Stratégie de guerre

Le soi-disant « défenseur des droits », Jacques Toubon, constatant qu’il y avait peu de plaintes pour harcèlement sexuel dans le secteur privé, a décidé qu’il n’y en avait pas assez.

En conséquence, il a mis en place une stratégie afin de multiplier les victimes potentielles, ignorantes de leurs malheurs, [i] d’une part par une campagne de promotion du concept mais d’autre part en changeant les règles et le sens des mots. En français, le harcèlement s’entend comme des actes répétés : on sent l’insistance et la lourdeur du comportement. Désormais pour être sûr de créer le conflit, une fois suffit [ii] pour caractériser le harcèlement. C’est vrai que les salariés n’ont rien d’autre à faire que de pourrir les relations inter-personnelles dans les entreprises. [iii]

Toubon

Campagne du « Défenseur des droits » sur le « harcèlement sexuel ».

Dans un article précédent, « Ravages du Don-Quichottisme » [iv] nous avons identifié cette folie de la classe médiatico-politique de s’inventer, à l’image du héros de Cervantès, des ennemis. Nous l’avons complété par la présentation de l’usage immodéré du bouc émissaire, mouvement de prestidigitation qui permet de détourner l’attention du public de l’évolution totalitaire de l’État : Orwell l’avait pressenti, alors qu’il ne pouvait pas connaître le degré atteint aujourd’hui, la technique, informatique et internet, permet un contrôle de plus en plus développé. La guerre contre les GAFA, la généralisation de la dématérialisation, d’un atout devient pour l’État un moyen de contrôle. Dans le même temps, la dématérialisation de la monnaie, la fin du cash permet de contrôler tout mouvement économique, tracer le moindre échange.

Dans cet article nous allons voir que les techniques présentées, « Don Quichottisme » et boucs émissaires ne sont pas fortuites : cela relève d’une stratégie précise.

L’action politique socialiste marque deux temps : conscientiser et conflictualiser.

Conscientiser

Dans « Les Vacances de Monsieur Hulot », [v] un jeune intellectuel [vi] entreprend Martine, jeune fille BCBG qui l’écoute aussi poliment que distraitement, et lui dit : « C’est au corps électoral et surtout aux femmes de protester contre le bourgeoisisme décadent. La femme au foyer, d’accord, mais socialement éclairée et politiquement consciente. » [vii]

Tati

Les Vacances de Monsieur Hulot.

Tati avait le don de l’observation et de l’écoute. C’est peut-être le seul moment, en dehors des informations à la radio, ou une phrase complète est prononcée par un des protagonistes du film. D’ailleurs, on l’entend, c’est faible mais intelligible, continuer de discourir jusqu’à ce qu’un conflit, dont la maladresse de Hulot est à l’origine, éclate entre les estivants.

Dès la première phrase de la préface à l’édition française de la « Révolution Permanente », [viii] Léon Trotski évoque « la partie la plus consciente de la classe ouvrière internationale et l’humanité dite « civilisée » [qui] ont le regard tourné vers le bouleversement économique qui est en train de s’accomplir sur l’ancien empire des tsars. »

Seule la partie conscientisée du prolétariat ou de la classe ouvrière peut participer activement et diriger l’action révolutionnaire.
Ainsi, les occupations et blocages des universités au printemps 2018 surprennent dans leur déroulement quand on ne connaît pas la stratégie et le mode d’action politiques. Comment est-il possible qu’une minorité décide pour tous et se considère légitime ? Ne nous a-t-on pas seriné que la démocratie comme mode de prise de décision était une fin en soi ?

Non, parce que seule la fraction révolutionnaire, conscientisée, éduquée, peut participer. C’est ce qui légitime la force et la partie dictatoriale de la direction du mouvement. Leur combat étant légitime au nom de la lutte des classes et de la destruction du capitalisme, il n’y a pas de liberté d’expression possible pour ceux qui ne sont pas conscientisés.

