Détourner l’attention
À l’instar de Don Quichotte qui transforme à travers ses hallucinations des moulins à vent en « Géants » qu’il faut terrasser, la classe médiatico-politique désigne à la vindicte populaire des ennemis utilisant ce même vocable : les géants de la pharmacie, du web, de l’industrie agro-alimentaire, de la chimie etc.
Nous avons vu dans un article précédent [i] en complément du « Don Quichottisme », l’actualité de l’utilisation de « boucs émissaires » par l’État et ses affidés.
Nous avons rappelé à cette occasion que la technique du bouc émissaire a deux fonctions : faire endosser à quelques cibles choisies les malheurs du monde, la deuxième consistant en un détournement de l’attention sur ses propres responsabilités.
C’est cette deuxième fonction que nous traitons ici, la manipulation étant d’une envergure particulièrement exceptionnelle.
Les « GAFA »
L’État français, appuyé par des internautes « conscientisés », [ii] s’est lancé dans une opération de grande envergure de détournement d’attention de l’opinion en stigmatisant les « géants du web », ceux qu’on appelle les GAFA : Google, Apple, Facebook et Amazon, auxquels on ajoute souvent Microsoft.
Ils sont critiqués pour leur capacité à récolter des informations personnelles sur les utilisateurs et de s’en servir pour cibler les propositions commerciales et risquer d’attenter à leur vie privée. Certains internautes reprochent à Facebook et Google de discriminer les informations selon des critères politiques.
Enfin l’État se plaint de manière plus générale d’internet s’offusquant de voir circuler des informations qui pourraient être fausses ou tendancieuses, et rêve de pouvoir contrôler les réseaux pour « protéger » les individus. « La capacité de discernement des citoyens ne suffit plus » s’est permis d’affirmer la ministre de la culture, Françoise Nyssen pour défendre la loi anti « fake news ».
Comme la langue d’Ésope, Internet est la meilleure et la pire des choses. Gageons que l’outil Internet répondrait néanmoins aux rêves des encyclopédistes, avec leur lucidité même :
« On n’eut pas le temps d’être scrupuleux sur le choix des travailleurs. Parmi quelques hommes excellents, il y en eut de faibles, de médiocres et de tout à fait mauvais. De là cette bigarrure dans l’ouvrage où l’on trouve une ébauche d’écolier à côté d’un morceau de main de maître ; une sottise voisine d’une chose sublime, une page écrite avec force, pureté, chaleur, jugement, raison, élégance, au verso d’une page pauvre, mesquine, plate et misérable. » [iii]
Chacun d’entre nous, utilisateurs, reconnait son quotidien dans cette description de Diderot. « L’honnête homme », expression traditionnelle qui inclut la femme, sait faire la part des choses, et ce ne sont pas quelques juges ou politiques qui peuvent le faire à sa place.
Or, par définition nul n’est contraint d’acheter chez Amazon, de s’épancher sur Facebook ou de faire des recherches sur Google.
Il y a vingt ans ces sites n’existaient pas en France : précurseurs, ils ont pris une position dominante, d’apparence monopolistique. Mais ce ne sont que des monopoles de fait : chacun est libre de se déconnecter ou de tester la concurrence. Chacun est aussi libre de diffuser ses données pour qu’elles puissent être utilisées pour proposer des produits et des services. Personne ne remarque que ce n’est même pas plus envahissant que les mailings par courrier ou les prospectus dans les boîtes aux lettres. [iv] Dans ce marché récent, les concurrents se mettent peu à peu en place.
L’État développe une puissante propagande adaptée, car le pouvoir ne saurait lui échapper. Il a même l’outrecuidance de se positionner en contre-pouvoir, au nom de la « démocratie ». La presse, au service de l’État défend la « liberté de la presse », pas la liberté d’expression ou d’information. [v]
« Chargez, sabre au clair ! »
Dix jours avant l’adoption en commission à l’Assemblée Nationale de la proposition de loi sur les « fake news », le directeur de la prospective à France télévision, Eric Scherrer, [vi] a publié un long article présentant les tenants et aboutissants de l’action de l’État socialiste (pléonasme) sur les risques d’Internet pour la société, pour « l’humain ». Quand on en appelle à « l’humain », à « l’humanité », on sait d’avance que l’individu sera broyé.
