Vertus et talents ?

« Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » – Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789.

La base de ce qui s’appelle le « droit positif » en France repose depuis 1958 sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et notamment sur cette phrase ci-dessus, extraite de l’article 6. Simple, non ?

En apparence, oui. Mais cette « constitution de 1958 » a totalement oublié de faire un « reset juridique » sur les institutions, la législation et la fiscalité issues depuis d’idéologies politiques non conformes aux principes énoncés par la DDHC.

Si l’on veut montrer une rupture juridique, et a priori une nouvelle constitution se veut en être une, on ne peut se contenter de refaire un simple replâtrage de la façade. L’abrogation de codes, décrets et lois s’impose tout autant que celui des organes institutionnels.

ENA 1980

Promotion ENA 1980 – Que des « inconnus »…

Former ô pouvoir

Il aurait dû en être ainsi de cette institution dénommée « école nationale d’administration » sous l’acronyme « ENA », laquelle (dé)forme depuis 1945 ce qui s’appelle le « corps des énarques ». L’ENA est supposée former l’élite administrative, donc agissant avec neutralité, et non dans un esprit partisan.

De fait, la politique étant, telle qu’elle s’exprime, une affaire idéologique et donc partisane, les énarques sont censés servir l’état, mais (mettons l’ambiance immédiatement) ils n’oublient surtout pas de se servir au passage.

Ce corps administratif a pris le pouvoir politique en trustant les principales fonctions dites « publiques » : depuis 1958, soit sur 60 années, se sont succédé quatre présidents de la République et huit premiers ministres, tous sortis de cette école. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Consécration suprême dans un système à bout de souffle, puisqu’actuellement les deux têtes de l’exécutif, qui viennent de la gauche et de la droite en s’associant avec le centre, sont issues de l’ENA.

Endroit positif ?

Cette corporation a créé et utilise des structures étatiques sur mesure pour permettre son « pantouflage » sous couvert d’intérêt général. Prenons l’exemple de la fabuleuse juridiction administrative, celle qui permet aux actes des politiciens et des fonctionnaires de s’extraire de la justice de droit commun. Qui sont les juges de cette juridiction ? Une bonne partie est issue du corps des énarques. Ce sont des faits vérifiables.

Mais la légende qui veut que chaque énarque choisisse un camp pour maintenir la mainmise de cette institution sur la totalité des pouvoirs, serait paraît-il, un fake. Ne soyons tout de même pas dupes : être jugé par ses pairs reste une justice forcément très douce, surtout lorsque le fonctionnement même de l’état est aux mains de la même corporation qui assure les promotions des juges. En d’autres lieux, cela s’appellerait un système mafieux.

ENA plus de sous

Si ce corps avait un succès dans les résultats économiques et financiers de l’état français, la remise en question de leur hégémonie au pouvoir ne se poserait pas. Mais vue la dégradation continuelle des comptes et des services administrés par l’état depuis plusieurs décennies, le système étatique n’a plus aucune crédibilité pour espérer remonter la pente économique.

En France, 57% du PIB (même si cet indicateur est très critiquable) est capté par la main très visible de l’état. Plus le temps passe, pire est la dette et pire sont les impôts malgré toutes les promesses. C’est une fuite permanente en avant. Elle masque de plus en plus mal la faillite de ce système institutionnel nommé « Vème république » et la mainmise sur le pouvoir politico-administratif de ce que nous pouvons appeler « l’énarchie ».

ENA plus sa tête ?

Après 1789, pour en finir avec la monarchie, le peuple de France avait notamment décapité le roi. Pour en finir avec l’énarchie, le peuple de France du XXIème siècle devra supprimer l’ENA et le corporatisme qui y est attaché en faisant un grand ménage dans les institutions. Par prise de conscience de cette impasse et pour éviter la violence, des énarques devront balayer devant leur porte en (re)devenant des citoyens qui n’agissent que par leurs vertus et leurs talents, et non parce qu’ils font partie d’une corporation qui asservit les autres.

Les énarques ont transformé cette république en oligarchie. Ce système politique reproduit l’organisation sociale des trois ordres féodaux de l’ancien régime : les nobles se sont transformés en politiciens, les ecclésiastiques en fonctionnaires, et le tiers état en peuple. Chaque ordre a maintenu ses subdivisions et globalement ses prérogatives. Ainsi la haute noblesse se retrouve dans les politiciens nationaux (gouvernement, députés, sénateurs et la flopée de carriéristes étatiques) alors que la petite noblesse se situe dans les collectivités locales. Le haut clergé a cédé la place à la haute fonction publique et le bas clergé a été remplacé par le reste de la fonction publique (nationale, magistrature, parlementaire, territoriale et hospitalière).

A l’instar de tout système mafieux, les parrains ont su mettre en place des hommes de main, issus du peuple, pour contrôler et piller allègrement ce dernier. L’énarchie s’est drapée en une monarchie qui a changé le pouvoir absolu d’une famille royale en pouvoir relatif d’une corporation afin de laisser s’établir entre eux une fausse compétition. Les élections ont ainsi remplacé l’hérédité familiale, laissant penser au peuple qu’il a le choix de changer ses dirigeants et donc la politique conduite.

Démocrassie

Or la réalité est tout autre. L’ENA, par le carriérisme qu’elle engendre, a corrompu le principe de la démocratie : l’électeur n’a aucune chance de faire changer le système. Les politiciens issus de la fonction publique qui perdent les élections retrouvent leur statut dans la fonction publique, ce qui est éminemment moins aléatoire que pour toute personne qui serait issue du privé.

Le pouvoir réel n’est pas dans les mains des politiciens, mais dans celles des hauts fonctionnaires : les politiciens ne sont que des fusibles qui s’auto-réparent et les citoyens sont toujours contraints aux seuls efforts pour payer les deux autres ordres. Nous sommes très loin de la phrase donnée en introduction extraite de la DDHC.

Incongruité institutionnelle

L’ENA et le corporatisme associé sont bel et bien une incongruité institutionnelle qui n’a plus sa place dans une société qui se veut moderne. Certains, et nous n’avons pas de doute sur leur origine, y verront du populisme. Mais les faits sont têtus : le mouvement libertarien ne veut pas le pouvoir mais que celui-ci soit rendu au citoyen en dénonçant les archaïsmes et les peurs qui violent le droit le plus élémentaire qu’a chacun de nous de vivre libre et de contracter avec qui bon lui semble.

Merci chers hommes de l’état de nous démontrer jour après jour que vous avez mis en place le droit de l’état et l’abus de pouvoir induit. Nous préférons l’ordre spontané du droit naturel et de la responsabilité individuelle, seuls garants de la liberté et de l’égalité de chacun devant le Droit … « selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » !

 

Bellegarrigue