Paradoxe de la démocratie

Même si l’on souligne les vices ou les vertus de la démocratie, ce régime politique n’est pas la liberté. Comme le rappelle A. de Tocqueville, la démocratie peut être aussi tyrannique qu’une dictature une fois que les électeurs et leurs représentants décident de taxer, exproprier, réglementer à tort et à travers.

La démocratie est une méthode pour choisir ceux qui vont avoir le droit de contrôler le monopole de la coercition. Elle ne détermine pas la moralité de ceux qui nous gouvernent ni celle des décisions qu’ils vont prendre. Au mieux, la démocratie signifie que le gouvernement bénéficie d’un soutien populaire. Mais ce soutien ne garantit en rien que ce gouvernement protège les libertés individuelles.

Si les électeurs soutiennent la liberté de la presse, de la parole, de la religion, d’entreprendre sans être taxé ou réglementé, de consommer du tabac ou de la drogue, etc., alors le gouvernement élu respectera sans doute ces libertés. Mais si les électeurs désirent une redistribution des revenus, la spoliation des riches, l’expulsion des étrangers, la conscription des jeunes, la censure sur les idées qui dérangent, la lutte contre les sectes, l’interdiction de fumer ou de consommer de la drogue, un gouvernement démocratiquement élu cherchera à satisfaire ces désirs.

En raison de la définition même de la démocratie, une majorité d’électeurs ne peut voter la fin de la démocratie. On ne peut pas sortir de la démocratie. Comme le fait remarquer M. Rothbard, [1] il y a une contradiction intrinsèque, à laquelle on ne peut échapper si l’on conçoit la démocratie comme une participation à des décisions collectives prises à la majorité, entre le principe de la majorité et cette contrainte latérale interdisant de voter la fin de la démocratie. Si une majorité d’électeurs votent la fin de la démocratie pour adopter un régime dictatorial ou monarchique ou un régime politique sans État (gouvernements privés et contractuels locaux), il y a un consentement majoritaire pour adopter cet autre régime. Mais si l’on interdit de mettre fin à ce régime politique par un processus majoritaire, est-on encore dans un régime démocratique au sens du « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » ?

Démocratie

« Peu importe au démocrate quelles lois sont votées, la paix ou la guerre, la torture des suspects, la censure des idées, ou l’âge du permis de conduire. Pourvu que la procédure soit respectée, par le soutien d’une majorité, la décision est légitime. Elle incarne prétendument la volonté générale. Elle s’impose à tous. »

La démocratie n’est pas la liberté

Pour comprendre pourquoi la démocratie n’est pas la liberté, il faut faire la distinction entre les droits électoraux et les droits individuels. Les droits électoraux (droit de vote) sont des droits de participer à des élections permettant de décider qui a le droit de gouverner. Ils n’ont jamais garanti que les gouvernants respecteront les libertés individuelles, comme l’histoire politique et la démocratie contemporaine le démontrent amplement. C’est normalement le rôle d’un contrat ou d’une constitution que de limiter le pouvoir des gouvernants. Les élus ont pour seul rôle de préserver, pour chaque individu, le droit de vivre, de parler et d’écrire librement, de voyager, de suivre la religion qu’il désire, d’élever ses enfants comme il le pense, de posséder une entreprise et de la gérer comme il l’entend, de se défendre lui-même contre toute oppression y compris celle des élus.

C’est pour cette seule raison que sont institués des États parmi les hommes. On retrouve cette thèse parmi les constituants aux États-Unis et en France, qui se défiaient beaucoup de la démocratie majoritaire. L’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme du préambule de notre constitution et la Déclaration d’indépendance américaine de 1776 expriment très bien cette vision :

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels imprescriptibles de l’homme ; ces droits sont la liberté, la propriété et la résistance à l’oppression. »

« Nous tenons les vérités suivantes pour évidentes en elles-mêmes : que tous les hommes sont créés égaux ; qu’ils sont dotés par le Créateur de certains droits inaliénables et que parmi ces Droits figurent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Que pour assurer ces Droits, les États sont institués parmi les hommes, et que la légitimité de leur pouvoir émane du consentement des gouvernés. Que chaque fois qu’une forme de gouvernement devient destructrice de ces fins, c’est le Droit des gens que de le remplacer ou de l’abolir.« 

Il est impressionnant de voir combien, aujourd’hui, ces deux articles sont bafoués par ceux qui nous gouvernent. Pire, ils ne sont même pas invoqués par les citoyens pour limiter l’expansion du pouvoir et sa concentration dans les mains d’une petite oligarchie tant leur esprit de résistance a été annihilé par la propagande étatique qui nous assène constamment que les élus et les hommes d’État agissent pour notre bien.

 

Bertrand Lemennicier, in « La morale face à l’économie »

[1] Rothbard M. 1970, Power and Market, Kansas City, Sheed Andrews and McMeel, Inc.