Privilège : la légalité vs la légitimité
« On n’est pas libre par des privilèges, mais par les droits de Citoyen : droits qui appartiennent à tous. »
Cette citation de l’abbé Séyès (« Essai sur les privilèges », 1788) signifie tout simplement que les législations nationales actuelles n’ont pas de légitimité : la légalité prononcée par une majorité ne fonde jamais la légitimité. Le droit positif, par sa tendance à introduire et renforcer des privilèges de toute nature à des sous-ensembles de la population par des distributions de droits légaux, néglige les droits légitimes au sens de la citation et bannit la Liberté.
Il n’appartient légitimement au Citoyen que ce que la nature des choses lui accorde : le droit d’être et non le droit d’avoir au détriment d’autrui qui est accordé par une législation que les politiciens utilisent abusivement. Le droit (commun à tous, sans exclusion de lieu géographique ou d’époque) devrait se limiter à interdire l’abus de pouvoir sous toutes ses formes, à commencer par celui des pouvoirs institutionnels.
Il va sans dire que nous en sommes loin, pardon, nous en sommes très, très loin ! Ce qui veut dire que le stade d’évolution de notre société humaine, expression souvent complétée par les termes « civilisée » ou « développée », reste précisément encore à civiliser et à développer.
Ainsi lorsqu’un citoyen (ou par extension un groupe de citoyens) acquiert des privilèges par la légalité contraire au droit commun défini ci-avant, nous sortons du droit tout court. En conséquence de cette oppression, les autres citoyens ont toute légitimité à refuser ce privilège qui s’exerce au détriment de leurs propres droits. L’exercice du moindre privilège est un intérêt qui s’oppose à l’intérêt général qui est justement de ne voir personne disposer d’un privilège, l’attribution du privilège rompant la symétrie des droits légitimes.
La question de la représentation
À ce stade, on peut s’interroger sur la pertinence qu’il y aurait à accorder à un citoyen disposant d’un privilège le pouvoir de représenter le peuple où à voter pour un représentant du peuple, sans avoir une arrière-pensée quant au maintien ou au renforcement de ce privilège par de nouvelles lois constructivistes.
Revenons maintenant à ce que devrait être l’objet exclusif de la Loi : c’est sans contestation possible qu’il ne soit pas porté atteinte à la liberté ou à la propriété de quiconque. Les lois ne doivent pas être faites, comme c’est malheureusement le cas, pour satisfaire l’opinion public du moment ou pour occuper une armée de bureaucrates en mal de justification de leurs fonctions. Celles qui n’ont pour effet que d’entraver la liberté des citoyens, sont contraires à la fin de toute association, et donc de vie sociale stable et pérenne. Il y a donc urgence à les abolir afin de supprimer tout privilège collectif et à faire de sorte que la légalité respecte la légitimité des droits individuels.
Aussi, dans la civilisation humaine, il est une loi mère d’où toutes les autres doivent découler : « ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’autrui te fasse” ». De l’application de cette loi naturelle, doivent découler toutes les autres lois : celles qui peuvent empêcher qu’on ne fasse du tort à autrui, sont bonnes et celles qui ne servent pas ce but sont mauvaises. Car, outre l’entrave de la liberté, elles ont tendance à annihiler ou à rejeter les bonnes lois.
Mais ceci ne doit pas être le prétexte à produire des lois par des professionnels de la politique, ou indirectement par la bureaucratie, qui sont des corps constitués ayant des intérêts particuliers. Ils appartiennent à une caste, et nous avons vu plus avant que pour appartenir au peuple, il ne faut être entaché d’aucun privilège de toute nature. Les élus de la politique et les fonctionnaires, sont-ils prêts à abandonner tous les privilèges qu’ils se sont octroyés au détriment du peuple pour réintégrer le peuple ?
1789 : une révolution qui n’a rien révolutionné !
Ainsi loin d’avoir disparu, les trois ordres de l’ancien régime se sont juste transformés. La noblesse s’est adaptée au fonctionnement républicain et démocratique à travers l’ensemble de la caste des élus (politiciens et syndicalistes). Le clergé, petites mains de la noblesse, se retrouve très largement dans la fonction publique, exécutrice des basses oeuvres des élus. Le principe de fonctionnement de la république n’est donc guère différent de celui de l’ancien régime. Bizarre d’avoir coupé la tête d’un monarque héréditaire pour l’avoir remplacer par un monarque-fusible. Bizarre d’avoir fait la révolution pour supprimer des privilèges héréditaires et les avoir remplacés par des privilèges légaux pompeusement nommés « droits acquis ».