C’est pour sauver « l’humain » que l’État doit reprendre le pouvoir qui pourrait lui échapper. L’enjeu n’est-il pas « de chercher les conditions d’un nouvel humanisme numérique ? » Cette seule expression laisse rêveur.
Chaque paragraphe, et le lecteur pourra en faire la découverte par lui-même à partir du lien, est un plaidoyer pour une société socialiste, pour la primauté du pseudo contrat social sur l’individu, mis en danger par les GAFA et la fameuse intelligence artificielle car « d’ici 2030, entre 400 et 800 millions d’emplois vont être menacés par l’automatisation ! »
Dès l’introduction, les trémolos catastrophistes sont donnés :
« Chacun le sent bien : nous traversons un moment de tension où des univers entrent en collision, et où, à l’inverse, des forces nouvelles nous éloignent les uns des autres. C’est un clair-obscur où le monde d’avant n’a pas encore disparu, et celui qui vient n’est pas encore dessiné, un moment de bascule où les cartes sont rebattues ; un monde volatil où croissent l’entropie, et désormais le ressentiment et la méfiance vis-vis (sic) de technologies dominantes qui accélèrent le tempo comme jamais. »
Et le prospecteur d’avenir d’ajouter :
« Alors même que nous ignorons où elles vont nous emmener, de nouveaux paliers sidérants sont franchis chaque jour. Nous nous apprêtons à entrer dans une nouvelle ère technologique, celle où les ordinateurs ont des yeux et prennent des décisions, celle d’un Internet contextuel, où l’informatique spatiale (VR, AR), cognitive et contextuelle (IA), physique (IoT) va modifier notre réalité même. »
On pense instantanément au Trissotin des « Femmes savantes » :
« Je viens vous annoncer une grande nouvelle.
Nous l’avons en dormant, Madame, échappé belle :
Un monde près de nous a passé tout du long,
Est chu tout au travers de notre tourbillon,
Et s’il eût en chemin rencontré notre terre,
Elle eût été brisée en morceaux comme verre. » [vii]
Et notre nouveau Trissotin d’aligner quelques « punchlines » bien idéologiquement senties :
« Ne laissons pas seuls les ingénieurs. Entourons-les ! Ces nouvelles technologies demandent d’imaginer une nouvelle société, avec des valeurs que nous aurons définies ensemble. » Autrement dit, entourons-les, embrassons-les pour mieux les étouffer.
« Nous sentons bien que la valeur est dans le lien. Même quand on fait un selfie, c’est pour le… partager. » Eh ! Non ! La valeur est dans l’échange, pas dans les entraves formées par le lien.
Enfin, le visionnaire donne une conclusion qui confirme notre hypothèse du « bouc émissaire de détournement » assorti de la cible anticapitaliste. Nous surlignons les points essentiels de cet extrait.
« Pas facile de remettre de la démocratie, de la citoyenneté, du bien commun, du juridique éclairé, du temps long, d’aligner nos valeurs sur notre vision souhaitable du long terme avec la super IA, de reprendre du contrôle sur nos données, de partager et de faire connaître l’éthique choisie dans une économie qui va justement être guidée par l’IA dans un capitalisme de surveillance. Même s’il faudra peut-être accepter un compromis en sacrifiant de la transparence (on le fait déjà avec les médicaments) et reconnaître que certaines choses sont difficilement intelligibles. Sans doute faudra-t-il aussi instaurer un filet social pour assurer une transformation pacifique de notre société. Et surtout se préparer ! »
La « nasse sociale » pour nous prendre est prête ! Quel aveu sur les objectifs du contrefeu aux GAFA : ils menacent la société socialiste. On accuse le « capitalisme de surveillance » pour mieux développer l’étatisme de surveillance.
En effet, pendant ce vacarme, l’État rend obligatoire, sous prétexte d’économie et de dématérialisation, la pratique d’Internet, et in fine détient des fichiers invasifs sur chacun.
Internet sous la coupe de l’État. [viii]
Depuis le 25 mai 2018, le Règlement Général de Protection des Données enjoint toutes les entreprises à faire la preuve d’une réelle protection des données, alors que dans le même temps, elles sont présentes et partagées sur toute la sphère des réseaux publics.
