La classe de l’oncle Thomas
Thomas Sowell n’est pas seulement un économiste de renom, il est noir. Vous me direz : c’est son droit, on s’en fout un peu, d’autant plus d’ailleurs qu’il n’a pas choisi, lui, d’être noir pour bénéficier de passe-droits et prétendre mener une lutte largement fantasmée. Thomas Sowell est un peu comme votre serviteur, il sait que le libéralisme ne se réduit pas à l’économie de prime abord, il observe et étudie les sociétés des hommes et s’est engagé dans l’enseignement depuis le début des années 1960 (oui : Thomas Sowell est vieux !) Thomas Sowell est un homme précieux : c’est un philosophe, bien qu’en France on l’ait définitivement et irrémédiablement désigné comme « économiste libéral », ce qui n’est pas simplement une réduction hasardeuse mais une accusation politique.
Thomas Sowell représente tout ce que le Camp du Bien© déteste : noir libre et libéral, économiste de l’École de Chicago, Thomas Sowell n’aime pas Chomsky et cumule bien d’autres tares encore selon les déficients et du coup, Thomas Sowell m’est très sympathique. En effet, s’il est vrai qu’un enfant de 7 ans est en mesure de démonter les arguments politiques de Noam Chomsky, Thomas Sowell lui a poussé l’analyse et la critique des galimatias de Chomsky à un point de non-retour. Les adeptes du Camp du Bien© le réfutent, bien entendu, mais ceux-là sont moins intelligents qu’un enfant de 7 ans et je vous propose de ne pas nous attarder sur leurs délires et de considérer une fois pour toutes que si la vieillesse peut être un naufrage, il existe bel et bien de jeunes vieux : Chomsky était déjà vieux il y a 40 ans.
Pour Thomas Sowell comme pour votre serviteur, Chomsky est une figure publique qui se complaît en-dehors de son domaine de compétence en assénant des discours qui ne portent que parce qu’ils sont en phase avec les attentes de la gauche. En ce sens, Chomsky applique très consciencieusement une approche de marché, proposant un produit à des consommateurs avides et totalement subjugués – probablement plus atteints encore que les adeptes des produits à la Pomme, mais comparaison n’est pas raison. Au sujet de la déconstruction de Chomsky, je conseille l’excellent « Intellectuals and Society » (Thomas Sowell, publié en Anglais en 2010 chez Basic Books) et je me permets de m’appuyer sur ce très bon bouquin pour réaffirmer ici mon mépris le plus profond pour les intellectuels de cour qui sont à l’esprit ce que les journalistes de révérence, dont je parlais dans mon précédent billet, sont à l’intelligence : une insulte !
En conséquence de quoi il m’est apparu judicieux de rédiger un billet plus grave que d’habitude.
Privilèges de discrimination
Je me suis permis de faire ce petit détour par Chomsky car je voudrais en réalité vous entretenir de ceci : avez-vous comme moi remarqué que les politiques collectivistes, de gauche comme de droite, finissent toutes invariablement à créer des sociétés de classes, de privilèges et en définitive d’inégalités ? Je parle naturellement de l’inégalité devant la loi, la seule qui vaille qu’on s’y attarde ; bien sûr, des inégalités de richesse se créent tout aussi mécaniquement puisque leurs lubies redistributives finissent toujours par enrichir exclusivement les clients et leurs patrons (au sens romain du terme, hein !) tout en détruisant de la richesse au passage.
Le premier exemple qui me vienne à l’esprit est celui des effets pervers des politiques de quotas dits de discrimination positive. Ceux-ci favorisant l’ethnie qui a la chance d’être en odeur de sainteté, ils engendrent toujours un handicap au détriment des compétences des individus. En France, les statistiques ethniques sont interdites mais ce n’est pas le cas partout dans le monde et pour ne prendre qu’un seul exemple, aux États-Unis il sera toujours possible pour l’observateur extérieur de disposer de données relativement fiables sur la composition ethnique d’une population. L’avantage considérable de données statistiques est de suivre au cours de l’histoire le brassage ethnique de la nation américaine et de comparer les périodes avec ou sans politiques de discrimination positive (ces dernières ne portant pas obligatoirement sur l’ethnie, comme nous le verrons tout à l’heure).
Je laisserai bien entendu les discours sur ces statistiques aux experts, mon propos est tout autre : à partir du moment où l’on envisage une discrimination, on crée un privilège ! Sous prétexte d’égalité ou de volontarisme politique (entendez : constructivisme) on édicte des lois qui confèrent des droits à certaines catégories d’individus et ce, tout à fait indépendamment de leurs aspirations, de leurs compétences et de leurs ambitions. En d’autres termes : bienvenue sous l’Ancien Régime !
Genre de régime ?
Je veux que vous compreniez bien la portée de ce qui précède : comme sous l’Ancien Régime, le statut de l’individu n’est pas le même selon que l’on considère qu’il possède ou fait valoir une caractéristique qui lui aura été conférée par la naissance ou, plus rarement, par l’adoubement. Au bout du compte, on observe que le concept même d’identité devient mutatis mutandis un fait essentiellement construit et prescrit puisque sanctionné par la loi selon les humeurs du moment, un fait qui s’inscrit dans un cadre juridique spécifique dont peuvent se prévaloir les individus qui y appartiennent.
Droit des minorités, droits des homosexuels, des plantes et des animaux, droits des politiciens exerçant un mandat, droit des tortues de mer amatrices de Single Malt etc. tout concourt à pérennisation d’une société d’Ancien Régime, fondée sur des États auxquels on appartient en général par la naissance, organisés différemment selon les doctrines y afférant et régies par un droit à chaque fois hermétique. Il y a bien quelques difficultés supplémentaires posées par les tortues noires et homosexuelles, mais tant qu’elles apprécient le Single Malt, moi ça me convient.
