Armes, affreux

Il est quelques sujets de société sur lesquels une majorité, affichant fièrement son attachement à l’immense supériorité intellectuelle de l’être humain sur l’Américain, aime à disserter en enfilant les perles de son ignorance et de ses préjugés, parmi lesquels se trouvent celui des armes. De préférence à feu.

J’ai entendu discourir des quidams sur les bienfaits de la camomille et ceux de l’homéopathie se faire rabrouer instantanément par quelque ronchon passéiste dont l’argumentaire est en général principalement fondé sur une démarche aussi humble que scientifique. L’inconscient citera force études, chiffres et nombres, et il sera tyranniquement renvoyé dans les cordes parce que, voyez-vous, la camomille et l’homéopathie, ça ne peut pas faire de mal. Les armes, de préférence à feu : oui !

Le ciel est bleu, l’herbe est verte et notre sécurité sociale enviée par le monde entier. La fille est jolie et mignonne à croquer, elle gambade et sautille en fredonnant un air à la mode avec cette délicieuse insouciance de cet instant de la vie où la fillette devient femme, à l’aube d’une existence nouvelle dont elle n’appréhende pas encore toutes les subtiles facettes, mais qui fera d’elle un objet d’art, de convoitise ou d’études phrénologiques, c’est selon. Appelons-la Priscilla.

Rouge feu

Femme à feu sans larmes ?

Quand surgit l’infâme, que nous appellerons Roger (car c’est un homme, c’est sûr), tenant dans une pogne velue et brutale un pistolet rayé qui a connu des jours meilleurs. Roger n’est pas seul, d’ailleurs, il a amené ses fidèles lieutenants, Fernand et Gaston, dont le regard, l’attitude et l’apparence font frémir de Chatou à Tamanrasset. Ils tiennent eux aussi dans leurs mains à peine plus fines qu’un Tree de Paul McCarthy exposé, un peu maladroitement, place Vendôme. Les hommes sont venus pour tuer !

Les coups de feu éclatent, les balles quittent les canons dans un éclair embrumé de fumée ; la poudre a parlé, elle s’est fait l’interprète de la rage et de la folie des trois salopards.

C’est les rats

Arrêtons-nous un instant sur qui sont ces hommes. Ce sont simplement des scélérats, des bandits ; des qu’on peut nommer « brigands », « chenapans », ou encore « voyous » ; si on a connu le Second Empire, on se risquera à quelque « terreurs », « sacripants », « ruffians » ou « hors-la-loi » (mais ce dernier a terriblement vieilli depuis que tant forment les gouvernements).

En d’autres termes et sans se mentir : ce sont des pourritures fangeuses animées par ce qui caractérise le mieux l’espèce humaine, c’est-à-dire le crime. Leurs motivations sont secondaires, il est tout à fait inintéressant à ce stade se savoir s’ils militent pour le rétablissement de la peine de mort, l’éradication du Berrichon ou la sauvegarde du camembert au lait cru ; il convient de comprendre qu’ils vont attenter à la vie d’autrui, qu’ils vont casser, détruire et tuer. Voler, peut-être, aussi, oui, on ne le sait pas.

Ils vont tuer parce qu’ils l’ont ainsi décidé, c’est dit, c’est entendu : il y aura un carnage au nom de leurs idéaux, de leur(s) dieu(x) ou de leurs synapses déficientes, peu importe : Priscilla et ses amies vont mourir, leurs corps graciles ne connaîtront jamais les frissons matinaux d’un réveil parfois interlope aux côté d’un amant transi ; elles ne verront jamais se lever le soleil en Terre-Adélie, ni miroiter les rayons du soleil sur les neiges du Kilimandjaro ; personne ne sera jamais en pâmoison devant l’expression de leur intelligence, affûtée par des années d’études et les premières expériences de la vie ! Car elles vont crever !

La question que pose invariablement une presse cacochyme et la ribambelle de bien-penseurs patentés sera : comment interdire encore un peu plus les armes ? Car, c’est un fait, elles sont déjà interdites de vente libre, mais ne pourrait-on pas les interdire encore un peu plus ? Car, c’est tout aussi entendu, ce sont les armes qui ont tué. C’est aussi un tout petit peu Donald Trump, mais il est trop tôt pour diverger.