L’État interdit par exemple dans un fichier l’utilisation du numéro de sécurité sociale [ix] comme pivot, alors qu’il s’en sert en permanence pour contrôler l’activité des citoyens.
Nous l’avons noté, nul n’est contraint d’acheter chez Amazon, de s’épancher sur Facebook ou de faire des recherches sur Google.
En revanche, petit à petit, entreprises et individus, chacun est contraint de tout donner sur Internet sur les sites de l’État et des organismes quasi étatiques. Et dans ce cas, il est interdit de se déconnecter, ou de faire jouer la concurrence !
En s’appuyant sur le monopole de la sécurité sociale, l’État a élaboré un système centralisé de remontées d’informations permettant par recoupement de tout savoir sur l’entreprise.
Nous proposons un inventaire, qui n’a pas la prétention d’être exhaustif, de ce que l’État a mis en place, en silence, et sans la moindre opposition, et qui va bien au-delà de tout ce que pourraient faire ces sociétés privées.
On comprend alors la charge « héroïque » à l’encontre des « Géants du web » pour masquer son action et détourner l’attention : la presse, subventionnée se gardant de la moindre investigation sur le sujet.
Contrôle des entreprises
- La DPAE, Déclaration Préalable À l’Embauche.
Adressée à l’URSSAF, tout travail non déclaré étant illégal ou dissimulé, l’information se retrouve sur un fichier à la disposition de Pôle emploi et l’inspection du travail mais aussi de la gendarmerie nationale, la police de l’air et des frontières, la police nationale. Ils savent en temps réel qui est embauché, quand, à quelle heure pour faire quoi. [x]
Rappelons que l’URSSAF, organisme privé, a tout pouvoir pour contrôler les entreprises dans leur fonctionnement et dans leur comptabilité.
- Déclaration Sociale Nominative
Transmise mensuellement par les entreprises, la DSN contient toutes les informations issues des bulletins de salaire et donc l’administration sait tout sur nos rémunérations, chaque absence quelle qu’en soit la raison, maladie, congés, RTT etc.
« La DSN réduit les risques d’erreur et la charge de travail déclarative. »[xi] C’est évidemment pour notre bien, cette transparence totale. On croyait que la dématérialisation des bulletins de paie était une simplification pour les entreprises et un gain de praticité pour les salariés. En fait, l’obligation de dématérialiser et la possibilité de l’envoyer tel quel aux salariés, c’est ce qu’on voit. L’outil de contrôle invasif, c’est ce qu’on ne voit pas.
- Logiciels de comptabilité
L’État a imposé aux entreprises que les logiciels de comptabilité suivent des normes pour que tous les fichiers soient transmis aux impôts pour contrôle à leur simple demande… Pour l’instant, en attendant que le logiciel soit partagé.
- Chorus pro [xii]
Chorus pro est un Logiciel unique de facturation dématérialisée à l’État, aux collectivités locales mais aussi à de grands groupes faussement privés comme les Chambres de Commerce et d’Industrie.
Contrôle des Individus
- Impôt sur le Revenu
Tous les organismes qui versent des retraites, des salaires, des revenus de l’épargne sont tenus de transmettre l’’information au fisc pour des déclarations préremplies.
La déclaration devra être obligatoirement dématérialisée en 2019 : une amende de 15€ est prévue pour les récalcitrants…
Enfin le prélèvement à la source conforte l’idée que le revenu appartient à la collectivité et que l’on ne peut disposer que d’une fraction. [xiii]
- Surveillance
On est bien obligé de constater la multiplication des radars sur les routes de toute sorte et caméras de surveillance. Sur certaines autoroutes par exemple un panneau affiche en gros caractères le numéro d’immatriculation du véhicule avec la mention « vous roulez trop près » : non amendable pour le moment mais c’est une double peine puisqu’il s’agit d’une dénonciation publique. [xiv]
- Cache-Cash
Suppression progressive de tout argent liquide avec, uniquement en France semble-t-il, l’interdiction de conclure des transactions d’un montant supérieur à 1000 €. (Sauf pour les salaires, 1500 €)
Contrôle Global
- FICOBA
Le Fichier national des COmptes Bancaires et Assimilés sert à recenser les comptes de toute nature (bancaires, postaux, d’épargne…), et à fournir aux personnes habilitées des informations sur les comptes détenus par une personne ou une société.
