Nous publions ici un article en trois parties, dont en premier cette introduction, qui dresse une critique au scalpel de la « beauté » du socialisme, c’est-à-dire bien sûr tant sa non-moralité que la laideur de ses effets sur les hommes. Le texte repose sur des références libérales larges, mais son propos est clairement libéral, au sens de l’exigence que nous avons de ce terme.
Très prochainement viendront la partie « I La théorie constructiviste » et « II La pratique constructiviste ».
Ce texte d’une nouvelle et jeune auteur nous a semblé poser un regard original s’inscrivant pleinement dans la ligne de Vu d’Ailleurs….
À vous d’en juger, bonne lecture – Vu d’Ailleurs
Du chien au loup
« Il m’est tout à fait impossible de concevoir la Fraternité légalement forcée sans que la Liberté soit légalement détruite, et la Justice légalement foulée aux pieds. » – Frédéric Bastiat. [1]
À l’université d’été de la Nouvelle Économie, [2] le philosophe Philippe Nemo souligne l’opposition entre morale socialiste et morale libérale dans la fable Le Chien et le Loup. Le chien contrairement au loup vit confortablement mais dépend de ses maîtres ; le loup, lui, se débrouille seul pour survivre, se battant pour subvenir à ses besoins. Ainsi « les blessures de ce dernier reflètent qu’il vit dans le sens de sa nature. Ses coups embellissent son corps. À l’inverse, le chien même en meilleure santé n’est pas libre. » Et si le chien propose au loup de le suivre, lorsque le premier expliquera au second l’origine de son col pelé, marque de son collier, ce dernier le questionnera : « Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas où vous voulez ? » Ce à quoi le chien répondra : « Pas toujours, mais qu’importe ? » Alors le loup mettra un terme à leur discussion : « Il importe si bien, que de tous vos repas je ne veux en aucune sorte. »
Chien et loup incarnent respectivement la préférence pour l’assistanat ou la liberté, l’instinct grégaire ou l’indépendance : ces préférences personnelles induiront une société ouverte ou coercitive, une économie libre, mixte ou planifiée.
Le socialisme, une définition s’impose. Il n’est pas question ici de discuter de la réalité désignée dans la dimension de la politique sous la formule de social-démocratie mais plutôt d’aborder celle revêtue par le socialisme qui, pour les économistes, [3] renvoie à la planification pratiquée, par exemple, dans les régimes totalitaires. L’objet d’étude n’est autrement dit pas le socialisme tel qu’employé au sens courant, mais l’économie de plan, système économique s’opposant à l’économie de marché.
Son masque diabolique, sa beauté d’apparat, c’est son idéal, sa recherche absolue de l’égalité, ses bonnes intentions, sa volonté de bâtir un homme parfait dans une société parfaite. Mais nous savons depuis Saint Bernard que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » ; depuis Pascal que « qui veut faire l’ange fait la bête » [4] ; depuis Voltaire que « le mieux est l’ennemi du bien » [5] ; depuis Godin que « la haine du mal n’est pas toujours la science du bien ». [6]
La promesse
La promesse socialiste rassure et console, confortant les hommes en leurs rêves, leur faisant croire en un demain meilleur pour tous où chacun serait l’égal de l’autre. Les jacobins de 1792 à 1794 connaissaient cette recette : égalité, croyance en l’État, nationalisme, centralisation. La Terreur sera consommée. L’historienne du droit Valérie Baranger éclairait avec pertinence le lien et la continuité Révolution française – nationalisme – communisme : « entre l’échafaud, les chambres et le goulag, la différence est de degré, non de nature. » [7] Du reste, de la social-démocratie régulatrice à l’économie de plan, il existe également une différence de degré. [8] Une goutte ou plusieurs gorgées, diluée, qu’importe, l’absinthe ne se changera de toute évidence pas en eau.
Les tentations diaboliques cachent leur bassesse sous ces belles promesses socialistes mais se révèlent dans leur usage et leurs résultats. La beauté est annoncée mais la laideur sera pratiquée. La noblesse du don de soi et de la volonté d’aider disparaît en effet dès lors qu’ils sont obligatoires, la beauté d’un idéal s’évanouit dès lors qu’on l’impose à autrui. [9]
User du beau, dans cette occurrence, c’est user d’une idée considérée à tort comme belle. Le beau réside en l’intention telle qu’on la présente, le laid dans l’usage de cette intention et dans ses conséquences telles qu’on les voit. La charité est admirable ; le partage est noble. Mais leur puissance esthétique découle de leur dimension volontaire. La solidarité forcée au travers de l’impôt ne départage pas les charitables volontaires des solidaires malgré eux ; la beauté du geste s’évanouit dans la contrainte. Car là où le cœur n’est pas, l’âme ne suit pas.
Supériorité morale ?
