Absconse dans l’tas
Comme je vous le décrivais dans un précédent billet, je suis un éternel étudiant de la chose humaine et l’angle qui me paraît le plus intéressant, le plus angoissant aussi, est celui de la psychologie et de la psychanalyse. Il en découle fort logiquement un style et une expression qu’on m’affirme difficiles d’accès, flirtant avec les limites du besoin d’initiation, et dans certains cas abscons.
Peut m’en chaut naturellement et je ne vais pas castrer mon intellect pour si peu, vous ne m’excuserez pas et je continuerai à emprunter les chemins de traverses pour vous narrer les résultats de mes cogitations complexes – ce n’est pas ma faute si tout le monde n’a pas un QI à 3 chiffres, merde, quoi ! Vous savez, il n’y a là rien d’inaccessible, il suffit de lire, d’étudier, de demander, il suffit finalement de faire fonctionner son esprit, sa cervelle, sa matière grise. Certains s’intéressent à la matière, d’autres à l’espace, moi je m’intéresse à l’homme dans une démarche objectiviste ayant pour objectif de comprendre le complexe sujet humain.
Il n’y a aucune différence entre le mathématicien et votre serviteur : tous les deux, nous nous appuyons sur la somme des connaissances léguée par nos prédécesseurs bien que les écueils soient à mon sens plus nombreux dans mon domaine de prédilection, et il se peut que je vous en parle dans un prochain billet. Pour faire simple, je fais de la praxéologie dont l’objectivisme est l’outil qui me permet de repérer et d’éviter ces écueils et surtout – surtout ! – de ne pas me vautrer dans la gangue doctrinaire qui engonce l’immense majorité de mes frères en science humaine.
Tous egos
Cette longue introduction en forme de mise au point m’amène au sujet dont je voudrais vous entretenir aujourd’hui. Un ami m’entretenait récemment de l’importance de l’objectivité sur le sujet de l’égalité, argumentant aussi bien qu’il pensait mal – vous voyez bien que la psychologie … bref ! – en insistant plutôt lourdement sur le rôle décisif joué par le capital dans la paupérisation de nos sociétés européennes, encore globalement occidentales.
Moi, vous me connaissez ! Pas chafouin pour un centime (ou pour un bouton de culotte, ça a à peu près la même valeur), je laisse faire, j’encourage, je motive, je tends des perches afin de voir jusqu’où il sera possible de s’enfoncer dans la bêtise la plus convenue. Car il est évident que ce n’était pas le discours du camarade qui avait éveillé mon intérêt, mais bien la démarche intellectuelle qui, des prémisses aux conclusions, était en réalité un délicieux florilège de subjectivité ancré dans la plus solide des certitudes doctrinaires dont je me propose de vous entretenir dans ce billet.
Autant le dire tout de suite : il m’apparaît absolument idiot d’envisager ne fut-ce qu’un instant que la pauvreté ou du moins le processus général aboutissant à une paupérisation soit une conséquence directe et mécanique d’un système socio-économique fondé peu ou prou sur le capitalisme. Il existe sans aucun doute des sociétés humaines complètement égalitaires, mais il faut aimer vivre à poil dans la forêt tropicale et se taper du rat au petit-déjeuner – c’est un peu chaud, le rat au petit-déjeuner !
Tous égaux, oui, mais égaux dans la pauvreté, la précarité et la célébration fraternelle et festive d’une espérance de vie qui ne dépasse que rarement 40 ans et sans doute un peu moins pour les femmes qui accouchent dans des conditions sanitaires tellement déplorables que les bobos les encensent. C’est comme ça, c’est observé, étudié, prouvé, fermez le ban.
Mais pour le camarade, il est indéniable que la pauvreté est le plus grand défi de notre temps, que l’écart entre les riches et les pauvres se creuse et que Le capitalisme est destiné à garantir leurs positions aux riches et puissants tout en maintenant l’immense majorité des individus dans une misère noire, faite de petits boulots mal payés, de chômage et de précarité en renforçant chaque jour des pratiques commerciales déloyales, un accès inégal aux ressources et le contrôle sur des systèmes éducatifs et financiers nécessaire. Salauds de riches, donc, et jusqu’ici vous n’avez encore rien lu de bien nouveau – mais restez un peu, vous allez voir que la tournure n’est pas piquée des hannetons.
