« Le premier des droits de l’homme, c’est la liberté individuelle, la liberté de la propriété, la liberté de la pensée, la liberté du travail. » – Jean Jaurès, 1859 – 1914

Taxi mais non

La France est un pays extraordinaire, où à la sortie d’un aéroport en pleine journée, un jeune « artisan transporteur de personnes » peut se faire embarquer par la police comme un vulgaire criminel, pour le seul motif de l’exercice de son métier !

J’ai 32 ans et j’ai créé mon entreprise de transport de personnes en moto il y a 4 ans. Mes clients nomment couramment mon service « moto-taxi », à tort, puisque l’appellation « taxi » est réservée uniquement aux véhicules à 4 roues transportant des personnes à titre onéreux et possédant une licence et une plaque. Dixit l’État souverain, qui a mis en place des quotas de taxis voitures – initialement gratuits – dont le prix s’est envolé en raison de la restriction qu’ils causent. J’ai bien conscience que « transporteur de personnes sur des véhicules motorisés à 2 ou 3 roues » n’est pas facile à placer dans une conversation.

Moto-Taxi

Libre Moto-Taxi ?

Mais il vous faudra faire cet effort si vous voulez aborder le sujet. En effet, on ne plaisante pas avec les « statuts » dans ce « pays merveilleux ». En revanche, on a beaucoup d’humour sur l’organisation et la gestion des transports, ma profession étant de facto en concurrence, depuis sa naissance il y a une dizaine d’années, avec les taxis voitures. Cette concurrence a longtemps été jugée « déloyale », puisque n’étant pas taxi je n’ai ni licence ni plaque. Sous la pression de mes collègues, le gouvernement a créé une réglementation propre au « moto-taxi ». (Loi Gonzales relative au transport à titre onéreux de personnes par véhicules motorisés à 2 ou 3 roues, consolidée au 1er avril 2011 par le décret n°2010-1223 relatif au transport public de personnes avec conducteur.)

Cette réglementation souligne donc, selon la personne qui l’a rédigée, que « le transport de personnes en moto à titre onéreux s’opère uniquement sur réservation préalable », qu’il « ne pourra faire l’objet d’une quête de clients sur la voie publique », que « les véhicules affectés à l’activité ne peuvent stationner aux abords des gares et des aéroports que si leur conducteur peut justifier d’une réservation préalable », et ce dans le seul but « de bien distinguer cette activité de celle des taxis ». Je ne m’étendrai pas sur le chapitre répressif de ladite loi, composée de sanctions plus disproportionnées les unes que les autres (1 an d’emprisonnement, 15.000 € d’amende, la suspension pour une durée de 5 ans du permis de conduire, etc.).

Art puis traire – Arbitraire

Pour résumer, je peux transporter des personnes d’un point A à un point B, payer des charges, mais je ne peux ni faire savoir aux utilisateurs qu’ils ont la possibilité d’utiliser mon service, ni stationner là où ils ont le plus besoin de moi, ni bénéficier de panneaux indicateurs sur l’accès au service taxi-moto dans les gares et aéroports, ni d’infrastructures spécifiques à mon activité comme des stations d’attente. Tout ce qui est mis à disposition d’un taxi voiture et qui m’est refusé.

Si malgré tout, j’ai l’idée folle de proposer mes services à un client, on pourra m’emmener manu militari en garde à vue pour racolage. En marge de cela – comme c’est le cas pour tous les artisans, dans tous les secteurs – l’État ne voit évidemment aucun inconvénient à ce que je lui verse malgré mon « activité racoleuse » environ 7.000 € de charges par trimestre, et ne se pose bien évidemment aucune question sur la façon dont je génère cette somme, malgré le champ on ne peut plus « réduit » de mon activité licencieuse.

Vous avez dit « Liberté » ?

En définitive, non, je ne suis pas libre de travailler dans le pays où « liberté » est inscrit sur tous les frontons des mairies. Plus précisément, l’État ne me laisse pas la possibilité d’utiliser le marché librement, c’est-à-dire offrir l’activité de transport de personnes à moto en réponse à une clientèle demandeuse de ce service. L’État, par ses choix et ses ambitions de planification soviétique, entrave ma liberté d’organiser et de produire une prestation en adéquation avec la demande. Ce droit pourtant est bien présent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Quelques chiffres intéressants démontrant l’inefficacité de l’État à « organiser et planifier » ce secteur. On recense effectivement quelques 15.000 taxis à Paris, un effectif inférieur à celui de 1920 où l’on en comptait 25.000 – les besoins en déplacements des Parisiens, comme chacun sait, n’ayant pas évolué depuis les Années folles. Du coup, inutile d’en chercher en sortant du cinéma ou du restaurant, voire pour vous rendre à un rendez-vous professionnel à 9h00 du matin.

Combien d’entre vous ont attendu plus d’une heure dans une gare parisienne, jusqu’à ce qu’un taxi voiture daigne vous prendre en charge ? Combien ont subi un refus de prise en charge, pour destination trop lointaine, trop proche, ou pas assez rentable ?

Diversité… de l’offre

L’État affiche un bilan pitoyable, un constat d’échec à la portée internationale suscitant raillerie et colère de la part des touristes étrangers. Nos chers dirigeants tirent la sonnette d’alarme depuis 1959 pourtant, où un rapport sous de Gaulle indiquait : « La limitation réglementaire du nombre des taxis nuit à la satisfaction de la demande et entraîne la création de ‘situations acquises’, dont le transfert payant des autorisations de circulation est la manifestation la plus critiquable. »

On sait néanmoins, depuis Aristote, que la nature a horreur du vide et que, lorsqu’un besoin n’est pas satisfait, débarque toujours un petit malin pour tenter sa chance. Le petit malin est d’ailleurs parfois un gros rusé, comme dans le cas des Vélos et autres Autos « lib’s », mais peut aussi être un de ces « motos-taxis » vous acheminant de la gare de Lyon à l’aéroport de Roissy sur une Honda GoldWing 1800cc, ou une voiture limousine, ou encore un mini-van si vous êtes plus de 5 personnes, autant de services complémentaires pour répondre à chaque demande.

N’est-il pas raisonnable d’imaginer tous ces modes de transport évoluant librement, en un simple rapport d’offre et de demande, sans licence ni plaque, ni réglementation ou autre planification sortie d’on ne sait quel esprit passé par l’ENA ?

Je crois sincèrement au changement, qui serait induit par des idées plus « libérales », un jour prochain, à mesure que les consciences s’éveillent, nous pourrions bel et bien voir apparaître un fonctionnement non plus basé sur de quelconques actions politiques, mais plutôt un système basé sur la responsabilisation des acteurs de notre société, une vision qui permettrait à chacun de s’épanouir dans son activité avec le souci du respect des mêmes droits pour son voisin.

Ce jour-là, je pourrai dire que je vis dans une société libre, car mon droit fondamental de travailler sans contrainte fera de moi un homme libre.

Couverture de Libres !

 

Stanislas Mozoluk, in Libres !, 2012