Index of Economic Freedom

Le think tank Heritage Foundation et le Wall Street Journal viennent de publier leur édition 2018 du célèbre Index of Economic Freedom (indice de la liberté économique), qui voit cette année la France gagner une place – cocorico ! – et passe de la . . . 72ème – ben, non, pas cocorico, finalement – à la 71ème place mondiale sur 186 pays considérés.

La France est très loin derrière les « pays libres » (Free Countries) comme Hong Kong (1er, inchangé), Singapour (2ème, inchangé) ou la Suisse (4ème). L’Irlande est passée à une remarquable 6ème place mondiale, devenant le seul pays européen « libre » selon l’indice.

La France est loin derrière les « pays plutôt libres » (Mostly Free Countries) dont font partie le Royaume-Uni (8ème), le Canada (9ème), le Luxembourg (14ème), les Etats-Unis (18èmes), l’Allemagne (25ème), Israël (31ème).

Parmi les pays « modérément libres » (Moderately Free Countries), elle brille par sa présence dans la deuxième moitié de ce peloton lamentable juste derrière l’Indonésie (69ème) et Brunei (70ème)…

La France n’est pas seulement 71ème. Elle est surtout le pays malade de l’Europe qui a reculé de la 35ème place en 1995 à sa pathétique position d’aujourd’hui.

Catégories

L’Index of Economic Freedom est composite et regroupe 12 catégories. Les réformes de 2017 ont porté leurs fruits et la France aurait semble-t-il progressé sur les dépenses gouvernementales (Government Spending), la santé fiscale (Fiscal Health), la liberté des entreprises (Business Freedom), la liberté du travail (Labor Freedom) et la liberté d’investir (Investment Freedom).

Alors pour tous ceux que ceci pourrait surprendre aux pays des énarques, je vous rassure de suite et nous nous sommes encore dégradés sur les droits de propriétés (Property Rights), la corruption étatique (Government Integrity), les impôts (Tax Burden) et la liberté du commerce (Trade Freedom)…

Et que nous soyons clairs. Quand je dis que la France a progressé sur les dépenses gouvernementales (Government Spending), elle part de si loin qu’il n’est pratiquement pas possible de faire pire. Elle est donc toujours, dans cette catégorie, parmi les 10 pires pays au monde sur 180 pays classés, juste devant la Finlande (176ème), la Corée du Nord (177ème), la Libye (178ème), Kiribati (179ème) et Cuba (180ème). Des pays qui n’ont même pas la chance d’avoir l’ENA…

A côté de ça, le groupe de tête (Hong Kong, Singapour, Nouvelle Zélande et Suisse) voit ses scores encore progresser, seule l’Australie glissant vers le bas.

Méthodologie

Est-ce bien raisonnable ? Oui et non.

Oui car les données sont très bonnes : chaque année, des analystes – dont je faisais partie de 1998 à 2000 – commencent en début d’année à rassembler des classements. Certains proviennent des données harmonisées de la Banque mondiale, du Fond monétaire international et autres organismes publics internationaux. D’autres sont achetés à des grands cabinets de consultants internationaux qui fournissent des chiffres – en particulier fiscaux – à leurs clients, souvent des multinationales.

Derrière chacune des catégories de l’Index of Economic Freedom, il y a trois ou quatre sous-catégories : par exemple, la liberté de commerce s’intéresse aux droits de douane mais aussi aux quotas. Dans la même veine, les impôts ont plusieurs sous-catégories selon leurs types.

Grande peine est prise pour comparer ce qui est comparable.

Bien sûr, si on réfléchit au problème, au moment où l’on passe des chiffres de base aux 12 notes, on détruit nécessairement une partie de l’information sous-jacente. De même, le choix d’avoir un poids identique pour chaque composante a été très âprement discutée en interne. Le choix des différentes sources est aussi un constant sujet de discussion. Chaque composante a sa méthodologie validée par des études universitaires commanditées par la fondation.

Mais chaque année depuis la première édition de 1995, la Heritage Foundation (qui dépense plusieurs millions de dollars pour conduire cette étude) améliore le processus et prend son élaboration très au sérieux. Lorsque je faisais partie du comité scientifique de l’Index, l’un des autres membres était Clive Granger qui a reçu le prix Nobel d’économie en 2003 pour ses travaux en statistique.

S’il existe une part d’arbitraire, elle est chaque année chassée sans pitié et sans compter les ressources.

Anecdote

Il ne reste donc guère de place pour les jugements subjectifs sinon dans le petit résumé pour chaque pays. Ces résumés sont écrits par les analystes de la fondation selon leurs spécialités.

Comme l’indice est lu attentivement par les investisseurs internationaux, chaque pays a envie d’y apparaître sous son jour le meilleur. Chaque année, les ambassadeurs de deux petits pays européens prenaient rendez-vous avec nous ou appelaient pour faire l’éloge de leur chapelle.

Et là je dois avouer avec dépit que je n’ai jamais vu un membre de la pléthorique délégation diplomatique française. Un indice économique utilisé mondialement par les multinationales, ce n’est pas un truc sexy sur lequel se pencher quand on s’y trouve 71ème… Tiens !

En fait, je n’ai jamais vu un journaliste français ou belge, non plus. Et durant mes années à la Heritage Foundation, je n’ai vu que deux politiciens français. Un jeune assistant parlementaire d’Alain Madelin dont le nom m’échappe et Christine Boutin . . . qui m’a dit . . . que je parlais très bien le français !

Bref, c’est pas gagné.

 

Philippe Lacoude