La république française (et elle n’est pas la seule) possède ainsi la prétention d’établir qu’un seul individu puisse avoir la procuration de tous les citoyens et qu’il puisse représenter toutes les formes de pensées qui se trouve dans le peuple. Ne nous étonnons pas des conséquences absurdes qui secouent périodiquement la société française : tant qu’elle restera sur ce principe qui conduit au monopole d’un exécutif avec un législatif qui produisent des privilèges, le déclin se poursuivra. Car un privilège dispense d’effort celui qui l’obtient, et décourage les autres qui ne peuvent jouir pleinement du produit de leurs efforts. Ce qui va à l’encontre de l’intérêt commun.
Accorder par des élections un monopole gouvernemental à des élus partisans est plus que suspicieux : ils sont enclins à favoriser les intérêts particuliers de ceux dont ils se réclament et non l’intérêt de tous, ou autrement dit « l’intérêt général ». Qui d’ailleurs a osé définir dans la loi ce qu’est l’intérêt commun auxquels tous prétendent se référer lorsqu’il s’agit d’imposer un projet qui n’est en réalité que pour satisfaire des intérêts particuliers drainant un nombre conséquent d’électeurs ? Ne serait-ce pas la priorité à délimiter dans la législation avant d’autoriser un pouvoir de représentation à s’exercer ?
A fortiori lorsqu’il est attribué à des individus qui ne vous représentent pas ni au sein d’un pouvoir exécutif ni au sein d’une assemblée législative. Au moment de la révolution française, les deux premiers ordres (noblesse et clergé) ont su trouver des astuces pour se prétendre représenter le tiers état afin de maintenir leurs propres privilèges envers le peuple.
Nous en revenons donc toujours à la même chose : la conquête du pouvoir dans une société hiérarchisée conduit systématiquement à l’abus de pouvoir pour s’attribuer des privilèges et distribuer des prébendes à la caste à laquelle on appartient et des subsides aux autres pour se montrer « bon joueur ». En démocratie, les contre-pouvoirs ne sont que des artefacts dont le seul objet est de manipuler les masses ignorantes qui s’imaginent prendre leur revanche lorsqu’elles ont le sentiment d’avoir amené au pouvoir « des gens qui leur ressemblent ». Quelle désillusion !
Une seule réponse : abolir, toujours abolir
Car que font de nouveaux gouvernants qui disposent de la capacité à modifier les lois, mais aussi et surtout d’user de leur position sur des organisation sans avoir la contrainte de la loi ? D’abord à s’attribuer des privilèges, toujours et encore. Puis à se sécuriser vis à vis des institutions en réduisant le pouvoir des oppositions, mais aussi sur le plan économique en se distribuant rapidement la masse fiscale existante et prenant les dispositions pour améliorer le sort de son camp électoral, ou tout au moins faire illusion à ce niveau.
Quand un principe est mauvais, on en change. Il ne manquera pas à certains esprits chagrins mais limités de dire qu’une bonne dictature est une solution au remplacement de la démocratie et de la république. Là encore, nous nous heurtons à un problème de définition.
Invitons-les à réfléchir à comment dépasser la démocratie, mais aussi, comme exprimé ci-avant, à interdire toute forme de monopole gouvernemental, en mettant de la concurrence dans le pouvoir exécutif en l’inscrivant dans une ratification du droit commun, exclusivement issu lui-même du droit naturel.
Il y a urgence que le peuple comprenne que l’intérêt commun ne peut être confondu avec l’âpreté fiscale à laquelle s’adonnent les gouvernements monopolistiques.
Sortons de toutes les guerres d’opposition, car nous aurons beau essayer de faire tout ce que nous pouvons imaginer, la réponse ne se trouvera jamais dans la différence des professions, des fortunes ou des idéologies qui divisent les hommes. La réponse, vous pourrez toujours la trouver dans celle des intérêts. Et il n’existe que deux intérêts : celui des privilégiés, et celui des non privilégiés.
Abolissons le premier et l’harmonie dans la société des hommes suivra. Pas une utopie, du réalisme et du courage politique. Pas les qualités premières des carriéristes politiques accompagnés de leur armée de fonctionnaires, qui sont les vrais ennemis de la Liberté. Ils sont là les premiers privilèges à faire disparaître si le mot Liberté a encore un sens.
Bellegarrigue