L’arme dans mes yeux

Abrutis, crétins, ignares ! Votre stupidité n’a d’égale que l’addition des éléments constitutifs de votre veulerie, dont l’existence est directement consécutive à votre déni d’intelligence, à votre refus de lire et de comprendre ; elle est la fumée qui s’élève du feu de vos préjugés, sur lequel vous jetez à intervalles réguliers une huile rance et nauséabonde coulant d’un bidon que vous avez étiqueté « vertu », « paix » et « vivr’ensemble ».

Dois-je ici vous rappeler que quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt ? Avez-vous seulement une once de jugeote à défaut d’une érudition de base, fut-elle la moins cotée, qui vous ferait rougir de vos propos vides de sens et de vos propositions débiles ? Vous avez peur, vous paniquez, vous ne maîtrisez pas, vous faites sous vous !

Pipe or No pipe

Version « fun » d’un tableau de René Magritte.

Poulets dont vient de tomber la tête sous la hache aiguisée et précise du boucher, vous courez devant, derrière, dans tous les sens, pour réclamer encore plus de fermeté, de justice et de sécurité : il faut bannir les armes, il faut les interdire tout à fait et ce jusque sur les affiches de cinéma comme ce fut, jadis, le cas avec la pipe de M. Tati ou la Gitane de Gainsbourg.

Voyez l’évidence : ce ne sont pas les armes qui tuent ! C’est l’homme ou c’est la femme dont les cerveaux dérangés ont élaboré un tissu d’invraisemblances qui leur rendent licites de déchirer les chairs de Priscilla, d’anéantir la vie et de s’affirmer arme aux poings alors que d’autres préfèrent la plume, le pinceau ou la danse.

Car le crime, comme le rire, est le propre de l’homme. « Une société sans crime », disait l’immense Jacques Vergès, « serait pareille à un rosier sans roses – inconcevable. » (in « De mon propre aveu », Pierre-Guilllaume de Roux Editions, 2013) et c’est sans doute parfois en riant qu’il commet un crime ; mais toujours parce qu’il est humain, profondément humain. L’arme à feu est son outil, mais il importe peu car ce qui compte ne sont pas les moyens mais la finalité : donner la mort, si possible de manière exemplaire.

Contre la peur d’armes

Et vous, mièvres larves rampant en meutes menées par le plus vociférant d’entre vous, vous réclamez encore plus d’interdiction et de sévérité tout simplement parce que vous avez peur et que vous n’avez pas le moindre courage de l’affronter après des années d’éducation véreuse pendant lesquelles on vous a bourré le crâne d’âneries sur vos penchants négatifs ou agressifs.

Au lieu d’apprendre que de telles émotions sont normales mais que les comportements destructifs doivent être contrôlés, vous n’avez plus comme repère que le bisou humide et la sévérité de l’État, ce père dont les punitions se doivent d’être sévères, y compris et surtout à l’encontre des individus respectueux du principe axiomatique de non-agression (pour ne pas dire : respectueux de la loi !).

À force de vous convaincre que l’État vous protège contre les méchants, vous avez développé des mécanismes de défense absurdes et démissionnaires qui ont ceci de confortable et de dramatique à la fois : ils vous évitent de penser et d’affronter correctement la réalité. Car vous, poulets anti-armes, avez recours à la dénégation pour vous protéger de l’angoisse des sentiments d’impuissance et de vulnérabilité.

Collection

Simple collectionneur. Son char l’attend.

Au fond, vous êtes des victimes et avez hissé ce statut au pinacle des imbéciles en le décrétant vertueux à l’extrême. Toute votre identité repose là-dessus, et si on vous enlevait ce statut en vous donnant par exemple le droit de posséder et de faire un usage rationnel d’une arme à feu, cela vous serait tout aussi terrifiant que de perdre la vie.

Vos croyances irrationnelles en d’hypothétiques quidams s’entretuant et en l’infaillibilité de la protection de l’État vous poussent irrémédiablement à percevoir l’arme et, par extension, son amateur, comme un ennemi alors que l’ennemi c’est Roger et ses sbires, pas moi et encore moins mon arme ! Vous dénoncez l’objet parce que vous refusez d’admettre que vous êtes humains, et que le criminel vous renvoie une image de l’humanité qui est abjecte, qui n’est sans doute pas la vôtre en ce moment mais qui en fait intrinsèquement partie, que vous le vouliez ou non.