Pain dans l’Emile
Car au-delà de ces affirmations économiquement consternantes vient le discours sociologique qui s’articule essentiellement autour d’un paradigme très simple : le pauvre est une créature du capitalisme et le prolétaire opprimé de Zola s’appelle aujourd’hui Benoît (le prénom a été changé) et sa famille est originaire du Bled. Il habite une banlieue abominable dont la conception même contribue à la pérennisation d’un problème social inventé de toutes pièces pour faciliter la tâche aux capitalistes précités. Ces banlieues-dortoir sont le réceptacle de la plupart des maux de la société, sont le théâtre de violences diverses, symbolisent la concentration des phénomènes de l’exclusion et cristallisent les peurs face à l’insécurité.
En baptisant le tout « quartiers » apparaît une part de mythe fondée sur des représentations collectives qui structure définitivement ce mal profond. C’est utile les mots-tiroir, c’est pratique aussi et il faut bien comprendre qu’il s’agit d’une construction arbitraire et non d’une réalité objective, ou alors cette dernière est tout simplement dévoyée. Car si le mot « quartier » est absolument exempt de toute connotation sociologique – et le demeure pour tout individu sain d’esprit – il se trouve créé un rapport à la réalité dont le contenu et le contenant n’ont plus qu’un semblant de cohérence sémantique.
Jadis on parlait de « la zone » et aujourd’hui des « quartiers ». Entre nous, voici un élément qui permet d’affirmer sans prendre de gros risques que tous les camarades du monde se le mettent bien profond dans le globe oculaire en parlant de phénomène récent mais je dis cela en passant, sans le moindre de déclencher une réflexion. Car il est dit une fois pour toutes que la pauvreté et sa matérialisation spatiale sont des produits du capitalisme, c’est comme ça, point-barre et peu importe s’il y avait des pauvres à Rome dans l’antiquité : c’est aussi la faute au capitalisme. On est donc en droit de se demander si le camarade a un rapport très sain à la réalité. Suivez bien, vous allez comprendre.
Changer l’avis
S’il existe bel et bien des inégalités dans tout groupe social humain, ce qui est intéressant dans le discours du camarade, c’est à la fois l’instrumentalisation du fait et la perversion des mots. Le fait de pauvreté est utile au camarade et au besoin il faudra (re-)créer ce fait ; les mots lui sont utiles aussi mais malheureusement ils ont une charge sémantique et il conviendra dès lors de les redéfinir. On se demande de quel droit, d’ailleurs, puisque l’élève qui utiliserait un mot pour un autre se verrait gratifier d’une mauvaise note, alors que le camarade peut très bien et sans crainte utiliser n’importe quel mot dans n’importe quel contexte puisqu’il tord toujours la réalité pour qu’elle « colle » à sa grille de lecture.
En ce qui concerne la pauvreté comme pour le reste, le camarade est psychotique car toute idéologie égalitaire — séduisante à bien des égards —se manifeste par un rejet pathologique des différences qualitatives entre les individus, percevant la moindre parcelle comme de la discrimination. Je n’invente rien : le lien entre psychanalyse et histoire a déjà été abordé par Max Weber et prend corps dans sa célèbre expression « esprit du capitalisme » (in. « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme », 1905) et une psychose est un terme générique désignant un trouble ou une condition anormale de l’esprit, évoquant le plus souvent une perte de contact avec la réalité. Et autant on distingue bien les névroses (angoisse, phobique, obsessionnelle, hystérie) des psychoses (schizophrénie, paranoïa), autant dans les deux cas on voit bien le camarade dérape totalement de la réalité.
À l’inverse, si la réalité est bien perçue mais ne correspond pas au schéma que le camarade peut interpréter comme « bon » ou « conforme, » il voudra changer la réalité et il ne le voudra pas comme le bienveillant professeur de la chanson de Jean-Jacques Goldman, pour « changer la vie, » il le voudra pour modifier profondément la société quitte pour cela à prendre des libertés à la fois avec l’esprit et la liberté des individus. Et puisque qu’il faut que tout change pour que rien ne change, le camarade prônera la révolution – je sais : je me répète, mais il le faut bien car j’ai parfois des lecteurs occasionnels.
Maître Capilotracté
Mais à ce stade ne notre réflexion, retenons que le camarade est névrosé, ou psychotique, voire les deux, qu’il a besoin de pauvres et qu’il les créera si nécessaire ! Il créera les conditions nécessaires à leur pérennité, car ce faisant il assura sa propre raison d’être – pire : sa raison de penser ! Le camarade ne comprend rien ni ne veut rien comprendre de ce qu’il désigne comme l’ennemi parce que cela nuirait à sa propre réalité, il disparaîtrait (au sens figuré bien sûr). Les inégalités, dont les « quartiers » sont l’une des matérialisations, sont indispensables au camarade. Or le capitalisme met à la portée de tout individu un moyen de sortir de la pauvreté, une boîte à outils qui permet d’exister indépendamment du camarade.
