« Ce qui a toujours fait de l’État un enfer sur la terre, c’est que l’homme a voulu en faire son Ciel. » – Friedrich Holderlin, 1770-1843
Ennemi du peuple
Comment aborder un article en faveur du « libéralisme » ou, tout simplement, revendiquer le fait d’être un « libéral », dans un pays qui entretient l’idée qu’il s’agit pratiquement d’un gros mot, qui vous fait immédiatement passer pour un ennemi du Peuple ? Peut-être en donnant quelques définitions, le plus loin possible de tout dogmatisme, mais avec simple bon sens.
Le libéralisme est souvent associé au capitalisme, ce qui, aussitôt, lui donne mauvaise presse. Un mot à retenir car il va réapparaître plus loin, alors que force est de reconnaître que le capitalisme a perduré même dans les pays communistes, tant au sein de l’État lui-même que chez les membres de sa nomenklatura, qui ne se sont guère gênés. La Chine actuelle reste l’exemple d’école d’un pays tout à la fois communiste lorsqu’il s’agit du régime politique, et farouchement capitaliste lorsqu’il s’agit de sa population.
Le libéralisme s’opposerait donc au socialisme et annoncerait la mise à mal d’un modèle social « qui nous est cher », cher dans tous les sens du terme d’ailleurs. Et là, nous commençons peut-être à toucher du doigt un des motifs de rejet épidermique du mot pour ce qu’il serait supposé entraîner à l’égard de l’État-providence.
Noblesse, clergé, etc.
En effet, plus de deux cents ans après sa révolution, la France a laissé se reconstituer une société à Trois Ordres, exactement comme avant celle-ci, ce qui fut l’une des causes de son déclenchement. Nous y retrouvons la Noblesse, celle des Élus, des hauts fonctionnaires, des lauréats des grandes écoles, avec la plus célèbre, l’ENA, dont les lauréats et promus, sont considérés omniscients et omnipotents au sortir même de l’École. Un Clergé constitué des syndicats, de leurs représentants, et des journalistes, pouvant aisément s’assimiler au Haut Clergé de l’Ancien Régime, et de l’ensemble du secteur public et des « assistés », au sens large, représentant une forme moderne de Bas Clergé. Enfin un Tiers État, c’est-à-dire nous tous, membres des classes moyennes pris en otage, physiquement en cas de grève et financièrement le reste du temps, tant par les uns que par les autres.
La collusion entre notre moderne noblesse et notre moderne clergé est apparue évidente, par exemple, à l’occasion de l’enterrement de première classe dont a bénéficié le Rapport Perruchot établissant, peut-être trop visiblement, les subventions allouées par l’État au profit des syndicats, qu’avec un esprit grincheux nous aurions pu aisément prendre pour une forme de quête obligatoire et opaque.
Si le libéralisme est un modèle économique qui vise à donner ses chances à chacun et à réduire l’État, son périmètre d’action, et surtout d’intervention, au niveau le plus adapté possible, donc à le voir subir un fort régime amaigrissant, il est déjà clair que ce n’est à aucune de ces deux portes qu’il nous faut aller frapper.
Foot à cent… balles
Tout État ? Pas d’État ? Un exemple simple, celui d’une équipe de football. Onze joueurs et six à sept remplaçants, et un staff qui, telle l’équipe des Bleus, compte une vingtaine de personnes : capitaine, entraîneur, soigneurs, jusqu’aux chargés de relations presse.
Il est évident que, sur la pelouse, ce sont ces onze seuls joueurs qui gagnent ou perdent le match et justifient de leurs salaires souvent contestés. Pas de staff, l’ultra-individualisme en quelque sorte, s’il laisse l’ensemble des gains aux seuls joueurs, va aboutir à une cacophonie de mauvais pronostics. À l’opposé, une équipe socialiste de 50 remplaçants, 30 entraîneurs, 10 coaches, 200 soigneurs, laissera toujours 11 individus faire le résultat sans nécessairement être meilleurs, contrairement à ce que notre État parvient à nous faire croire en puisant dans son obésité ses critères d’efficacité.
L’effet pervers qui pourrait en découler, c’est que même en gagnant chaque match, les joueurs, peut-être démotivés de partager les revenus de leurs performances avec trop de membres passifs, pourraient être tentés de rejoindre une équipe plus restreinte. Sans parler de l’équipe communiste qui, constituée du seul staff, ne compte plus aucun joueur !
Le libéralisme a pourtant fait ses preuves, même en France et sous un gouvernement pourtant socialiste. Jusqu’à Bérégovoy, et malgré la succession des meilleurs économistes de France, nous nous offrions une inflation avec ses célèbres « deux chiffres ». Qu’a-t-il donc fait ? Il a eu recours à la baguette magique de la liberté de tous les prix, prix qui ont flambé durant quelques mois, mais pour, ensuite, et grâce au jeu de l’incontournable concurrence, revenir à des niveaux plus normaux de 2% à 3% par an.
Sans l’instauration du libéralisme dans un certain nombre de secteurs, dont celui du transport aérien, il semblera évident, même à gauche, que les sites comparateurs de prix n’auraient pas vu le jour. À quand la même chose pour notre couverture sociale ?
Dignes d’opinion ?
Comment se fait-il que l’opinion semble à ce point opposée à un libéralisme qui, pourtant, bénéficierait au plus grand nombre et qui fabrique ou façonne cette opinion ? La réponse pourrait bien être dans cet extrait d’un texte inédit de Pierre Bourdieu : « Qu’est-ce que cette opinion publique qu’invoquent les créateurs de droit des sociétés modernes, des sociétés dans lesquelles le droit existe ? (…) Je pense que la définition patente dans une société qui se prétend démocratique, à savoir que l’opinion officielle, c’est l’opinion de tous, cache une définition latente, à savoir que l’opinion publique est l’opinion de ceux qui sont dignes d’avoir une opinion. » [1]
Or, qui possède les moyens de véhiculer ce que doit être l’opinion officielle, sinon l’État, lui-même ? Et les médias, dont les journalistes sont dans leur immense majorité de gauche, qui parviennent parfois, par des raccourcis saisissants, à évoquer lorsqu’il s’agit de nos amis Américains, des « libéraux ultra-conservateurs ». Juxtaposition linguistique qui, en trois mots pourtant antithétiques, leur semble suffisante pour avoir jeté l’opprobre définitive sur un parti politique dans lequel ils ne se retrouvent pas.
Nous finissons par nous trouver dans la situation d’esclaves auxquels les propriétaires et les gardiens expliquent qu’il est mal de parler de liberté, et qui arriveraient à le croire…
Je voudrais conclure sur une merveilleuse phrase entendue récemment à Bercy : « l’Inde grandit la nuit… parce que, pendant ce temps-là, le Gouvernement dort ! »
Michel Berr, in Libres !, 2012
[1] Le Monde Diplomatique de janvier 2012, « Qui fabrique l’opinion ? »