Mais le pire reste à venir car à partir du moment où des droits particuliers découlent d’une identité assignée par la loi, l’expression et la défense des objectifs personnels voire des intérêts collectifs d’une libre association d’individus se retrouve subordonnée à l’État de naissance. Jadis c’était assez simple : noblesse, clergé et tiers-État étaient les seules identités possibles et la mobilité entre ces identités était quasiment impossible. Car n’oublions pas que d’un point de vue libéral, la variable essentielle est la libre association des individus dans la perspective de défendre leurs intérêts. Et cette liberté suppose celle de choisir ses affiliations et la possibilité d’en changer.
Or comment ne plus être noir ? petit ? aveugle ? tortue ? Et comment considérer les identités dites fluides puisque par définition elles n’existent que dans l’esprit, passablement dérangé, de personnages qui seraient simplement cocasses et carnavalesques si elles n’entendaient pas imposer à tous leurs psychoses ? Dans ces cas, l’identité ainsi que l’appartenance à un groupe et par conséquent la capacité à se prévaloir de tel ou tel droit elle est automatique. La difficulté de changer les données de sa propre identité, en l’occurrence d’un critère dominant de celle-ci comme le sexe ou la couleur de peau, conduit à figer les individus compatibles et à exclure les individus incompatibles. L’affirmation identitaire – et j’insiste : réelle ou fantasmée ! – cristallise les différences entre des groupes d’individus aux critères communs, avec en fin de compte un pluralisme de groupes constitués sur une base identitaire qui s’oppose, implacablement, au pluralisme des individus.
Genre d’arbitraire
Ce qui nous ramène à mon cher Thomas Sowell, qui a énoncé une vérité absolue qui se résume à peu près ainsi :
« Si vous croyez en légalité devant la loi, comment défendre les droits des femmes, les droits des homosexuels, etc ? Soit nos lois sont universelles et ces ‘droits’ sont redondants, soit nos lois sont spécifiques à tel ou tel groupe social et alors ces ‘droits’ sont en violation flagrante avec le principe d’égalité absolue de tous devant la loi. »
Défendre des droits spécifiques pour des groupes sociaux spécifiques n’est pas seulement une aberration pour tout ami de la liberté, c’est aussi une insulte à l’intelligence et un signe patent de régression (vous me direz : à partir du moment où la décroissance est à l’ordre du jour …). Dans le Camp du Bien© on ne voit pas le problème, puisque cette construction respecte la doctrine.
Dans l’esprit d’un enfant de 7 ans, c’est une abomination, car décréter l’appartenance identitaire à des groupes selon des critères subjectifs tout en prétendant réaliser l’égalité de tous revient à graver dans le marbre de la loi que certains seront plus égaux que d’autres. C’est sciemment ignorer et réfuter la multiplicité des individus (songez au « moi » freudien …) et lorsque les normes sociales devenues lois proposent de casser cette multiplicité dans le droit, alors la querelle identitaire se transforme en bataille politique et étend ses tentacules hideux dans monde éducatif, la médecine, la justice, et même la science (songez aux filières académiques Études de genre …)
He did Sowell
Dans une société libre, libérale voire libertarienne, tout ceci serait tout bonnement impossible dans la mesure où le droit positif s’en trouve banni. Dois-je rappeler que le libéralisme est d’abord et avant tout « un ensemble de courants de philosophie politique visant à faire reconnaître la primauté des principes de liberté et de responsabilité individuelle sur l’autorité du souverain » ? Dois-je aussi insister sur le fait, intangible et objectif, que le droit n’est pas la loi et que la loi ne saurait exister que pour préciser le droit naturel ? Dois-je rappeler, enfin, que chaque fois qu’un imbécile me sort que ces principes sont garantis par l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, il me vient des envies de meurtres ?
Cet article dit très exactement ceci : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Et c’est bien sur la deuxième partie de l’article que se fondent les constructivistes liberticides pour nous imposer leurs fantasmes nés d’esprits malades. Ils définissent cette « utilité commune » comme bon leur semble, il n’y a rien de commun entre moi qui m’énerve et un gentil transgenre caucasien non-binaire fluide s’identifiant à une africaine – en fait il n’y a rien de commun entre cet individu et le reste de l’humanité, si ce n’est peut-être une propension à la psychopathie.
Les hommes de l’État ont recréé des États et ce faisant, ils nous ont ramené à l’Ancien Régime ! Ils achèvent de saucissonner les sociétés des hommes au gré de lubies et imposent en définitive la pire des inégalités que l’on puisse envisager. Et encore ne vous ai-je entretenu que d’un seul aspect des choses, car j’avais envie de rendre hommage à Thomas Sowell, mais il reste encore à parler du retour de l’octroi, de la gabelle, d’une version moderne de la mainmorte, j’en passe et des meilleures !
Croyez-vous vraiment que tout ce qui précède rendra la vie meilleure, y compris celle des bénéficiaires de ces largesses déclarées, pour le moment, nécessaires et vitales ? Je sais bien que la majorité de mes contemporains ne peuvent envisager une société sans État, mais j’ose espérer qu’il leur reste un peu de jugeote afin de bien saisir la portée de la régression en cours car à défaut, l’avenir m’apparaît bien sombre. Retenez qu’en Anglais, le Moyen-âge se dit : « Dark Ages », les âges sombres.
Nord