C’est en vertu de sa prétendue supériorité morale que le communisme aujourd’hui n’est pas relégué au banc des idéologies totalitaires. Ainsi des jeunes arborent fièrement sur des T-shirt le souvenir d’Ernesto Guevara ; [10] ainsi, Hugo Chávez à sa mort est pleuré ; ainsi les statues de Lénine et Mao sont édifiées à Montpellier. Quand le Nobel de littérature Mario Vargas Llosa était à l’Université San Marcos, il constatait que « la gauche, c’était la générosité, la préoccupation pour le sort des pauvres, et c’était une attitude morale contre l’injustice. La gauche vingt ans après au Pérou, représentait le stalinisme, la solidarité avec des régimes qui ont créé des formes d’injustice effroyables, le régime du goulag, des millions de gens sacrifiés à la brutalité arbitraire. »
Les bonnes intentions du socialisme incitent Jean-François Revel à une question oratoire : « alors que tant de sang a coulé sous les ponts du socialisme, que vaut, quelle estime mérite la morale de cette Sainte Conscience universelle si scrupuleusement borgne ? » Question à laquelle le pape Pie XI répond : « le plus souvent, on cède à la tentation habilement présentée sous les plus éblouissantes promesses. » [11]
Dans ces conditions, notre propos s’interrogera sur le point suivant : le socialisme est-il une utopie meurtrière dont les bonnes intentions pavent l’enfer ?
Si le socialisme repose sur l’orgueil de prétendre à la félicité de tous en construisant un paradis (I), son usage et ses conséquences font de ce paradis un enfer, mettant également à bas le masque de sa beauté promise (II).
À suivre…
Morgane Bernis
Morgane Bernis, jeune juriste, doit sa culture économique aux économistes français Serge Schweitzer, Jean-Yves Naudet et Pierre Garello. Morgane a co-organisé plusieurs conférences à Aix-Marseille Université, a milité pour les idées de la liberté au travers des mouvements « Liberté Chérie » et l’association « Students for Liberty Aix-Marseille », dont elle contribua à la fondation à l’automne 2011.
Cet article a été publié aux Presses Universitaires de l’Institut Catholique de Vendée (ICES) dans les Actes de la 5e Journée Jeunes Chercheurs organisée le 23 octobre 2013.
Il est dédié à tous ses professeurs et mentors ainsi qu’à sa famille.
[1] Frédéric Bastiat, La Loi, juin 1850.
[2] Aix-en-Provence, août 2012.
[3] Friedrich Hayek, The Road to Serfdom (1944), PUF coll. Quadrige 6e édition 2013. Cet auteur utilise le vocable « planisme ».
[4] Blaise Pascal, Pensées, Gallimard (édition de Michel Le Guern), coll. « Folio classique », 1977, fragment 572, p. 370.
[5] Voltaire, La Bégueule, 1772.
[6] Jean-Baptiste Godin, Solutions sociales, réédition aux éditions du Familistère, 2010.
[7] Valérie Baranger, « La caricature révolutionnaire : une arme redoutable trop souvent négligée », séminaire sur les images de la Révolution, M. Joubert, 2010.
[8] La première laisse les individus libres dans une certaine mesure : la seconde leur ôte non seulement toute possibilité d’exprimer leurs talents, mais encore leur confort puisqu’ils ne sont plus propriétaires. À ce titre, l’économiste Pierre Garello précise que dans un pays de l’Est, des familles entières vivaient dans des appartements octroyés par l’État et dont la taille dépendait du nombre de personnes composant le ménage. Si la famille s’agrandissait, l’État leur accordait un déménagement. Les familles ne commerçaient pas entre elles leurs biens immobiliers. Aussi, sachant qu’elles quitteraient tôt ou tard leur lieu de vie initial, l’incitation à améliorer leurs biens au moyen de travaux restait faible. Pierre Garello, « Cours d’analyse économique du droit », ICES, 2013.
[9] Laisser des personnes se regrouper et vivre en communauté parce que cela leur sied, ce n’est évidemment pas contraindre tout ou partie d’une population à habiter un kibboutz ou un phalanstère. Entre laisser à autrui le choix d’un mode de vie et le lui imposer, la différence est de taille, l’idéal communautaire choisi n’est pas l’idéal communautaire subi.
[10] Pierre Rigoulot, La véritable histoire d’Ernesto Guevara, Larousse, 2010.
[11] Pie XI, Encyclique Divini Redemptoris, 1937, p. 4. Citation complète : « Mais comment se fait-il qu’un tel système, depuis longtemps dépassé scientifiquement, et démenti par la réalité des faits, puisse se répandre aussi rapidement dans toutes les parties du monde ? C’est que bien peu de personnes ont su pénétrer la vraie nature du communisme ; le plus souvent on cède à la tentation habilement présentée sous les plus éblouissantes promesses. »