« « Laissez faire, laissez passer » ou « Laissez faire », telle devrait être la devise de toute puissance publique. » – Vincent de Gournay
Rengaine
À chaque élection, le thème de la mondialisation revient sur le tapis. Certains candidats, avides de voix, essaient de lui faire porter le chapeau des problèmes économiques de la France et ce, alors qu’elle est, au contraire, un pansement indispensable pour ralentir l’hémorragie.
Pour l’élection présidentielle de 2012, le candidat à la primaire socialiste, Arnaud Montebourg, avait axé sa campagne sur la « démondialisation ». Fin politicien, il avait menti aux électeurs en expliquant que le chômage était la conséquence directe de la libéralisation des échanges.
De son côté, Marine Le Pen fait aussi du protectionnisme un pilier de son programme économique. Elle insiste sur le fait que les étrangers viennent « voler le pain des Français ». Une telle analyse s’oppose pourtant au bon sens économique. Refuser le libre-échange ou, à défaut, instaurer des droits de douane pour en limiter la portée, ne pénalise pas uniquement les exportateurs étrangers : les consommateurs en paient indirectement la note, puisque les droits de douane seront inéluctablement pris en compte dans le prix du produit, qu’ils payent – et non le fournisseur du produit.
Triste Histoire
À l’heure où la crise économique sévit plus fortement que jamais, la France peut-elle se permettre le luxe de refuser ou tordre cette concurrence étrangère qui rehausse le pouvoir d’achat de ses nationaux ? Ces candidats feignent-ils d’oublier que le protectionnisme avait conduit directement aux deux guerres mondiales ?
En effet, les Allemands, avant la Première Guerre mondiale, s’adonnèrent à un blocus sous-marin, provoquant ainsi une hausse des prix sans précédent des produits de première nécessité. Le problème est que, malheureusement, un pays comme la Grande-Bretagne ne produisait pas de blé et de farine en quantité suffisante pour ses nationaux. Curieusement, alors que c’est justement le protectionnisme allemand qui avait conduit le Royaume-Uni à cette désastreuse situation alimentaire, un climat défavorable au libre-échange s’instaura au sein de ce pays, mené par des personnalités fortes, telles que l’historien anglais Alfred Zimmern.
Après la Première Guerre mondiale, les Britanniques eurent alors la mauvaise idée de jouer les Allemands. Le gouvernement de coalition de 1931 limita ainsi les importations de produits industriels, adoptant, au passage, en 1932, un droit de douane général minimum de 10%.
Ce repli sur soi de plus en plus généralisé à toutes les nations européennes fut un des facteurs de la Seconde Guerre mondiale. Qu’en aurait-il été si les commerçants de ces pays avaient au contraire noué des liens économiques forts ? Leurs dirigeants politiques auraient-ils pu se permettre d’entrer en conflit avec leurs voisins ? La réponse est probablement négative et devrait être méditée.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, après la guerre de 1939-1945, le GATT puis l’OMC ont poussé leurs États-membres à abaisser les barrières protectionnistes.
Posture politicienne
Ce lourd passif historique, reconnu de facto par les institutions internationales, n’empêche pourtant pas les deux candidats précités de défendre le protectionnisme avec ardeur, en des termes qui leur sont propres. Ils font semblant de s’opposer, le directeur de campagne d’Arnaud Montebourg faisant mine de dénoncer le repli nationaliste haineux de Marine Le Pen alors que, dans les faits, leurs idées en la matière sont identiques.
Malheureusement, les candidats français ne sont pas les seuls à dénoncer les pseudo-travers du libre-échange : aux États-Unis, en janvier 2009, les droits de douane sur le roquefort ont été triplés et d’autres produits européens (chocolats, jus de fruit, légumes, fruits, chewing-gums…) ont été taxés à 100%. Même un pays émergent comme l’Inde s’adonne de plus en plus aux fausses vertus douanières. Il ne faudra alors pas s’étonner si ce pays connaît, depuis peu, une croissance plus molle.
Imagination malsaine
Par ailleurs, le protectionnisme ne prend pas uniquement la forme de droits de douane. L’imagination des pouvoirs publics est sans bornes lorsqu’il s’agit de limiter la portée du libre-échange :
- Dédouanement : Le but est, en l’espèce, d’alourdir les procédures administratives pour mieux décourager les importateurs. La France s’est spécialisée dans ce stratagème.
- Normes techniques ou sanitaires, voire, désormais, environnementales : Quoi de plus « vendeur » quand on veut limiter le libre-échange que d’invoquer d’impérieuses raisons sanitaires pour mieux emporter le soutien de l’électeur, par la suite ?
- Quotas : Limiter les importations en volume, sous prétexte de saturation du marché.
- Lois limitant les investissements étrangers : De nombreux pays occidentaux votent des lois en ce sens au nom du « patriotisme économique ».
- Manipulation du taux de change : Certains États, comme la Chine et les États-Unis, abaissent artificiellement le taux de change de leur monnaie pour rendre les importations plus onéreuses et, accessoirement, favoriser l’exportation de leurs produits.
- Passation de marchés publics : Procédures limitant la concurrence, étrangère surtout.
- Subventions : Les subventions sont généralement destinées aux producteurs locaux. On ne fera pas l’affront d’expliquer comment et pourquoi elles favorisent ces derniers au détriment des entreprises étrangères.
Déjà, Bastiat…
Malheureusement, tous les politiciens s’adonnent à des stratagèmes protectionnistes, même ceux qui se disent libre-échangistes. Marine Le Pen et Arnaud Montebourg ont au moins une qualité : ils annoncent clairement la couleur de leur programme et on ne pourra pas les accuser de faire passer des mesures protectionnistes en douce si, d’aventure, à court ou moyen terme, les électeurs français devaient les choisir.
Le protectionnisme est donc un danger pouvant provenir de multiples horizons politiques. Cette tentation est d’autant plus à écarter à un moment où le contexte politique est fragile et où les mouvements anti-système (de droite comme de gauche) pourraient en profiter pour fomenter une révolution aux conséquences désastreuses.
Ronny Ktorza, in Libres !, 2012