Déloger les bloqueurs, les zadistes, s’opposer à la violence des antifas est forcément un coup de force fasciste, réactionnaire, bourgeois.

Les votes à main levée, en « assemblée générale » l’emportent sur toute démocratie formelle, peu importe le biais d’intimidation sur la minorité qui pourrait être indécise. N’évoquons même pas le droit pour chacun de vivre sa vie comme il l’entend, ce n’est pas dans leur conception de la « lutte ». Laisser les étudiants aller et venir, voter individuellement avec leurs pieds en se rendant en cours ou à la bibliothèque, c’est mettre en péril l’action révolutionnaire. S’ils étaient conscientisés, ils rejoindraient le mouvement. C’est la lutte des classes qui fait l’histoire, et donc l’homme ne peut faire sa propre histoire.

Nous avons maintenant le fondement théorique de la montée du Don Quichottisme et de la multiplication des « nouveaux boucs émissaires » que nous avons décrits précédemment.

Conflictualiser

Une fois la conscientisation établie, le révolutionnaire doit s’attacher à passer à l’étape suivante : conflictualiser.

S’il n’existe pas de menaces réelles, il est urgent de créer des situations d’affrontement, l’essentiel résidant dans l’existence d’oppositions d’autant plus irréductibles qu’elles sont fantasmatiques ou géopolitiques, est-ouest, nord-sud, tiers-monde – pays riches, [ix] ou sociétales, hommes – femmes, jeunes – vieux, migrants – autochtones et désormais racisés – homme (mâle) blanc. On passera, comme nous l’avons évoqué dans l’article « Ravages du Don Quichottisme, de la guerre du climat à la guerre de l’eau.

Insoumis

Députés « Insoumis », qu’ils disent.

Le phénomène du « zadisme », qui n’a rien de spontané en est une belle illustration. Si une « zone à défendre » disparaît, on en trouvera facilement une autre. [x] Il sera d’ailleurs intéressant de suivre la sédentarisation des zadistes de Notre Dame des Landes : devenus propriétaires, même en communauté, ils voudront sans doute la protéger. [xi]

Dans une vidéo que le lecteur trouvera en lien, [xii] Jean Luc Mélenchon rappelle ingénument à ses militants le « b.a.- ba »de l’action politique révolutionnaire, marxiste, et pas seulement celle de la secte trotskiste. Peu importe comment l’équipe de Macron se l’est procurée, cette séquence est une synthèse précise.

Il faut non seulement « conquérir le pouvoir » dit le leader trotskiste mais l’exercer de manière révolutionnaire, c’est-à-dire transformer les révoltés en révolutionnaires. « Ce n’est pas la même chose », insiste-t-il. La différence entre les deux passe par la « conscientisation ». Ensuite, pour la conquête de « l’hégémonie politique », il faut « tout conflictualiser », par le discours, mais aussi par la « pratique de la lutte ».

Ce n’est pas un hasard si tout le personnel politique « de gauche » de Julien Dray à Bruno Julliard et sans doute dans le futur la « Juliette » de Tolbiac est issu des mouvements étudiants successifs : là se forment les militants et les futurs dirigeants, par la pratique de la lutte.

Jean Luc Mélenchon ajoute une dernière étape créatrice de conflits ou d’affrontements qui passe par « l’observation consciente des agressions de l’adversaire ». Affirmer quelque chose contraire à la doxa, est forcément une « agression » [xiii] : ce mot revient dans la quasi-totalité des justifications lors de mouvements sociaux.

On pourrait penser que c’est accessoire. Reprenons le mécanisme du cas Jacques Toubon évoqué en introduction : toute remarque plus ou moins bien interprétée devient une agression, du harcèlement.

Application de la méthode

  • Première étape, « conscientiser » : tu ne le sais pas, tu n’en souffres pas, mais tu es une victime, tu es harcelée.
  • Deuxième étape, « conflictualiser » en portant plainte.

