Suite économique de ce texte, publié en 1998. Vingt ans après, pas sûr qu’il ait pris tant de rides…

Dans l’article précédent, l’auteur rebondis sur l’effondrement de la Yougoslavie et autres à l’Est pour introduire le sécessionnisme, qu’il développe ici.

L’article précédent se trouve ici.


Motivations et premiers effets

Lorsque les Slovènes se séparèrent de la Yougoslavie et que les États baltes eurent quitté l’Union soviétique, cela impliqua initialement un simple transfert du contrôle de la richesse nationalisée de grands gouvernements centraux vers de plus petits, régionaux. Que cela conduira ou non à plus ou moins d’intégration économique dépend en grande partie des nouvelles politiques de ces gouvernements régionaux. Cependant, le seul fait de la sécession a déjà eu un impact positif sur la production, car une des motivations les plus importantes et caractéristique de la sécession est la croyance des sécessionnistes que leur territoire et eux-mêmes sont exploités par d’autres.

Les Slovènes estimaient, à juste titre, qu’ils étaient systématiquement volés par les Serbes et le gouvernement yougoslave central dominé par les Serbes. Les Baltes étaient aigris de devoir rendre hommage aux Russes et au gouvernement à majorité russe de l’Union soviétique. En vertu de l’acte de sécession, les relations domestiques hégémoniques furent remplacées par des relations étrangères contractuelles, mutuellement bénéfiques. Plutôt que d’être subordonnés aux Serbes ou aux Russes, les gouvernements des États baltes et de la Slovénie devinrent les égaux indépendants de leurs anciens souverains.

Yougoslavie

Dates de sécession des états de l’ex-Yougoslavie.

Sécession et économie

Tous les autres effets sur l’intégration économique dépendent des politiques des nouveaux gouvernements concernant les échanges intérieurs et extérieurs. Premièrement, ignorant les politiques intérieures pour le moment et en supposant que soit suivie la même désocialisation modérée que le gouvernement central aurait choisi (ou choisit pour les autres territoires), les nouveaux gouvernements n’ont qu’une alternative : le libre-échange ou le protectionnisme, partiel ou total. Dans la mesure où ils suivent une politique de libre-échange, permettant un flux sans entrave de marchandises à l’intérieur et à l’extérieur de leur territoire, l’intégration économique avancera. Même le plus petit territoire sera pleinement intégré au marché mondial et pourra bénéficier de tous les avantages de la division du travail s’il adopte une politique de libre-échange intransigeante. [1]

D’un autre côté, dans l’hypothèse où les gouvernements sécessionnistes auraient recours à des restrictions au commerce extérieur et interdiraient ou entraveraient l’importation ou l’exportation de biens, ils propageraient la désintégration économique. Car interférer dans le commerce extérieur, quel qu’en soit le motif, qu’il s’agisse de protéger des emplois, des entreprises, des industries ou des produits domestiques particuliers, limite par la force l’éventail des échanges inter-territoriaux mutuellement bénéfiques et entraîne donc un appauvrissement relatif dans le pays ainsi qu’à l’étranger.

La taille du territoire et le nombre de ses habitants sont systématiquement sans rapport avec la question de l’intégration économique interrégionale et n’ont envers elle qu’une incidence indirecte, quoiqu’importante. Plus la taille d’un territoire et des marchés intérieurs est grande, plus les effets d’enrichissement positifs ou négatifs du libre-échange ou du protectionnisme seront diffusés. De même, plus le territoire et le marché intérieur sont petits, plus les effets positifs et négatifs seront concentrés.

Par exemple, un pays de la taille et de la population de la Russie pourrait probablement atteindre un niveau de vie moyen relativement élevé, même s’il devait renoncer à tout commerce extérieur, pourvu qu’il possède un marché intérieur illimité de capital et de biens de consommation. D’un autre côté, si des villes ou des comtés à prédominance serbe se séparaient de la Croatie environnante, et si elles poursuivaient la même politique d’autosuffisance totale, cela entraînerait probablement un désastre économique. En conséquence, toutes choses étant égales par ailleurs, plus le territoire et le marché intérieur sont petits, plus il est probable qu’il optera pour le libre-échange, sinon le prix par personne en termes de pertes de richesse sera plus élevé. [2]

Ensuite, concernant les politiques intérieures, les gouvernements sécessionnistes se heurtent également à une question fondamentale : quelle part de la richesse nationalisée devrait être privatisée, et quel devrait être le degré de taxation et de réglementation interne imposé à l’économie nationale ? Plus l’ampleur de la privatisation sera grande, plus le degré de taxation sera bas et moins les réglementations internes seront nombreuses, plus la contribution à l’intégration économique et à la croissance économique sera grande.

Catalogne

Sécession Catalane ? Lequel des deux entre Madrid et Barcelone a le plus à gagner économiquement ?

