« Il est étrange de constater qu’une révolte fiscale n’émerge pas dans des situations où la pression fiscale est insupportable. » – Pascal Salin
Tyrannie fiscale
Face à la « tyrannie fiscale » (Pascal Salin) que nous vivons et qui va croissant, tant dans les montants que dans les modalités d’inquisition, on pourrait aisément imaginer que l’oppression fiscale engendre mécaniquement des jacqueries et des révoltes.
Somme toute, l’histoire de l’ancienne France est parsemée de mouvements ici spontanés, là plus longuement mûris qui, plus d’une fois, ont mis jusqu’en péril l’ordre établi.
C’est une révolte ?
On pourrait alors imaginer que l’extraordinaire progression des prélèvements obligatoires a « excité » le contribuable au point que nous sommes au bord de la révolte finale. Certains ont cru la discerner dans l’épisode des « bonnets rouges« . Or, pourtant rien de tel ne s’est produit, et rien de tel ne se produira. Il faut percer ce mystère. La multiplication par cinq du montant des prélèvements obligatoires en pourcentage du PIB entre 1914 et 2014 aurait dû accroître la probabilité d’une explosion.
Ce puissant paradoxe est pourtant assez aisé à résoudre. La question posée dans cette courte réflexion n’est pas celle de la légitimité de l’impôt, ni du statut de la révolte fiscale. Ces questions sont certes importantes, mais ne nous servent en rien pour trouver une réponse satisfaisante. Mais, si nous réfléchissons, nous pouvons facilement résoudre le paradoxe avec quatre propositions.
Connais ton bourreau
D’abord, nous préférons avoir affaire à des bandits sédentaires plutôt qu’à des bandits nomades (Mancur Olson). La connaissance et les relations qui lient le spoliateur et le spolié permettent de trouver des compromis qui sont plus de l’ordre d’échapper au pire que de maximiser sa satisfaction. Les hommes de l’État se verraient volontiers opérer une razzia fiscale maximale. Mais ils tueraient toute incitation à produire, donc toute possibilité de lever demain l’impôt.
De leur côté, les spoliés souhaiteraient garder l’intégralité du fruit de leurs efforts, mais comme leurs persécuteurs ont le monopole de la production du droit et de la violence légale, on préfère acheter une paix relative en étant spoliés en deçà d’un certain montant.
Pour vous, je ferai une exception
La seconde raison consiste à comprendre combien il est aisé pour les hommes de l’État d’acheter la soumission fiscale en multipliant les prébendes, niches fiscales, allocations et subventions de toutes sortes, monopoles, quotas, bref, un ensemble de « minables pots de vin » (Pierre Lemieux). Stratégie fort habile des hommes de l’État qui, tels une entreprise bien gérée, segmentent leur marché en niches successives, achetant le silence des uns et la tranquillité des autres.
Ce qui se voit…
La troisième raison est de ne pas balayer sans examen, la question des biens publics. Certes, il est possible qu’ils soient produits à un coût exorbitant. Pourtant, il serait faux de dire qu’en France, la lutte contre l’incendie, le système hospitalier ou encore les routes et infrastructures sont de niveau médiocre.
C’est pas moi, c’est l’autre
La quatrième raison est que la structure et la distribution de la fiscalité française est d’une progressivité parmi les plus fortes du monde. Il y a donc une très forte concentration sur un petit nombre de contribuables.
C’est alors qu’une majorité des contribuables sont persuadés que ce sont les autres qui paient pour eux. Et si l’on ajoute que les impôts indolores, parce que presque invisibles (comme la TVA) dominent le paysage fiscal français, on a un éventail de « bonnes raisons » permettant de comprendre la non-révolte.
Le prix de la révolte
Pour que la révolte soit efficace, il faut se coaliser de façon à constituer un groupe de pression nombreux et inquiétant électoralement pour les hommes de l’État. Or, si les intérêts de ceux qui espèrent capturer de la rente sont fortement coagulés, il y a dispersion du côté des contribuables révoltés.
Ainsi, soit un puissant mouvement qui va faire remettre un nouvel impôt ou une nouvelle dépense (ce qui revient au même) de 500 millions d’euros. Mais dispersés sur chaque contribuable, l’avantage retiré n’est que de quelques euros.
Or, de plus et enfin, les contribuables fortement pressurés sont ceux dont le coût d’opportunité est le plus élevé. Va-t-on se coaliser afin de se révolter pour obtenir une économie de quelques dizaines d’euros pendant que les coûts nécessaires à la constitution et à l’entretien de la coalition vont faire perdre à ces mêmes contribuables des milliers d’euros ? Rationnellement, le jeu du marché politique et la théorie du « Public Choice » donnent la réponse : non.
Acheter la soumission
Pour terminer, une image : le 12 février 2014 en Californie, les télévisions du monde entier ont montré la longue accolade pendant une conférence de presse du président de la République Française, et celui qui, il y a un an, avait initié le mouvement de révolte des « pigeons« . Acheter la soumission fiscale pour un bon entrepreneur politique est une opération aisée. On ne connaît pas ici la contrepartie, mais dès que le leader des « pigeons » fut satisfait, le voilà réintégré dans sa zone d’esclavage.
C’est que consentir à son propre esclavage est une attitude assez répandue. Le contrat de mariage en est une modalité par volontariat, la soumission fiscale une autre par résignation.
Serge Schweitzer, in Libres !!, 2014