En réalité Mélenchon, tyrannosaure de la politique, explique le mode d’emploi pour une action directe, révolutionnaire.

JLM1

Mélenchon nous explique…

JLM2

… ouvertement sa stratégie.

Mais, Mélenchon étant minoritaire, il ne peut avoir d’influence, pourrait-on penser. En effet, grâce à lui, les socialistes comme Hollande et crypto-socialistes comme Emmanuel Macron, passent pour des modérés. Ils font néanmoins progresser la socialisation du pays en utilisant les mêmes méthodes, avec le même objectif.

C’est un long chemin, au parcours relativement feutré : il a commencé en 1946, lorsque les communistes qui auraient pu prendre le pouvoir ont glissé dans le préambule de la Constitution mais surtout son article 1 les fondements de cette progression vers une société socialiste : « La France est une République… sociale. » Tout mouvement inverse est anticonstitutionnel.

Les socialistes, éclairés par Gramsci, font exactement la même chose que Jean-Luc Mélenchon mais de manière insidieuse : inutile de rêver d’un grand soir quand on peut progresser pas à pas.

Ils avancent en créant des conflits, des oppositions, en « conscientisant ». L’essentiel de ce rôle est réalisé par la branche « Éducation Nationale ». [xiv] Il suffit de consulter les programmes d’histoire de classe terminale pour s’en convaincre : le chapitre sur le « socialisme et le mouvement ouvrier » est central. C’est la seule approche que les lycéens ont de l’entreprise et de la vie politique. [xv]

Historiquement, pour réussir un coup d’État, une révolution, il fallait prendre rapidement en mains les centres du pouvoir, « les palais gouvernementaux », les assemblées et maîtriser les circuits d’information. Mais une simple réaction suffisait pour que tout s’effondre. Mai 1968 s’est terminé parce que le peuple a pris peur et s’est retrouvé dans une grande manif « réactionnaire ».

Mitterand, trop pressé avait fait une déclaration prévoyant de créer immédiatement un gouvernement provisoire : « il convient dès maintenant de constater la vacance du pouvoir et d’organiser la succession. » proclame-t-il le 28 mai. Deux jours plus tard, ce fut la grande manifestation gaulliste. Il est vrai que l’essentiel du corps électoral connaissait bien le politicien, ce qui était moins le cas en 1981.

Mitterrand

Mitterrand lors de son discours en 1968.

Depuis 1946, les socialistes ont réalisé un « coup d’État progressif » en neutralisant l’armée, en monopolisant la culture et en investissant la justice et l’École.

Ce ne sont pas les communistes ou même les socialistes qui ont pris le pouvoir : c’est le communisme, le socialisme, idéologie construite et organisée qui s’est infiltrée dans tous les rouages de la société rendant toute critique improbable.

Actualité de la lutte des classes

Le « Don Quichottisme » est un sous-produit de la théorie de la lutte des classes considérée comme moteur de l’histoire : le dogme est que seul le conflit peut permettre le progrès. Pour faire la guerre, passer de la révolte à la révolution, il faut à tout prix des ennemis, quitte à les créer s’ils n’existent pas. La bourgeoisie, les riches, les accapareurs, les exploiteurs, les capitalistes, les fascistes, les « koulaks », les multinationales américaines en sont les illustrations les plus flagrantes.

Pendant la révolution soviétique par exemple, les bolcheviks, Trotski en tête, imposaient aux villages des quotas de « koulaks » à dénoncer et à éliminer : comme il n’y en avait pas assez, pour ne pas subir de représailles, les responsables des communautés désignaient tel ou tel sans aucun fondement. [xvi]

L’État, c’est la guerre

Pourquoi les pouvoirs, les hommes de pouvoir ont-ils besoin d’ennemis ?

Ce mécanisme est inhérent à l’État, tous les États : ennemis héréditaires, juifs, pour exercer son pouvoir, la conquête est primordiale.

