Suite économique de ce texte sur le sécessionnisme, publié en 1998. Vingt ans après, pas sûr qu’il ait pris tant de rides…
Dans l’article précédent, l’auteur, qui a introduit le concept de sécession, l’analyse sous l’angle du lien entre taille d’un pays face aux enjeux de liberté et de prospérité.
Dynamique de la sécession
Les mouvements sécessionnistes à travers l’Europe de l’Est sont le meilleur dispositif institutionnel possible pour faire avancer l’objectif populaire d’une reprise économique rapide. Indépendamment des préférences générales ou intentions d’un gouvernement sécessionniste envers les politiques d’État-providence, la sécession a une dynamique libératrice en propre : elle élimine d’un seul coup les relations oppressives et d’exploitation entre diverses communautés ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques qui caractérisent aujourd’hui L’Europe de l’Est, et en particulier les ex-Union soviétique et ex-Yougoslavie.
En vertu du simple fait que la sécession implique la sortie d’un plus petit nombre hors d’un plus grand nombre de personnes, elle constitue comme un vote contre le principe de la démocratie (règle de la majorité) en faveur de la propriété privée (décentralisée) plutôt que majoritaire. Plus un pays est petit, plus le gouvernement est pressé d’opter pour le libre-échange. Techniquement, il est plus facile de « désocialiser » [NdT libéraliser] les petites structures que les grandes. En augmentant le nombre de gouvernements et de territoires en compétition et les possibilités de migration inter-territoriale, un gouvernement sécessionniste se voit soumis à une pression accrue envers l’adoption de politiques intérieures plus libérales, à savoir un secteur privé plus ample, et des taxes et des réglementations moins élevées. Et constamment, pour toutes les décisions gouvernementales, il demeure vrai que plus la taille du territoire sécessionniste est petite, plus vite toute erreur sera reconnue, et peut-être réparée.
En outre, bien que la pensée libérale classique soit extrêmement peu répandue dans l’Europe de l’Est, en raison de décennies d’oppression et de censure impitoyables, les idées libérales d’une société basée sur la propriété privée et le contractualisme ne sont pas absentes partout. En dépit de la propagande égalitaire, il existe [NdT nous sommes en 1998] en Yougoslavie des différences énormes quant au degré d’avancée culturelle (occidentalisation), par exemple entre les Slovènes, Croates, Serbes, Macédoniens, Monténégrins et Albanais, ainsi qu’entre les catholiques, orthodoxes et musulmans ; ou en Union Soviétique entre les Allemands, Polonais, Ukrainiens, Russes, Géorgiens, Roumains, Arméniens, Aszerbaïdjanais, Turkmènes, Kazaks, etc.
Sécessionnisme analysé
Dans le passé, ces personnes furent soumises à une intégration forcée par leurs gouvernements centraux. Les communautés catholiques-croates, par exemple, étaient obligées de ne pas « discriminer » les Serbes orthodoxes et de les accepter dans leur milieu. De même, les Lituaniens furent forcés de s’associer avec les Russes, même si les Lituaniens auraient préféré la séparation.
Mais l’intégration forcée n’a pas conduit à l’émergence d’une culture nouvelle, universelle et supposée supérieure, ni à l’harmonie interethnique, comme cela est douloureusement clair aujourd’hui. Au contraire, comme on pouvait s’y attendre, cela a intensifié les conflits ethniques et l’hostilité et a décivilisé toutes les cultures et les personnes impliquées. Par le biais de la sécession, l’intégration forcée du passé est remplacée par la ségrégation physique volontaire de cultures distinctes et par leur mise en concurrence en tant que personnes séparées, mais égales et indépendantes.
Le premier résultat d’une telle séparation est que la variété des formes gouvernementales et des politiques culturellement distinctes augmentera. Certains d’entre elles risquent de se révéler pires (du point de vue de l’intégration économique et de la prospérité) que celles qui auraient prévalues si le gouvernement central était resté au pouvoir. D’autres seront meilleures, le résultat dépendant en grande partie du degré de libéralité de la culture particulière par rapport à la culture dominante d’un gouvernement central. Cela peut se révéler bien pire pour les Aszerbaïdjanis, par exemple, d’être gouvernés par un gouvernement indigène que par un gouvernement composé de Russes ; ou que les Albanais du Kosovo tombent sous le joug de certains d’entres eux plutôt que d’un gouvernement serbe. À l’inverse, les réformes économiques en Lituanie, en Estonie et en Lettonie seront probablement meilleures que ce qu’un gouvernement russe aurait mené. Et clairement, les Croates prospéreront davantage sous la domination croate que sous la domination serbe.
Plus important encore, parce que l’incapacité à atteindre l’objectif populaire d’une reprise économique rapide et d’une croissance soutenue ne peut plus être attribuée à la domination d’une culturelle étrangère, mais doit être acceptée comme causée localement : le public en général et le gouvernement concerné devront accepter une plus grande responsabilité envers leurs propres actions. Sous régime d’intégration forcée, n’importe quelle erreur peut être attribuée à une culture étrangère, et tout succès revendiqué comme local, et donc il n’y a aucune raison ou si peu pour qu’une culture quelconque apprenne de n’importe quelle autre.
Sous un régime de « séparé mais égal », les gens doivent faire face à la réalité non seulement de la diversité culturelle, mais aussi en particulier des niveaux visiblement distincts de progrès culturel. Si un peuple veut désormais améliorer ou maintenir sa position relative vis-à-vis d’une culture concurrente, rien ne l’aidera mieux qu’un apprentissage discriminant. Il doit imiter, assimiler et, si possible, améliorer les compétences, les traits, les pratiques et les règles caractéristiques des cultures plus avancées, et il doit éviter les caractéristiques des sociétés moins avancées. Plutôt que de promouvoir un nivellement par le bas des cultures comme dans le cas de l’intégration forcée, la sécession stimule un processus compétitif de sélection et d’avancement culturel.
À suivre…
Hans-Hermann Hoppe