Chute du socialisme

L’effondrement du socialisme fut précisément dû au fait qu’aucun marché des biens immobiliers et des biens d’équipement, aucun capitaliste, aucun entrepreneur et aucune comptabilité réelle n’existaient. En interdisant ces institutions et ces fonctions, le socialisme a, en fait, aboli toute la division du travail et les marchés intérieurs, sauf une part marginale, et revint quasiment au stade d’une économie domestique unique et autosuffisante, dans laquelle la division du travail, et donc les marchés, se limite à des cloisonnements et échanges intra-ménages.

Toute privatisation de biens immobiliers ou de biens d’équipement représente donc une extensification et une intensification de la division du travail entre les ménages et entre les territoires. Par suite, l’intégration économique nationale ne pourrait atteindrait son optimum, et les avantages absolus et comparatifs de la division du travail ne pourraient être pleinement exploités, que lorsque littéralement tous les biens immobiliers et les biens d’équipement seront privatisés, c.-à-d. si aucun facteur de production n’est obligatoire, en clair par des interdictions légales contre leur vente, sorties du marché.

En outre, compte tenu de la taille de l’économie privée, plus sont élevés les impôts sur les revenus provenant de la participation d’un propriétaire privé à la division sociale du travail et son intégration dans les marchés intérieurs, plus l’incitation à se retirer de l’intégration est forte et à revenir à l’autosuffisance ou à la non-production (consommation de loisirs). Par suite, l’intégration économique et la production économique nationale atteindraient un optimum si tous les prélèvements coercitifs sur les agents productifs étaient abolis.

Socialisme

Socialisme, Ludwig von Mises, chez Institut Coppet.

Enfin, pour une part économique de la propriété privée et de l’imposition données, plus la réglementation relative à la production et au commerce intérieurs sera intensive, plus la désintégration se produira. L’intégration économique intérieure et la valeur de la production productive atteindraient leur optimum si un principe unique régissait toutes les activités domestiques : chaque propriétaire peut employer ses biens comme bon lui semble, à condition de ne pas compromettre l’intégrité physique de corps ou la propriété d’une autre personne.

En particulier, il peut se lancer dans le commerce avec tout autre propriétaire si jugé mutuellement avantageux. Ce n’est que lorsque les droits de chaque propriétaire envers ses biens et son intégrité physique sont absolus que chacun engagera les plus grand efforts possibles visant une valeur productive – efforts pour augmenter, ou empêcher de diminuer, la valeur de ses biens matériels – et que le stock social de biens matériels et la valeur incorporée peuvent atteindre leur optimum.

Relation dialectique

Comme s’agissant du commerce extérieur, la taille d’un territoire et le nombre de ses habitants sont rigoureusement sans lien avec la question du degré d’intégration économique nationale. Une fois encore, il existe une relation indirecte fort importante entre les deux variables. La relation est de nature dialectique (et le contraire de ce que l’orthodoxie prétend).

D’un côté, plus le territoire contrôlé par le gouvernement est grand et plus le nombre de territoires indépendants est petit, plus la désintégration locale est probable. Un gouvernement mondial qui gouvernerait un seul marché intérieur englobant – i.e. l’ordre promu par de nombreux politiciens et la plupart des intellectuels – fournirait en fait les conditions les moins favorables à l’intégration locale, car un producteur ne pourrait plus voter avec ses pieds contre la structure fiscale et réglementaire du gouvernement en migrant vers un autre endroit, puisque la situation serait la même partout. De plus, en éliminant les migrations motivées par des considérations économiques, cette contrainte à la limitation systématique du pouvoir gouvernemental disparaîtrait de même, et la probabilité que le gouvernement augmente les impôts, accroisse la réglementation et augmente la part de propriété publique pour maximiser leur propre revenu est accrue au maximum.

À l’autre extrême, avec autant de territoires indépendants que de ménages privés, les possibilités de migrations économiques seraient maximisées – le nombre et la variété des possibilités d’immigration sont aussi vastes que possible – et le pouvoir gouvernemental sur une économie domestique tend être le plus bas. En fait, pour un ménage d’une seule personne, l’imposition, la réglementation ou la confiscation sont inconcevables, puisque personne ne peut imposer autre chose que des restrictions volontaires sur lui-même et ses biens. Mais dans le cas d’un village, ou même d’un ménage plurinominal, les chances que le gouvernement du village ou le chef du ménage impose avec succès la moindre part des revenus et de l’impôt foncier ou de la réglementation sont extrêmement minces. Parce que leur puissance ne va pas au-delà du ménage ou du village et que d’autres foyers ou villages indépendants existent, la migration peut rapidement se mettre en place. [3]

URSS

Nationalités de l’ex-URSS… La Russie est loin d’être homogène…

Commencer petit…

D’un autre côté, aucun gouvernement central régnant sur des territoires à grande échelle et sur des millions de citoyens ne peut émerger subitement. Au contraire, dans la mesure où des institutions dotées du pouvoir d’imposer, de réglementer et de confisquer la propriété privée peuvent effectivement naître, elles ne le peuvent qu’en commençant modestement. Historiquement, il a fallu des siècles pour arriver à la situation présente, état de choses hautement centralisé ayant émergé de débuts très modestes. Cependant, pour qu’un gouvernement étende graduellement son pouvoir sur des territoires initialement très petits à des territoires de plus en plus grands, et élimine successivement ses concurrents dans un processus de concentration territoriale, il est d’une importance décisive qu’un tel gouvernement prévoie un degré relativement élevé d’intégration économique.