C’est même une condition de la démocratie ; le suffixe –kratein ne signifie pas exercer le pouvoir, ni gouverner, mais l’emporter sur. Faire de la politique, ce n’est pas vouloir administrer, mais prendre la place de l’adversaire. C’est pourquoi, la liberté individuelle n’est pas pensable.

On voit des racistes partout, toute opposition devient un discours de haine, la simple existence de l’autre devient une offense, donc source de conflit.

Syndicats et partis socialistes [xvii] affectionnent le vocabulaire militaire et guerrier : mobilisation, stratégie, lutte, on répond à la « casse du service public ».

Conclusion

Le socialisme, c’est la guerre. Pour consolider son pouvoir, pour faire taire toute opposition réelle, l’État, la sphère publique, le personnel politique doivent mobiliser : les guerres peuvent être civiles, internationales, mondiales.

Pour créer les conflits, les militants socialistes et les États utilisent sans vergogne le « Don Quichottisme » et une succession de boucs émissaires.

Ce n’est pas au sens strict un complot mais l’accomplissement d’une stratégie éprouvée et parfaite que seuls les adversaires ignorent ou feignent d’ignorer.

Les objectifs, énoncés dans le Manifeste du Parti Communiste de 1848, n’ont pas varié. Les pions ont été avancés patiemment dans l’indifférence de l’opposition bourgeoise.

La socialisation, la marche vers une société totalitaire, ennemie de l’individu et de la propriété individuelle, est presque achevée.

La question qui se pose est la suivante : le personnel politique de la Droite et du Centre français est-il foncièrement stupide, le plus bête du monde, ou est-ce qu’il ne s’est jamais opposé parce qu’il est fondamentalement d’accord ?

La réponse est dans la question.

 

Maverick

[i] C’est de la conscientisation : Pratique pédagogique politique permettant de faire prendre conscience à un groupe social de sa propre capacité d’émancipation dans une organisation. Dans ce schéma : les salariés ne savent pas qu’ils sont harcelés et n’en souffrent pas : ce n’est pas acceptable.

[ii] Lutte contre le harcèlement sexuel : constats et recommandations du Défenseur des droits.

[iii] Rappelons que, comme en matière de discrimination, c’est l’accusé qui doit prouver son innocence.

[iv] Ravages du Don Quichottisme

[v] Deuxième long métrage de Jacques Tati, 1953

[vi] On ne peut imaginer que sa ressemblance avec Léon Trotski jeune soit une pure coïncidence.

[vii] « La dictature du prolétariat ne peut être réalisée et maintenue qu’avec la participation énergique et active des travailleuses8 », disait Alexandra Kollontaï.

[viii] « La révolution permanente », 1928-1931, 1929 pour l’édition française.

[ix] L’auteur de l’expression « Tiers Monde », Alfred Sauvy, la répudia fermement à la fin de sa vie.

[x] Il sera intéressant de suivre la sédentarisation des zadistes de Notre Dame des Landes.

[xi] Aucune communauté auto-gérée ne dure dans le temps.

[xii] « Créer le désordre partout, dans les facs, dans les rues avec des mots d’ordre odieux… Mélenchon avait tout dit de sa stratégie en 2012, elle s’inspire de Chavez : « la conquête de l’hégémonie politique a un préalable : il faut tout conflictualiser. » Terrifiant. »

[xiii] Les islamistes utilisent la même méthode : s’affirmer chrétien ou athée, monter une croix, manger en période de Ramadan, c’est une agression, une provocation, une offense, un blasphème.

[xiv] Notons que ce n’est pas spécifiquement français : les écoles et universités américaines, publiques et privées dispensent le même enseignement.

[xv] Programmes d’Histoire Terminale L et ES.

[xvi] Le livre noir du communisme, Stéphane Courtois et alii, p. 166 Robert Laffont, 1997

[xvii] Ce n’est pas parce qu’on n’est pas membre du parti socialiste qu’on n’est pas socialiste.