« Les droits de l’homme sont faciles à définir : chacun a le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à un autre. » – Arthur Schopenhauer, 1851
Universalité de principes éthiques
Le libéralisme est une des rares doctrines politiques à affirmer l’universalité de principes éthiques, juridiques et politiques fondés sur le droit naturel. Les droits naturels inaliénables, universels et sacrés que sont la liberté, la propriété, la sûreté, l’égalité en droit et la résistance à l’oppression, en constituent le socle. Le droit naturel, dont la théorie est nommée jusnaturalisme, provient autant de la scolastique médiévale, en premier lieu de Saint-Thomas d’Aquin, que de l’école de Salamanque.
Revigorée pendant la période des Lumières du XVIIIe siècle, la philosophie du droit naturel est au cœur de la Déclaration d’indépendance américaine de 1776, de la Déclaration des droits (le Bill of Rights) dans la Constitution américaine de 1789, et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Il entretient dès lors une relation toute particulière avec les principes classiques du libéralisme.
Le concept premier, la liberté individuelle, consiste en la liberté d’agir dans la limite du respect des droits d’autrui. Elle se comprend toujours avec son corollaire, la responsabilité, qui assigne à l’individu l’endossement de la portée de ses actions, même s’il n’en maîtrise pas toujours les conséquences, en raison d’une connaissance limitée, inhérente au fonctionnement de l’esprit humain. Cela implique le respect du principe de l’égale liberté d’autrui, que même John Rawls, plutôt de tendance social-démocrate, défend dans sa Théorie de la justice. [1]
Droit de propriété
Deuxièmement, le droit de propriété est fondamental pour tous les libéraux, car ainsi que l’énonce Pascal Salin dans son ouvrage majeur Libéralisme, [2] il n’y a pas de liberté sans propriété. La propriété est un droit légitime et universel en ce qu’il résulte soit des efforts et du travail soit de l’obtention légitime d’un bien ou d’un produit, par le biais de l’échange ou du don. Toute entrave à la propriété est une spoliation, même si elle se déguise avec le masque de la légalité. C’est pour cette raison que Frédéric Bastiat, dans son pamphlet La Loi [3] établit une différence cardinale entre le légal et le légitime : une spoliation légale, comme un impôt, n’en est pas légitime pour autant.
L’axiome de non-agression, dans un troisième temps, consiste à ne pas attenter à la souveraineté individuelle ou à la propriété d’autrui, par l’usage de la force ou de la coercition. Il correspond à peu de choses près à l’idée de légitime défense, qui accorde aux individus le droit de se défendre en cas d’atteinte à leur liberté ou à leur propriété, mais condamne fermement toute entreprise d’agression ou de violence. Ce principe d’auto-défense se manifeste dans la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui énonce les droits naturels de sûreté et de résistance à l’oppression.
égalité en droit
Enfin, l’égalité en droit est un principe juridique qui ne fait pas de différence entre les individus devant la loi et leur garantit l’égalité de traitement. L’égalité en droit est une conception radicalement différente de l’égalité des résultats, forme d’égalitarisme qui prétend que l’égalité est une fin en soi donnant des droits sur la liberté et la propriété légitime d’autrui. Cet égalitarisme s’exprime allègrement dans la redistribution de l’État-providence moderne, qui s’oppose à l’État régalien déjà défendu par Locke et Constant.
Tous ces principes classiques de la pensée libérale forment le corpus théorique fondamental de la philosophie libérale, un ensemble cohérent de droits naturels et de principes moraux qui reposent sur l’universalité de la nature humaine, mais également sur des systèmes de justification éthiques différents.
jusnaturaliste vs utilitarisme
Le libéralisme conséquentialiste postule que toute action doit être jugée au regard de ses conséquences, utiles pour l’utilitarisme, ou efficaces pour le libéralisme évolutionniste de Hayek. Alors que le libéralisme déontologique affirme au contraire l’inconditionnalité de l’application des principes libéraux, dans une posture jusnaturaliste (Rothbard, Nozick) ou contractualiste (Buchanan).
Si les conséquentialistes justifient les droits de l’homme au moyen de la notion d’utilité ou de celle d’efficience, c’est-à-dire par les effets positifs qu’ils procurent – sans se soucier de la justification morale à porter aux actions individuelles – les déontologiques revendiquent clairement l’universalisme, notamment ceux qui se revendiquent du jusnaturalisme.
Cette éthique libérale s’incarne parfaitement dans le jusnaturalisme, en reconnaissant le caractère atemporel, réciproque, nécessaire et universel des droits humains. Une troisième forme est la pensée objectiviste d’Ayn Rand, une éthique de la vertu héritée de l’aristotélisme qui considère une action légitime lorsqu’elle répond à la vertu égoïste de l’individu, fondée sur la rationalité. [4] Le libéralisme moderne comporte ainsi un versant moral et un versant utilitaire, qui lui permettent de légitimer de deux manières différentes ses postulats, ses théories et les principes qui l’orientent.
être rationnel
L’universalité des droits naturels procède alors de l’ontologie de l’Homme comme être rationnel et se comprend de manière temporelle, spatiale et culturelle. En effet, c’est au titre de notre raison, de notre conscience et de notre liberté que nous sommes titulaires de droits naturels inaliénables. Ces facultés sont universelles et s’appliquent en tout temps, en tout lieu, en toutes circonstances et à toutes les communautés humaines, sans distinction de race, de culture ou de religion. On ne saurait dès lors refuser à quiconque la jouissance de ses droits, de sa liberté ou de sa propriété, du moment que les droits d’autrui ont été respectés.
Les principes du libéralisme ont donc une portée universelle qui les inscrit de facto dans la tradition de l’humanisme, et en rupture nette avec le droit positif que dénonçait vigoureusement Bruno Leoni dans son ouvrage La liberté et le droit, [5] car celui-ci consiste en un droit défini arbitrairement par les rapports de force politiques, sans référence à des critères moraux ou utilitaires. Sans l’existence d’un droit naturel, tout État est libre de disposer de ses citoyens et de violer leurs droits les plus élémentaires.
En conséquence, le libéralisme est avant tout une philosophie universaliste, humaniste et individualiste qui reconnaît à chacun la jouissance des mêmes droits naturels, en consacrant les principes de liberté, de propriété, de sûreté, et de responsabilité.
Marc Lassort, in Libres !, 2012
[1] John Rawls, « Théorie de la justice », Points, 2009, p. 665
[2] Pascal Salin, « Libéralisme », Odile Jacob, 2000, p. 506
[3] Frédéric Bastiat, « La Loi », in « Pamphlets », Les Belles Lettres, 2009, p. 412
[4] Ayn Rand, « La vertu d’égoïsme », Les Belles Lettres, 2008, p. 168
[5] Bruno Leoni, La liberté et le droit, Les Belles Lettres, 2006, p. 295