Quant au libéralisme classique, il apporte le cadre philosophique à partir duquel se construit une société d’individus libres, auxquels aucun sacrifice n’est exigé si ce n’est ceux auxquels il a librement consenti. Tout ceci est plutôt simple et facile à comprendre, c’est pourquoi le camarade fera tout pour compliquer les choses artificiellement, il affirmera que telle ou telle chose n’existe pas, ou en tout cas pas comme le présentent les suppôts du capitalisme.
Il n’y aura plus deux sexes, mais 187 genres ; il n’y aura plus la ville mais des espaces de vivre-ensemble ; il n’y aura plus de grammaire compliquée, il y aura des prédicats (notez au passage que la complexification peut naître d’une volonté de simplification : en fait on ne comprend plus rien du tout au final, ce qui nuit à la compréhension et permet toutes les interprétations).
Tenez, un exemple : le « nous » ne l’est que s’il est inclusif et solidaire et s’il n’est pas chargé de ces éléments caractéristiques, il n’est tout simplement pas ! En d’autres termes si moi je dis « nous », le camarade me reprochera de ne pas dire « nous ». C’est fort-de-café, franchement capilotracté, je le sais bien mais les névroses, les psychoses et les camarades c’est comme les Dauphinoises : c’est gratiné !
Cantonné de l’amour
La grande Hannah Arendt a dit un jour que « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal, » mais je me permettrai de ne pas acquiescer : le mal peut aussi s’inscrire dans le « trop plein de pensée » quand la pensée est psychotique. Alors bien sûr, « mal » est sans doute un terme excessif (même si je suis convaincu que les plus de 100 millions de victimes du socialo-communisme auraient à redire), mais il n’en demeure pas moins que ce que nous observons est le résultat d’un « trop plein » de pensée et d’action des camarades.
Pour reprendre le premier fil de mon sujet, il est piquant de constater que les « quartiers » ne sont pas, loin s’en faut et contrairement à une opinion courante, abandonnés. C’est tout le contraire et on doit souligner la forte présence des institutions publiques dans ces quartiers, qui sont soutenus par les logiques politiques et territoriales des politiques sociales et urbaines, nombreuses et actives. Ça ne fonctionne pas, nous sommes bien d’accord, mais ça corrobore ce que je viens de dire : le « trop plein » aboutit à un résultat catastrophique à l’issue de l’accumulation des aides et actions sociales, de la redistribution monétaire qui représente une part importante, parfois exclusive, des revenus des individus bénéficiaires de la générosité des camarades.
Et la question que je me pose depuis le début, vous l’aurez compris, se résume à ceci : le camarade existerait-il sans sa création et sans ses créatures ? Bien sûr que non : le camarade se construit une identité sur la base de celle de pauvres et d’opprimés réels ou supposés tels, et s’ils n’existent pas, il conviendra de les créer et de faire durer cette situation en renforçant toute une série de liens de dépendance, qu’il conviendra aussi de coller sur le dos de l’ennemi doctrinaire.
Ainsi, en ne définissant les individus que par ce qu’ils ne sont pas, ou par ce qu’ils devraient être, le camarade les cantonne à une logique d’intervention et d’assistance basée sur le traitement des carences et des déficits ; alors que là où il y a diversité des populations, et donc richesse, j’aurais plutôt tendance à affirmer qu’on devrait en réalité s’appuyer sur la valorisation des compétences et des potentialités des individus…
Enfin pour cela il faudrait que le camarade admette qu’il existe des individus libres et non pas uniquement des masses dont il peut au gré de ses délires modeler l’environnement et forcer les comportements à l’issue d’un jugement négatif porté sur un prétendu capitalisme alimenté par un prétendu libéralisme.
Or, les jugements négatifs portés sur les individus arbitrairement considérés comme masses ont des conséquences réelles et fort négatives. Et « fort négatives, » c’est en gros : 100 million de morts – c’est cher payé la névrose, je trouve.
Nord
PS : Tiens, du coup je me rends compte que je n’ai pas beaucoup parlé de « Benoît ». Ce sera pour une prochaine fois, admettez que je puisse, moi-aussi, recourir à des méthodes aliénantes.