Car la réalité ne se pliera jamais à vos délires phobiques. Vous avez peur et vous avez honte et refusez d’assumer, alors vous vous déchaînez contre moi et mes semblables qui pensent que jamais une arme n’a fait le criminel mais que toujours le criminel a usé d’une arme.

Le bien dans le mâle

L’américain moyen que vous raillez soutient la liberté d’expression et de culte, qu’il choisisse ou non de les exercer. Il soutient les jugements équitables, qu’il ait ou non déjà pénétré dans un prétoire. De la même façon, il comprend que la défense personnelle est un droit essentiel, qu’il décide ou non de détenir ou de porter une arme. L’américain moyen est bien plus civilisé que vous-autres, pleutres, qui réclamez à corps et à cris dans un torrent d’ignorance crasse que soit dissoute l’intelligence et la responsabilité individuelle dans l’étau implacable de la loi arbitraire.

Shelley

Percy Bysshe Shelley.

Connaissez-vous le Chant aux hommes d’Angleterre de Percy Bysshe Shelley ? Probablement non, évidemment… En voici pourtant un extrait fort à propos :

« Semez du grain, mais qu’aucun tyran ne le récolte ; trouvez des trésors, mais qu’aucun imposteur ne les entasse ; tissez des tuniques, qu’aucun paresseux ne les use ; forgez des armes, afin de les porter pour votre défense. »

Ce à quoi j’ajouterai « pour votre plaisir », car il est effectivement plaisant de maîtriser à la fois son corps, ses sens et l’outil difficile dans un contexte de loisir – mais ceci vous échappe probablement totalement, je ne m’y attarderai pas.

Légitime défense

Il est question de défense et non d’attaque ; il est impératif de concevoir l’arme à feu dans un contexte de liberté et de responsabilité individuelle, sans laquelle la liberté n’est rien ; il faut admettre et assumer que l’humanité est une grande et belle chose qui comporte, quand même, sa part d’ombre et de saleté que vous n’éradiquerez jamais, ni par vos lois, ni par vos idéaux trop mièvres pour n’être imposés par la force et la contrainte.

Désarmer les individus ne peut mener qu’à l’omnipotence de l’État, lequel s’est déjà alloué le monopole de la coercition légale en laissant à peine quelques miettes de liberté à picorer, des miettes rendues rares et insipides par la loi toujours plus liberticide que vous appelez de vos vœux, alors qu’il n’est pourtant pas difficile de comprendre l’intérêt que peut avoir toute forme de tyrannie pour une populace désarmée.

Par votre faute, qui consiste fondamentalement à nier la nature humaine du crime, et par votre lâcheté qui est la très exacte expression de votre servitude volontaire, vous pavez la route vers un immense cimetière qui hébergera, en plus de vos illusions, ma liberté et les corps froid des jeunes filles qui accompagnaient toutes les Priscilla du monde tombées sans défense possible sous le feu des Roger démentiels qui eussent de toutes manière tué à coup de bombes, de lames, de bois, de pierres ou de leurs seuls poings velus s’ils n’avaient pas eu d’armes à feu.

Leur but est d’éradiquer, peu importe le moyen ; le mien est de m’en protéger et même de vous en protéger, vous qui ne voulez rien savoir ; vous qui ne voyez aucun inconvénient à ce que l’on filme les Roger tirant dans la foule afin de partager, plus tard, l’horreur sur Internet, mais qui défaillez quand j’ose émettre l’idée qu’à la place du smartphone, un pistolet eut été plus efficace.

Priscilla et ses amies reposent à l’ombre des cerisiers, les pieds tournés vers la mer, plus personne n’embrassera leurs peaux veloutées et leurs seins ne feront plus jamais rêver les hommes et les femmes qui leur survivent, simplement parce qu’ils n’étaient pas au même endroit pour tomber, eux-aussi, victimes de votre stupidité.

Poulets : je vous accuse !

 

Nord