« Les Français, qui forment un très grand peuple, ont la lucidité de voir ce à quoi leurs élites tournent ostensiblement le dos. » – Eric Verhaege

La démocratie fonctionne mal

L’enquête récente du Cevipof, dans laquelle 69% des personnes interrogées estiment que « la démocratie fonctionne mal » en France, en hausse de 21 points depuis 2009, montre la gravité de la situation. Frustrés de la parole politique, les citoyens réclament de nouveaux droits d’expression, soit l’accès à une forme de démocratie directe. Cela existe ailleurs. Peut-on rendre la parole en France ?

Le système politique est de plus en plus rejeté par les citoyens. Ceux-ci reprochent à leurs gouvernants leur incapacité à résoudre des problèmes graves, antérieurs même à la crise : le chômage structurel, le mal-logement… de ne pas comprendre leurs attentes. Depuis 1958, dans notre démocratie représentative, nous dit Yvan Blot, « l’exécutif, en apparence, est tout-puissant ; en réalité ses décisions sont largement le fruit des groupes de pression, technocrates, télévisions, associations non élues mais s’autoproclamant parfois « autorités morales » ; dans un tel système, le peuple se sent exclu. » [1]

Tous les cinq ou six ans, les citoyens élisent leurs représentants locaux et nationaux. En l’absence de mandat impératif, ces élus ont une grande liberté d’action, sont peu contrôlés. Les gouvernants ne sont vraiment sujets éventuels de sanctions qu’aux élections suivantes et tant pis si entre-temps leur politique est mauvaise : les mécontents défileront dans les rues ou protesteront sur Internet.

La constitution n’empêche pas les appareils des partis de dicter leurs votes aux députés, ni que les lois soient en fait préparées par les fonctionnaires-technocrates, ni que les cabinets du président comme celui du premier ministre, peuplés d’énarques, dénient toute place aux autres acteurs de la société civile, notamment aux entrepreneurs.

Se priver des réflexions, des idées, de la créativité, bref de ce que pensent et font 65 millions de personnes, est-ce vraiment l’optimum démocratique ?

rendre

Rendre le pouvoir aux citoyens – Nuage des mots de l’article.

Pour une nouvelle forme de partage et d’exercice du pouvoir

Un certain nombre d’États ont mis en place des institutions qui donnent des droits et du pouvoir à leurs habitants dans un système politique objet d’appellations variées : démocratie directe, semi-directe, participative. L’essentiel est la possibilité donnée au peuple souverain de s’exprimer quand il le souhaite, de sa propre initiative ou à propos des projets et actions conçus par ses élus. En effet, la démarche vise à instituer une nouvelle forme de partage et d’exercice du pouvoir.

Cela passe par restituer et mettre en œuvre les droits suivants :

  • Obtenir l’information sur les projets des gouvernants, à tout niveau, appelé en Suisse et ailleurs droit de pétition. Par exemple, demander à quoi servirait un nouvel impôt.
  • Donner son avis, à l’occasion d’une consultation locale ou nationale. En Suisse, entre 2 à 4 fois par an les citoyens de la commune délibèrent et se prononcent sur les sujets locaux.
  • Sanctionner : demander le retrait d’un projet local ou national et même d’une loi votée dont les effets se sont révélés mauvais ; peut s’étendre au rappel d’un élu dont la gestion est durablement calamiteuse.
  • Lancer une initiative populaire : au départ, un groupe de citoyens s’emploie à convaincre de la justesse de ses vues, souvent sur des sujets majeurs ; une pétition ayant obtenu le nombre légalement requis aboutit à un référendum pour faire voter une loi que les élus avaient négligée ou refusée.

Le champ ouvert à ces droits est large : thème politique (modification de la constitution, organisation européenne, immigration…), économique (impôt…), sociétal (respect du droit à la vie privée vs captation des données personnelles…).

Les bienfaits en pratique de la démocratie directe

L’analyse des États où les droits ci-dessus ont été institutionnalisés (Suisse, Allemagne, Italie, plus de la moitié des États et grandes villes aux États-Unis) montre que les risques liés à la supposée incompétence ou à l’aventurisme du « citoyen moyen » sont avancés à tort par les gouvernants ou les oligarques pour qui il est plus facile de subvertir quelques élus décideurs qu’une population beaucoup plus nombreuse.

La fréquence des « votations » n’empêche pas l’implication des citoyens. En réalité, la durée du processus – plusieurs mois – fait que le sujet proposé est mieux compris par le citoyen et qu’au contraire d’ici, le vote concerne vraiment la question posée et ne sert pas à sanctionner les gouvernants ! Un autre bienfait important est l’élaboration plus prudente des projets, notamment sur le niveau de dépenses engendrées.

Comment faire avancer la démocratie directe en France ?

La solution qui paraît la plus rapide et efficace est de rendre effectives et praticables des procédures déjà inscrites dans la loi. Par exemple, dans la vie publique locale où la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 prévoit un référendum. Seuls les élus peuvent être à l’initiative du nouveau référendum décisionnel. Donnons ce droit d’initiative aux citoyens !

Mais l’action décisive sera de donner au plan national l’initiative du référendum aux citoyens et pas seulement au Président de la République, avec un montant de signatures accessible : plus de 3 millions aujourd’hui ! Contre 500.000 exigées en Italie. Une proposition de loi constitutionnelle, tendant à instituer le référendum d’initiative populaire, a été rédigée en août 2011, mais n’a été signée que par 77 députés.

Un système politique donnant de fait le pouvoir au peuple, qui permette de mobiliser l’intelligence, l’initiative du plus grand nombre de citoyens, de s’appuyer sur une vraie diversité d’expériences vécues contre les vues d’une « élite » restreinte, souvent conformiste, dogmatique, reste à installer. On l’a vu, des solutions existent : exigeons leur mise en place.

Libres !!

Couverture de Libres !!

 

Jacques Legrand, in Libres !!, 2014

[1] Yvan Blot, « La démocratie directe, une chance pour la France », 2012, Economica.