Les personnes et organismes qui ont accès au Ficoba : l’administration fiscale, les officiers de police judiciaire, des juges, des notaires en charge d’une succession, des huissiers et des agents de la Caisse d’allocations familiales (Caf) .
- TRACFIN
« Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins », TRACFIN est un service d’enquête administrative, saisi sur la déclaration de soupçon d’un organisme financier, soumis au dispositif anti-blanchiment.
Il agit par échange d’informations avec les administrations de l’État, notamment l’Office central de répression de la grande délinquance financière, l’Autorité de contrôle prudentiel, l’autorité des marchés financiers ou avec les collectivités territoriales ; il exerce également un droit de communication auprès de tous les organismes assujettis.
Triomphe de « Big Brother »
Nul besoin des suites d’une guerre nucléaire comme l’avait imaginer George Orwell pour que s’installe progressivement un système de domination de la société et du contrôle de l’individu par l’État, au nom de la transparence, de l’efficacité, du lien social, du « zéro papier » écologique.
Les optimistes, peut-être complices, diront que ce n’est pas à ce point-là, que nous avons encore de larges possibilités de nous exprimer, de nous déplacer, que l’économie ne va pas si mal, que nos conditions matérielles de vie s’améliorent et que malgré tout ce « pays n’est pas foutu ». Ils n’ont pas pris la mesure de l’invasion totalitaire, car elle est pour l’essentiel sans douleur.
Alors quoi de neuf avec le « bouc émissaire » ? C’est pourtant un procédé ancien, connu, documenté. Oui, mais ça marche. Sans opposition. Sans résistance. Sans protestation. « Je ne suis pas un numéro de sécurité sociale » pourrait hurler le héros de la série anglaise, le Prisonnier. La réalité montre que nous sommes sur cette « route de la servitude » chère à Hayek. Involontairement ? Vraiment ?
Pourquoi constate-t-on cette multiplication « spontanée » de « géants-moulins à vent », de boucs émissaires cibles et détournement ? Quelle en est l’origine ?
Nous vous proposons de répondre à ces questions dans le prochain article : le socialisme, c’est la guerre.
Maverick
[i] Article précédent introduisant le concept de bouc émissaire.
[ii] Nous expliquerons dans un prochain article l’importance stratégique du concept de « conscientisation ».
[iii] Extrait d’un mémoire présenté en 1768 à monsieur le chancelier, pour obtenir la permission de faire une nouvelle édition de l’Encyclopédie en France.
[iv] Des mairies suppriment les panneaux aux abords des routes annonçant des enseignes de restauration. Les applications GPS pour les itinéraires ou la signalisation de dangers répondent parfaitement à ce besoin d’information.
[v] Il est piquant d’entendre le gouvernement mettre en doute les médias russes RT et Sputnik parce qu’ils dépendent de l’État.
[vi] Extraordinaire prose à lire ici.
[vii] « Les femmes savantes », Acte IV, scène III, Molière, 1672.
[viii] Le lecteur remarquera que nous nous attaquons à l’Etat, pas au gouvernement. Non que je le soutienne, mais parce que l’État a sa vie propre et que sa croissance, son invasion tentaculaire progresse constamment, quelles que soient l’équipe au pouvoir et les majorités parlementaires. Ces dernières sont là pour nous donner l’illusion de notre pouvoir démocratique, qui est en réalité parfaitement insignifiant.
[ix] Appelé officiellement NIR, Numéro d’Inscription au Répertoire, sous-entendu de l’INSEE.
[x] Les « agences d’emploi », ex agences d’intérim, sont visitées ou appelées par les forces de l’ordre : nous savons que vous employez untel…
[xi] Site présentant la Déclaration sociale nominative.
[xii] Pour visiter le site de Chorus pro…
[xiii] On finit par s’attendre que tout le gain de l’activité soit prélevé en échange d’un « revenu de base universel », égal pour tous, sous le critère communiste du « à chacun selon ses besoins ».
[xiv] Dans le cas d’espèce, après nous avoir doublé, un véhicule s’est rabattu devant nous supprimant la distance de sécurité.