Série Mai 68

« Une société qui place l’égalité devant la liberté n’aura aucune des deux. Une société qui place la liberté avant l’égalité obtiendra un haut degré des deux. » – Milton Friedman

Jamais 68 ?

Véronique et Michel, 23 ans, tous deux fraîchement diplômés avec de très bonnes mentions, attendent patiemment leur second tour d’entretien d’embauche. L’entreprise privée qui propose l’emploi est de taille moyenne et saine. Ils ont tous les deux le profil requis mais Véronique a quelques atouts importants en plus. Elle parle et écrit couramment l’anglais, son sourire et sa loquacité ont toujours enchanté ses amis.

Sa grand-mère, privée d’études jugées inutiles pour une fille, avait été de celles qui, en 68, ont lutté pour que les femmes soient enfin reconnues égales à l’homme et surtout pour qu’elles ne soient plus discriminées au sein de la société. Mais de nos jours, comme de tout temps, toutes les discriminations ne sont pas faites pour nuire. Et si certaines étaient indispensables pour pouvoir contraster certaines exigences ? Voyons cela.

Non Mai.

Femme égale de l’Homme ?

Normalement, Véronique devrait être choisie, mais un patron avisé doit tenir compte de différents facteurs. Son choix ne dépend pas que de la candidate et il doit faire bon nombre de calculs rigoureux, attendu que la dépense ne s’arrêtera malheureusement pas au seul coût du salaire annuel, même toutes charges comprises. Les avantages de Véronique sont certes intéressants mais le patron doit être prévoyant à long terme. Une bonne entreprise doit évaluer de nombreux risques économiques pour limiter autant que possible les inconnues qui pourraient la mettre en péril.

À noter que la raison profonde qui fait qu’un employeur français doit calculer la rentabilité d’une embauche à long terme vient d’un marché du travail très rigide, une manifestation en étant qu’il est difficile de licencier un employé. Si Véronique et Michel, compte tenu des informations dont dispose l’employeur, sont « identiques » (quant à leur fonction potentielle en entreprise), ils auront le même salaire d’embauche sur un marché libre.

Il paraît clair que le dilemme de l’employeur reste énorme : qui choisir ? La plus qualifiée, avec toutes les inconnues économiques que ce choix va engendrer ? Ou préférer ne pas prendre trop de risques et se replier sur Michel qui malgré tout ferait bien l’affaire ?

Et si la solution passait par une différence de salaire ? Pourquoi ? Comment ?

Soi sans suite ?

Tout d’abord, Véronique est une jeune femme qui par nature tôt ou tard sera confrontée à des choix qui auront un impact important sur sa productivité et qui engendreront des coûts supplémentaires pour l’entreprise. Des décisions auxquelles Michel n’aura jamais à se mesurer ou du moins pas de la même manière ni avec le même impact économique. La candidate fondera, sans doute, une famille, aura des enfants et les congés maternité qui s’ensuivent. Ensuite, probablement, sur une décennie environ, elle devra s’absenter dès que ses petits auront besoin de soins quand ils seront malades.

Peut-être même renoncera-t-elle à sa carrière professionnelle et il faudra alors tout recommencer. Du moins, quand elle sera absente il faudra lui trouver un ou une remplaçante qui n’aura pas son expérience et donc ne sera jamais aussi rentable qu’elle.

L’entreprise perdrait alors donc du temps et de l’argent et sa viabilité est soumise à toutes ces dépenses. Si l’employeur peut répercuter ces charges supplémentaires par un salaire un peu moindre à celui d’un homme, le temps de voir comment évoluera la situation familiale de la jeune femme, son dilemme sera vite réglé. [1] Grâce à cette différence, il pourra la choisir et ne perdra pas trop au change quand celle-ci aura décidé qu’il est temps pour elle d’avoir un enfant et s’absentera, espérons dans des limites raisonnables, quand les circonstances le demanderont.

Notre patron a déjà plusieurs femmes dans son entreprise, et n’a eu que deux déceptions, mais qui lui ont coûté assez cher. D’ailleurs deux ou trois de celles qui ont passé l’âge de devoir encore pouponner perçoivent même des salaires supérieurs à leurs collègues masculins parce que plus habiles qu’eux dans le travail. Cette jeune femme semble motivée et il a envie de courir ce risque. Cette « discrimination » par le salaire va tout simplement lui permettre de ne pas l’exclure sous simple prétexte qu’elle est une femme.

En réalité, plus un employeur a la liberté de contracter librement une embauche avec ses futurs employés, plus celui-ci sera enclin à recruter en cas de nécessité et il le fera toujours avec le candidat le plus apte à pourvoir le poste, qu’il soit homme ou femme. La vraie égalité ne résiderait-elle pas plutôt dans les mêmes chances pour chacun de pouvoir démontrer ses talents professionnels ?

Admettons maintenant qu’il n’ait aucune marge de manœuvre pour combler le risque du manque à gagner à cause d’un sombre motif de législation qui en appellerait à cette présumée égalité qui ne tiendrait compte que du salaire. L’entreprise marche bien mais malgré tous ses calculs, la totalité des charges spécifiques qu’engendrerait Véronique serait trop élevée.

Il va donc probablement préférer investir dans Michel, il pourrait même lui financer des cours d’anglais, attendu que cela serait de toute façon moins onéreux. Michel pourrait tout au plus s’absenter pour les habituels tracas de santé ou accidents qui peuvent arriver à quiconque. C’est dommage, parce que non seulement l’employeur, à qui incombent tous les risques, ne peut pas choisir la candidate qu’il préfère, mais la plus qualifiée se voit soufflée le poste pour un motif économique et non personnel.

H vs F

Véronique et Michel sont-ils égaux ?

L’égalité des risques

Dans le cadre d’une embauche, on ne peut parler de vraie égalité que tant que les risques sont identiques. Moi-même je me suis toujours sentie en danger devant de telles lois.

Nous avons donc vu comment « discriminer » quelqu’un d’une certaine manière, à plus juste raison si seulement à moyen terme, peut être indispensable pour ne pas le faire de manière encore plus injuste à long terme. Quand Véronique aura passé l’âge de devoir prodiguer des soins à ses enfants, elle pourra rediscuter de son salaire. Elle aura acquis de l’expérience et pourra exiger un salaire correspondant au service qu’elle peut apporter.

Il reste la solution d’une loi qui dirait que les hommes et les femmes se relaieront à tour de rôle dans la gestation, ainsi les risques économiques liés à leur embauche seraient vraiment égalitaires. Mais la nature et la culture en ont décidé autrement.

Couverture de Libres !

 

Nathalie Beffa, in Libres !, 2012

[1] Bertrand Lemennicier, « La morale face à l’économie » – chap. 5 – p. 105.