Suite plus politique de ce texte pro-sécessionnisme, publié en 1998. Vingt ans après, pas sûr qu’il ait pris tant de rides…
Dans l’article précédent, l’auteur explique le processus ayant mené en Europe à voir le libéralisme disparaître et une social-démocratie absorbante s’imposer peu à peu partout.
Dangereuse liberté ?
Dans ce climat idéologique en Europe occidentale, la vieille idée libérale de liberté de migration est devenue de plus en plus incongrue. En même temps, l’idée libérale-classique d’éliminer la cause même du problème des migrations a disparu du débat public. En fait, de même que les gouvernements occidentaux ne veulent autoriser la libre immigration, ils ne peuvent se permettre que l’Europe de l’Est suive les préceptes libéraux classiques de privatisation radicale, d’impôt minimum, de réglementation minimale et de libre-échange, puisque ces politiques mettraient l’immigration vers l’Ouest à l’arrêt, voire inverserait sa direction. [1]
Si de telles politiques étaient mises en œuvre, toute production future en Europe de l’Est deviendrait immédiatement moins coûteuse que la production dans les économies fortement taxées et réglementées de l’Ouest et, par conséquent, les capitaux commenceraient à affluer de l’Ouest vers l’Est. Le flux de capitaux aggraverait la stagnation économique de l’Europe occidentale et obligerait les gouvernements occidentaux à adopter ces politiques de désocialisation mêmes qu’ils essaient actuellement d’éviter. [NdT Rappel, nous sommes en 1998.] Ainsi, en plus de leurs politiques anti-immigration, les gouvernements d’Europe occidentale, individuellement et dans un effort concerté par la Communauté européenne, essaient désormais d’expliquer – faussement [2] – la misère à l’Est par un manque de démocratie plutôt que le manque de propriété privée, et promeuvent l’idée d’une Europe de l’Est qui remplacerait le socialisme par le modèle occidental de l’économie sociale de marché, plutôt que par le modèle libéral classique d’une économie de propriété privée.
Transition à l’Est & Sécessionnisme
Source d’inquiétude, ces intérêts occidentaux coïncident presque parfaitement avec ceux des gouvernements post-communistes d’Europe de l’Est.
Indépendamment des tourbillons produits depuis 1989, la taille des gouvernements d’Europe de l’Est en termes de personnel et de propriété des ressources reste écrasante, même selon les normes occidentales déjà fort élevées. En outre, le personnel gouvernemental aux niveaux local, régional et fédéral est toujours fait des mêmes individus qu’avant 1989, et de nombreux dirigeants politiques post-communistes d’Europe de l’Est étaient déjà en vue et avaient accédé à des postes d’importance sous le régime communiste. Pour la plupart d’entre eux, les idées libérales classiques sont simplement impensables, alors qu’ils sont bien trop familiers des notions de l’État-providence.
De plus, si les prescriptions libérales étaient mises en œuvre, poussant à la privatisation immédiate et complète de toute propriété collective et à un gouvernement minimal dédié exclusivement à la défense des droits de propriété privée, la plupart des emplois publics disparaîtraient immédiatement. Les employés actuels du gouvernement seraient laissés aux caprices du marché et forcés de trouver de nouvelles occupations productives. Dans l’autre sens, si le modèle occidental familier de l’État-providence est accepté comme référence exemplaire, et si les bureaucraties d’Europe de l’Est prennent en charge la tendance irréversible vers la désocialisation, contrôlant et régulant ainsi la privatisation des parties non vitales de leurs portefeuilles (jusqu’à – mais pas en-dessous – des niveaux occidentaux), non seulement la plupart des emplois bureaucratiques pourraient être garantis, [3] mais les revenus du public et les salaires des bureaucrates pourraient en réalité augmenter.
En outre, en raison des intérêts des gouvernements occidentaux à une transition ordonnée à l’Est du socialisme vers l’étatisme social, les bureaucraties et les dirigeants de l’Est adoptant une telle réforme peuvent espérer qu’une partie au moins des risques associés soient assumés ou financés par leur homologues occidentaux.
Il y a un risque que même si la transformation vers l’État-providence était achevée, la migration vers l’ouest pourrait être réduite, mais sans pouvoir être stoppée. Ici, l’Occident a déjà pris le risque en ne permettant pas l’immigration. Et il y a le problème qu’un processus graduel, sous contrôle du gouvernement, de privatisation partielle, bien qu’apportant une amélioration partielle, conduira à court terme à des difficultés économiques accrues et à des tensions sociales. À cet égard, les réformateurs pour l’État-providence peuvent désormais aussi compter sur l’aide occidentale.
Coopération et domination
Pendant l’ère communiste, la coopération entre l’Est et l’Ouest était extrêmement limitée. En raison des inefficacités de la production socialiste, l’Europe de l’Est était incapable de vendre quoi que ce soit à l’Occident, sauf des matières premières et des biens de consommation de base, les transactions occidentales avec le bloc de l’Est représentant ainsi moins de 5% de son commerce extérieur. La propriété à l’étranger en Europe de l’Est était globalement interdite. Pas une seule de ses monnaies n’était librement convertible en monnaies occidentales, et par conséquent, même les contacts politiques étaient assez rares. Cependant, depuis l’effondrement du communisme, les gouvernements d’Europe de l’Est ont quelque chose à offrir.
Le commerce ouest-est reste faible et a même chuté à la suite des secousses révolutionnaires au sein de l’Europe de l’Est. Mais au-delà du dogme voulant que le social signifie la propriété collective des facteurs de production, une partie de la richesse nationalisée de l’Europe de l’Est s’est trouvée soudain mise en jeu ; et avec les gouvernements de l’Est aux commande du processus de dénationalisation, les dirigeants politiques occidentaux – et les banquiers et les hommes d’affaires connectés au pouvoir – ont immédiatement développé leurs contacts avec leurs homologues à l’Est. En échange de l’aide occidentale pendant la phase de transition, les gouvernements de l’Est ont désormais de véritables atouts à vendre.
En outre, l’Est peut garantir aux acheteurs occidentaux motivés que, dès le départ, la structure fiscale et réglementaire des économies émergentes d’Europe de l’Est sera harmonisée avec les normes de la Communauté européenne. Plus important encore, les gouvernements de l’Est peuvent vendre l’assurance que le nouveau système bancaire de l’Europe de l’Est sera établi selon des principes occidentaux familiers, avec une banque centrale sous contrôle gouvernemental, un cartel bancaire à réserve fractionnaire fait de banques commerciales privées, et une monnaie fiduciaire reposant sur les réserves des monnaies fiduciaires occidentales, permettant ainsi au système bancaire occidental d’initier une expansion de crédit coordonnée au niveau international, et donc d’établir une hégémonie monétaire et financière sur les économies émergentes d’Europe de l’Est.
À suivre…
Hans-Hermann Hoppe
[1] Voir la note n°1 de cette partie précédente.
[2] Voir la note n°2 de cette partie précédente.
[3] Par comparaison, le total des emplois publics en Europe occidentale tourne généralement autour de cinq à dix pour-cent de la population. En Europe de l’Est, la part des membres du parti communiste se situait vers quinze pour-cent.