Libéralisme, vaste programme

Réformer le libéralisme. C’est l’ambition d’un certain Tyler Cowen, telle qu’elle est présentée dans un article récent de Contrepoints. Diantre ! Vaste programme, pour paraphraser un célèbre général, fort peu libéral, qui pourtant connut la gloire par la libéralisation du pays. Réformer une philosophie mature et éprouvée, fruit d’une réflexion remontant à Benjamin Constant, John Locke, voire à Antigone même si l’on remonte à l’antiquité ? Tyler Cowen ne manque pas d’ambition. Ou bien est-ce de repère ?

Pourquoi vouloir réformer le libéralisme ? Parce que le libéralisme serait en crise aux Etats-Unis ! Il se dirige soit du côté de l’alt-right, ce qu’on qualifierait d’extrême droite, soit de celui de liberals qualifiés de « mainstream », n’intéressant plus grand monde. En plus, un problème supposé majeur comme le réchauffement climatique n’aurait pas de réponse chez le libéralisme classique ! Enfin, le libéralisme serait trop doctrinaire pour notre époque.

L’état de la liberté ?

Quelle est la solution, mon général ? Mais l’état, bien sûr, solution à tous les problèmes, et non le problème, comme l’énonçait Bastiat ! Il faudrait s’inscrire dans une « logique sociale-démocrate d’amélioration de l’efficacité de cet état », selon l’article. Comme si l’efficacité avait jamais été la base de la liberté.

L’article donne des exemples de cette pseudo « logique sociale-démocrate d’amélioration de l’efficacité de cet état ». Pêle-mêle, il faudrait plutôt améliorer le système éducatif public avant de le privatiser, et l’état devrait intervenir dans l’infrastructure, la science, le nucléaire, l’espace. Cowen se définit comme un « libéral-progressif » ! Plaît-il ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Soyons sérieux.

On remarque la rhétorique de Cowen, typique des progressistes, ou gauchistes en français. Il assimile d’abord une partie des libéraux à l’alt-right, c’est-à-dire l’extrême droite. C’est le processus de diabolisation classique. Il parvient même à parler du réchauffement climatique, le grand sujet du moment. Cela fait tendance.

libéralisme

De Locke à von Mises… via Smith et Spencer…

Chapelles ?

Mais il oublie au passage le libéralisme. Qu’est-ce que le libéralisme ? Oui, il y a de multiples chapelles chez les libéraux, mais un seul libéralisme, car une seule liberté. Les chapelles convergent toutes vers le même Rome. Le libéralisme, c’est la liberté, et son pendant, la responsabilité. Chacun est responsable et propriétaire de ce qu’il fabrique ou acquiert. Bien sûr, chacun doit respecter de même la liberté d’autrui, ce qui induit le principe de non-agression. Respecter la liberté ne signifie pas absence de critique : chacun a le droit de critiquer autrui, et doit accepter d’être critiqué. Il ne faut pas confondre libéralisme et mœurs libertines ou débridée. La limite est la violence, l’intention de violence.

Le libéralisme est ainsi un humanisme, l’humanisme, dans le sens où il valorise l’être humain, l’individu, considérant que ce dernier est libre et responsable. Ce qui donne une société qui se construit par le bas, selon les actions de chacun, et la coopération entre individus. Le libéralisme n’implique pas la vie sociale, mais la favorise, celle-ci étant souvent indispensable pour atteindre les buts individuels. Le libéralisme permet d’organiser la coopération sociale, en partant du bas.

Partir du haut

Le socialisme s’oppose à l’humanisme. Il souhaite formater l’individu, dans la logique de l’idéologie de l’homme nouveau. Il préconise une société façonnée par le haut, par une élite dirigeante. Comme l’humanisme et le socialisme sont incompatibles, le socialisme et le libéralisme sont incompatibles.

Tout part de là : la liberté de l’être humain. John Locke justifiait la révolte quand le gouvernement ne respectait pas la liberté, et Antigone considérait que même le législateur était soumis à une loi naturelle. Où est cette notion de liberté chez Cowen ? La définit-il, seulement ?

Le principe de liberté, et ses corollaires, responsabilité et non-agression, permettent d’établir des règles pour la vie en société. Notamment pour la problématique du réchauffement climatique. De quoi s’agit-il ? Certains ont émis l’hypothèse que le réchauffement cyclique naturel serait accéléré par l’activité humaine. D’autres contestent cette accélération même, en apportant des preuves scientifiques, d’autres simplement la dangerosité de cette accélération. La réponse libérale existe, et réside dans la propriété et le libre marché. Quoi qu’il en soit, il suffit de convaincre chacun de sa thèse. Que Cowen ignore cela est surprenant pour quelqu’un qui s’affiche libéral.