Toutes choses égales par ailleurs, plus le fardeau fiscal et réglementaire imposé par un gouvernement à son économie nationale est faible, plus sa population a tendance à croître – pour des raisons internes aussi bien qu’en raison des gains migratoires – et plus l’économie produit de richesse, sur laquelle le gouvernement peut tirer – de façon parasitaire – pour tenter d’éliminer ses concurrents voisins par la guerre et la domination militaire.

C’est pour cette raison que le processus d’intégration politique a été fréquemment – bien que pas sans exceptions, car d’autres facteurs ne sont pas toujours identiques – corrélé avec une intégration économique accrue. Cependant, plus les gouvernements relativement libéraux (au sens classique) se débarrassent militairement des gouvernements moins libéraux (et donc plus les territoires sont grands, moins les concurrents restant sont nombreux et plus éloignés, et plus la migration inter-territoriale devient coûteuse), moins le gouvernement a besoin de continuer sa politique de libéralisme domestique. [4]

À suivre…

 

Hans-Hermann Hoppe

[1] Bien que pas totalement sans écart s’agissant de leur politiques de libre-échange, la Suisse et le encore-plus-petit Liechtenstein en fournissent d’excellents exemples.

[2] Considérons un propriétaire terrien comme le plus petit territoire indépendant imaginable. En s’engageant dans le libre-échange, rien n’empêche ce propriétaire de devenir la personne la plus riche de la planète. L’existence de n’importe quel individu riche n’importe où est la preuve vivante de cette vérité élémentaire. D’un autre côté, si ce même propriétaire sur le même territoire décidait – volontairement, puisqu’il est la seule personne impliquée – de vouloir renoncer à tout commerce inter-territorial, il en résulterait une pauvreté sinistre. Le fait que les ermites soient pratiquement inexistants illustre le fait que les coûts du protectionnisme deviennent de plus en plus prohibitifs, quand le marché intérieur devient plus petit

[3] Il est évidemment possible, comme en témoignent les pays d’Europe occidentale, que les gouvernements centraux de vastes territoires comptant des millions de citoyens imposent à leurs économies des taxes qui représentent la moitié ou plus du produit national. De toute évidence, il était également possible pour les gouvernements centraux d’aller jusqu’à exproprier la quasi-totalité de la propriété privée (est témoin le passé communiste de l’Europe de l’Est). En revanche, il est difficile d’imaginer comment un père pouvait imposer son fils ou un maire la population du village dans la même mesure sans provoquer une rébellion ou une émigration. En effet, en raison de la taille limitée des territoires concernés et de l’existence d’une multitude d’autres ménages ou villages indépendants, même les régimes d’esclavage personnel tendaient à moins taxer leurs sujets que la « propriété d’esclaves à grande échelle » du gouvernement central caractéristique de l’ex-Union soviétique. Le meurtre d’esclaves personnels – la forme ultime de la désintégration économique – était rare dans les systèmes d’esclavage personnel. En Union Soviétique, il a eu lieu à grande échelle, avec plusieurs millions de victimes. De même, l’espérance de vie des esclaves personnels a augmenté parallèlement à la tendance générale. En Union Soviétique, il a chuté lors des dernières décennies (même en excluant les millions de victimes).

[4] À la lumière de ces considérations sur la relation dialectique entre intégration politique et économique, une grande partie de l’histoire européenne moderne se met en place. Premièrement, la désintégration politique et l’intégration économique sont non seulement compatibles, mais positivement corrélées, comme l’illustre le fait que la première émergence du capitalisme florissant s’est produite dans des conditions de pouvoir politique très décentralisé : en Italie du Nord et en Allemagne du Sud. Deuxièmement, le fait que le processus d’intégration politique (expansion territoriale) n’entrave pas nécessairement l’intégration économique, mais peut en fait la prolonger, pourvu qu’elle consiste en une conquête territoriale de dirigeants moins libéraux par des dirigeants plus libéraux, comme l’illustre le fait que la Révolution industrielle moderne se produisit dans les Angleterre et France centralisées. Et troisièmement, le fait que l’intégration politique conduira à la désintégration économique en suivant l’avancement du processus de concentration territoriale est illustré par un libéralisme autrefois dominant qui a progressivement été remplacé par un étatisme progressiste depuis le dernier tiers du XIXe siècle. Le processus de concentration intra-européenne s’est interrompu avec l’unification politique de l’Italie et de l’Allemagne – et encore plus depuis la fin de la Première Guerre mondiale, spécialement depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis s’étant imposés comme la puissance hégémonique envers l’Europe de l’Ouest (et une grande partie du reste du monde) et ayant fait leur objectif de politique étrangère que d’assurer la sauvegarde du statu quo territorial.