Immigration Problem, in The Great Fiction, Laissez-Faire Books
  • Hans-Hermann Hoppe, On Free Immigration and Forced Integration.
  • Ken Schoolland, Why Open Immigration.
  • Walter Block, A Lbertarian Case for Free Immigration, in Journal of Libertarian Studies, Summer 1998
  • Reiner Eichenberger, Die Liberalen in der Denkfalle, in Die Weltwoche, 20 mars 2014
  • Vaclav Klaus, Es geht um die Freiheit, in Die Weltwoche, 20 février 2014
  • Michael Tontchev, Illegal Immigrants are a Disgrace to America.