Parler de liberté

Le libéralisme n’intéresse plus personne ? Evidemment, si on ne parle pas du libéralisme, ni de liberté, aux gens, ils ne peuvent pas faire le lien avec leurs préoccupations. Prenons le cas de l’éducation, puisque Cowen en parle. La remise en question de l’éducation nationale aux USA vient de son inefficacité. La privatisation est présentée comme un moyen de l’améliorer, et pas seulement par les libéraux. Il y a ainsi un mouvement vers le homeschooling, ce qu’on peut traduire par l’école à la maison. Les enfants aussi peuvent fréquenter quelques jours par semaine un établissement totalement privé. Une étude du Cato Institute montre que toutes les couches de population recourent au homeschooling, même si à l’origine c’était les hippies gauchistes qui ont lancé le mouvement.

C’est donc un sujet de société qui intéresse largement la population. Le président Trump en a d’ailleurs parlé dans son discours sur l’état de L’Union, prônant une politique en faveur de la liberté de choix dans l’éducation. Les libéraux proposent leurs solutions. Les anarcho-capitalistes sont partisans de la privatisation totale, des fondations assurant le financement de l’éducation pour ceux qui n’en ont pas les moyens. Sachant que l’éducation privée coûte généralement moins cher que l’éducation publique.

propriété

La propriété privée, base de la civilisation et de la paix.

Légitime défense

Comme autre préoccupation libérale, on peut citer le combat pour la légitime défense aux USA. Certains comtés de Virginie menacent de faire sécession, et de rallier la Virginie Occidentale, en raison des lois contre les armes qui restreignent le droit à la légitime défense en Virginie. Ce combat pour la légitime défense concerne en réalité tous les USA.

Évidemment, le choix de l’éducation, la légitime défense, sont des thèmes combattus par les progressistes dont Cowen se revendique. Les progressistes qualifient ces thèmes d’extrême droite. Et peut-être que le simple fait que Trump défende le libre choix en matière d’éducation soit rédhibitoire pour Cowen, comme pour les progressistes.

Il y a d’autres thèmes libéraux qui intéressent la population des USA, qui ne se doute pas que ce sont des thèmes libéraux. Par exemple, en Californie, une loi, baptisée AB5, restreint la possibilité de travailler en freelance. C’est une restriction à la liberté de travailler, chère aux libéraux. Ou encore, les inquiétudes sur la censure du net, par le gouvernement US, ou par les GAFA eux-mêmes.

Mais comment voudrait-on que les gens s’aperçoivent que ce sont des thèmes libéraux si les libéraux ne le leur disent pas ? Le problème, ce n’est pas que les gens ne s’intéressent pas au libéralisme, c’est que les libéraux ne leur expliquent pas ce qu’est le libéralisme, ne leur montrent pas qu’il répond à leurs aspirations. C’est aussi un problème de diffusion, les médias s’intéressant peu au libéralisme. Ce n’est pas en dénaturant le libéralisme que le problème va s’arranger.

Déporte-voix ?

On peut penser que Cowen lorgne vers la politique avec son projet de libéral-socio-démocratie. Effectivement, la politique est le domaine des compromis et des mélanges. C’est pourquoi il y a d’un côté les think-tanks, et de l’autre les partis politiques. On peut chercher à influencer les partis politiques. Si on se lance en politique, on peut faire des mélanges. Mais cela n’implique pas de changer de fond en comble le libéralisme, pour en faire autre chose.

Certes, l’article de Contrepoints souligne que la sphère libérale des USA a réagi défavorablement envers Cowen. Mais il conclut en disant : « Si le manifeste de Tyler Cowen ne représente pas une direction viable pour le futur du mouvement, il a eu le mérite de démarrer un débat sur les alternatives possibles. »

Le mot alternative est un vrai scandale chez un organe qui se veut en ce pays le porte-voix du libéralisme. Si un socialiste veut faire autre chose que du libéralisme, qu’il emploie un autre nom. Et surtout que ceux qui sont libéraux ne tombent pas dans son piège. Utiliser le terme libéralisme pour autre chose que du libéralisme ne fait qu’ajouter à la confusion. Il ne faut alors plus s’étonner que les libéraux s’étiolent et ne savent plus qu’ils sont le vrai « camp du bien ».

Artois