A Ciel Ouvert

Même imparfaite, la libéralisation du transport aérien en Europe est une réussite, elle a radicalement transformé la nature même du secteur dans son ensemble. Cependant, l’architecture du ciel, le contrôle du trafic et la gestion des flux aériens demeurent largement régis par des principes inter-gouvernementaux alors qu’il existe des exemples de privatisation totale ou partielle pour un marché comparable qui surpassent l’Europe en efficacité et en qualité de service. L’Europe devra, à terme, suivre la même voie.

Le transport aérien est un domaine stratégique organisé sur la base des principes généraux de la souveraineté des États dont les frontières au sol se prolongent dans les airs (un peu à l’image des eaux territoriales pour la navigation maritime). C’est pourquoi les droits de circulation aérienne dépendent principalement d’accords bi- ou multilatéraux entre États ou groupes d’États comme l’Union Européenne (UE), un paradoxe pour une industrie dont le modèle économique repose par définition sur des relations commerciales internationales. Ce n’est qu’au début des années 1980 que les États admirent le principe d’accords baptisés Ciel Ouvert (CO), une nouvelle approche de libéralisation des règles et réglementations encadrant l’industrie aéronautique afin de créer un marché global ouvert, libre et soumis à la concurrence.

Open Sky?

Vers un « Open Sky » ?

Les premiers accords furent signés entre les États-Unis (USA) et plusieurs autres États à la fin des années 1970 et en 1982, leur nombre s’élevait à 22. L’Europe suivit dans les années 1990 et 1992 vit l’entrée en vigueur d’un accord CO entre les Pays-Bas et les USA. Les premiers accords CO multilatéraux furent signés entre les USA et plusieurs États de tous les continents pour enfin aboutir à la signature, en 2008, des accords entre les USA et l’UE. Ces derniers ont permis une croissance soutenue du trafic de l’ordre de 3% et tendant vers 4% à l’horizon 2031. Ceci étant, tous les États ne souscrivent pas à la politique CO. Sur un peu plus de 190 pays totalisant entre eux 2.000 accords bilatéraux, la majorité favorise la sauvegarde des intérêts nationaux aux dépens d’un marché libre.

Une œuvre inachevée

Pourtant, la libéralisation de seulement 320 de ces accords bilatéraux non-CO pourrait induire 24,1 millions d’emplois et générer 490 milliards de dollars (USD) de produit national brut (PNB) supplémentaire … à peu près l’équivalent d’une économie d’un pays comme le Brésil en 2006 ! Une étude réalisée la même année par InterVISTAS-ga confirme que la libéralisation totale et complète du marché entre les USA et le Royaume-Uni entraînerait une augmentation de trafic de l’ordre de 30%, soit près de 120.000 nouveaux emplois et un impact incrémental de 7,8 milliards USD sur le PNB des deux pays. Car il existe une relation causale entre libéralisation et impact économique positif : la libéralisation entraîne a) de nouveaux services, de meilleure qualité ; b) une croissance du trafic ; c) une croissance économique à l’échelle régionale, et : d) une croissance de l’emploi direct, indirect et induit. Ce dernier élément est capital, car les effets catalytiques du développement d’une aviation libéralisée influencent positivement les infrastructures économiques des régions desservies, à la fois localement par l’émergence de nouveaux services et de nouvelles industries et à l’échelle globale par les connections offertes par les routes aériennes. On admet par exemple qu’une croissance de 10% de l’offre de connections induit une croissance de l’ordre de 4% pour les entreprises localisées dans la zone d’achalandage d’un aéroport international.

Ces succès ne doivent cependant pas éclipser le fait que des pans entiers de l’industrie aéronautique ne sont pas encore libéralisés. Un seul exemple : le contrôle aérien est sans doute toujours le plus captif des principes de souveraineté nationale que de libre-marché car le contrôle aérien est aussi le garant de l’intégrité du ciel d’un Etat souverain, intégrité qui comprend l’application de règles spécifiques comme le droit – ou non – de survoler certaines parties de l’espace aérien. En conséquence, en 2015 un nombre important de routes aériennes n’est toujours pas établi selon des critères de capacité, d’efficacité et de performance mais en vertu d’un découpage de l’espace aérien tributaire d’impératifs politiques et de souveraineté.

Comment dès lors envisager une libéralisation totale qui respecterait les impératifs des États ?

Je pense que c’est impossible tant qu’existeront les États-nations dans leurs formes actuelles – la souveraineté est la limite intrinsèque d’un Etat-nation – et que la seule option qui se rapproche d’un marché libre se résume à des relations contractuelles entre l’État et les acteurs économiques privés. Il existe déjà des prestataires de services de navigation aérienne (PSNA – contrôle des aéronefs, météo, gestion des routes, etc.) privés, encore faut-il qu’ils ne soient pas maintenus en situation de monopole dit « naturel » comme c’est encore trop souvent le cas. Quant aux USA, qu’on ne s’y trompe pas : leur PSNA est 100% public et le marché intérieur est largement protégé. On peut envisager une étape intermédiaire en établissant des partenariats public-privé mais en tout état de cause, seule une libéralisation aboutie permet d’obtenir les meilleurs résultats, à l’exemple entre-autres de l’Australie.

En effet, la libéralisation des PSNA australiens dès 1991, en plus du reste du secteur aéronautique, a apporté plus d’efficacité résultant en moins de retards, de coûts opérationnels, et même plus de sécurité aérienne – alors que les opposants à la libéralisation scandant depuis toujours qu’elle affecterait la sécurité ! Les mêmes conclusions s’appliquent à la Nouvelle-Zélande et à l’Allemagne – a contrario, la Suisse a connu des débuts difficiles ayant libéralisé son PSNA … mais sans adopter les méthodes de gestion du privé. L’efficacité et les bénéfices d’un marché libre sont toujours supérieurs à un marché règlementé : libéralisé depuis 1995 entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande (aujourd’hui étendu à d’autres pays) le secteur a généré croissance et emploi et, avec le recul, on peut établir que la croissance a été de 56% supérieure à ce qu’elle aurait été dans un marché non libéralisé, soit en moyenne 1,7 millions de passagers en plus par an, 20.600 emplois et un impact sue le PNB de l’ordre de 726 millions USD.

L’UE, enfin, s’est engagée dans la même voie à partir de 1987 (pour les compagnies aériennes et les aéroports) et de 2001 (pour les PSNA) : c’est l’initiative Ciel Unique qui mériterait à elle seule un billet dédié. Car sur le papier du moins, c’est le projet le plus ambitieux depuis les premières libéralisations du transport de la fin du siècle dernier.

 

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